Santé mentaleComment Léon Marchand travaille pour ne pas perdre l’envie de nager

Mondiaux de natation : Dépression, burn-out… Comment Léon Marchand travaille pour ne pas perdre l’envie de nager

Santé mentaleBeaucoup de champions comme Michael Phelps ou aujourd’hui Caeleb Dressel et Adam Peaty ont confié leurs tourments, que le champion français a également connus en début de carrière
Léon Marchand dimanche, après sa victoire en finale du 400 m 4 nages des championnats du monde de Fukuoka, au Japon.
Léon Marchand dimanche, après sa victoire en finale du 400 m 4 nages des championnats du monde de Fukuoka, au Japon. - Manan Vatsyayana / AFP / AFP
Nicolas Stival

Nicolas Stival

L'essentiel

  • Dimanche à Fukuoka, au Japon, Léon Marchand a remporté son troisième titre de champion du monde, le deuxième sur 400 m 4 nages. Il a aussi pulvérisé le record du monde Michael Phelps, en 4’ 2”50, soit une seconde et trois dixièmes de mieux que la meilleure performance de l’Américain, réussie en 2008.
  • Souvent comparé à Phelps, le jeune Toulousain met tout en œuvre pour ne pas connaître les soucis mentaux traversés par le meilleur nageur de tous les temps, et par beaucoup d’autres athlètes.
  • L’étudiant de l’université d’Arizona State donne une grande importance à la préparation mentale et garde d’autres intérêts que son sport.

Ce fut long et douloureux, mais le tabou de la santé mentale dans le sport a fini par sauter. Rongés par la pression des résultats, écrasés par le poids des attentes, de plus en plus d’athlètes confient avoir traversé des périodes de dépression au cours de leur carrière, et les nageurs font bien entendu partie du lot. Le plus grand d’entre eux, Michael Phelps (28 médailles olympiques, dont 23 en or), a attendu sa retraite, en 2016, avant de confier les énormes tourments qu’il a traversés, qui l’ont même fait penser au suicide.

Désormais, la légende américaine prêche la bonne parole, pour que ses successeurs évitent les obstacles qu’il a percutés de plein fouet. Depuis, des champions comme son compatriote Caeleb Dressel, le Britannique Adam Peaty ou le Hongrois Kristof Milak, absents des Mondiaux au Japon, ont décidé de mettre leur carrière sur pause pour éviter l’implosion. Alors qu’il s’affiche comme le successeur de Phelps, dont il partage l’entraîneur historique Bob Bowman outre-Atlantique, que la pression des Jeux olympiques de Paris, à la maison, va s’accroître au fil des mois, on pourrait légitimement s’inquiéter pour le désormais triple champion du monde Léon Marchand.

« On ne peut pas comparer Léon et Michael, tranche Thomas Sammut, son préparateur mental depuis 2020. Léon fait un travail sur lui-même, il s’approprie les entraînements. Il ne va pas suivre aveuglément les consignes. Il a envie d’être maître de son destin. »

« Il était à deux doigts d’arrêter »

C’est que, malgré ses 21 ans à peine, le nouveau recordman du monde du 400 m 4 nages (un chrono chipé dimanche à Fukuoka à Phelps, sous les yeux du maître) a déjà connu les affres du vide, de la peur de mal faire qui paralyse et parfois dégoûte d’un sport éminemment ingrat. Un sport où l’on peut se demander pourquoi on enchaîne les longueurs jour après jour plutôt que de rester au sec, avec sa famille et ses amis.

« Il y a trois ans, Léon était en burn-out, reprend le spécialiste installé en Bretagne, qui a travaillé ou travaille toujours avec quelques sommités des bassins français, tels Camille Lacourt et Florent Manaudou. Il m’a contacté, il était dans l’impasse, à deux doigts d’arrêter. Il a pu se mettre une pression de résultats. A un moment, c’est ultra-fatigant nerveusement. La performance doit tourner autour de l’individu, en fonction de sa personnalité. »

Exilé depuis l’été 2021 aux Etats-Unis, Marchand s’épanouit du côté de l’université d’Arizona State où il étudie l’informatique et partage une colocation avec cinq autres nageurs US, quand il ne pulvérise pas des records en NCAA.

