FaillesLa Chine comme moteur de l’économie mondiale, vraiment ?

Chine : La deuxième économie mondiale face à ses « grandes fragilités »

FaillesEntre croissance et chômage des jeunes, les indicateurs économiques chinois sont en berne ces derniers mois, révélant les failles de ce géant économique
En Chine, le taux de chômage des jeunes s'élève à au moins 21%. (PHOTO D'ILLUSTRATION)
En Chine, le taux de chômage des jeunes s'élève à au moins 21%. (PHOTO D'ILLUSTRATION) - Greg Baker / AFP / AFP
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Pékin a suspendu la publication mensuelle des chiffres du chômage des jeunes, mardi.
  • Cette nouvelle annonce intervient alors que les indicateurs économiques inquiétants se multiplient en Chine.
  • Le géant économique, s’il n’est pas près de s’effondrer, doit en réalité composer avec de nombreuses failles.

Première place sur le podium des puissances économiques mondiales, croissance débordante, plein emploi… Le monde promettait monts et merveilles à la Chine. Mais, ébranlé par la crise du Covid-19, l’Empire du milieu semble vaciller. Pékin inquiète le monde entier, qui remet en doute sa capacité à s’imposer comme moteur de l’économie mondiale après des résultats économiques moroses. Du premier au second trimestre 2023, le PIB de la Chine n’a progressé que de 0,8 %. Le colosse économique n’est toutefois pas au bord du gouffre. Mais, à défaut d’avoir des pieds d’argiles, il traîne une kyrielle de fragilités. Après des années à frôler le graal de l’économie, entre croissance débordante et plein emploi, la Chine semble perdre de sa superbe.

« La ligne d’horizon recule quand on avance », tempère d’emblée Jean-Vincent Brisset. « Après de nombreuses années à être l’usine du monde et à afficher 10 % de croissance annuelle, la Chine a un peu arrêté de pédaler », continue le chercheur associé à l’Iris, spécialiste de la Chine. « Le pays a vécu un développement explosif mais la frénésie ne peut pas durer éternellement », abonde Emmanuel Véron, spécialiste de la Chine contemporaine et enseignant-chercheur associé à l