Léon Marchand et son père Xavier lors des championnats de France à Rennes, le 15 juin.
Léon Marchand et son père Xavier lors des championnats de France à Rennes, le 15 juin. - Damien Meyer / AFP

L’intéressé n’a pas esquivé le sujet, lors de son passage à Toulouse début juin, avant les championnats de France survolés à Rennes (cinq titres en cinq courses). Pour marquer sa différence avec son glorieux aîné, aussi brillant que tourmenté. « Michael [Phelps], lorsqu’il nageait avec Bob [Bowman], il ne faisait que ça. Un peu comme ce qu’on a fait lors d’un stage au Colorado en mai : manger, dormir, récupérer, tout le temps. Cette année, j’avais un bon équilibre entre mes potes que je voyais tous les jours, mes cours et l’entraînement. »

En revenant sur « son petit souci au niveau mental » à la fin de l’adolescence, le Dauphin du Toec reconnaît avoir « appris pas mal de ce qui s’est passé ». « Maintenant, 50 % de ce que je fais, c’est de la préparation mentale. » En quittant le cocon familial pour l’étranger, le jeune homme a évidemment mûri en accéléré, tout en restant proche de ses parents Xavier (vice-champion du monde du 200 m 4 nages en 1998), Céline (ex-nageuse internationale également), de son jeune frère et de son entraîneur de toujours, Nicolas Castel.

« Il adore son sport »

« Léon est adorable, lance ce dernier, qui communique régulièrement avec son protégé depuis la Ville rose. C’est un super garçon, très humble, qui aime les choses simples, adore son sport et prend beaucoup de plaisir à vivre ce qu’il vit. » « Ses parents l’accompagnent au mieux dans son projet, comme le club », appuie Vincent Gardeau, président des Dauphins du Toec.

Plaisir et encadrement sain. La recette du sportif heureux paraît simple sur le papier. Seulement, quand on parle d’humain, rien ne l’est vraiment.

« « Il faut arrêter avec le modèle du sportif qui doit aller au lit à 21 heures, dormir 9 heures et ne jamais boire d’alcool, reprend Thomas Sammut. On peut être sérieux et mettre des "process" en place selon les besoins du moment. Il faut arrêter de croire que les athlètes de haut niveau sont des machines. C’est le rêve des entraîneurs d’avoir des sportifs avec la même motivation à chaque entraînement, mais c’est complètement utopique. Aujourd’hui encore, il y a des techniciens qui sont rassurés car leur nageur a fait le même kilométrage que les autres. Ils ont la crainte de l’échec, d’être les vilains petits canards. » »

Seulement, au bout d’un moment, la mécanique qui semble parfaitement huilée finit par se gripper, jusqu’à péter de partout. C’est pour éviter d’en arriver là que Florent Manaudou avait quitté les piscines pour les salles de handball, en 2016, avant de replonger trois ans plus tard, revivifié, et de décrocher l’argent olympique sur 50 mètres à Tokyo en 2021, cinq ans après la même médaille à Rio. « Quand Florent m’avait parlé de cette envie, je lui avais dit d’y aller, qu’il ne devait rien à personne, rembobine le préparateur mental. Aujourd’hui, il n’a jamais été aussi épanoui, sportivement et en tant qu’individu. »

« Une maturité incroyable »

Toujours une histoire d’humain, comme avec Léon Marchand, qui contacte Thomas Sammut en visio quand il en ressent le besoin, pour se fixer des « sous-objectifs », au cœur d’une saison dont l’été est le point d’orgue. « Je pars du principe que les Mondiaux, c’est la récompense, la fête de la natation, juge le spécialiste. A ce moment-là, on échange plus régulièrement. Mais je ne suis pas une béquille. Léon est de plus en plus autonome, avec une maturité incroyable à son âge. »

C’est ainsi qu’il s’est débarrassé peu à peu des rituels et des tics qui polluaient son avant-course. « J’aimais mettre tout le temps la même musique au bord du bassin, je devais avoir le bonnet vert, pas le blanc, plein de choses comme ça, sourit aujourd’hui Léon Marchand. Maintenant, il n’y a plus rien. C’est plus simple. Ce n’est que de la natation, il ne faut pas se prendre la tête avec tout ça. » Une évidence quand, comme lui, on n’a d’autres horizons dans sa vie que les plots de départ et les lignes d’eau.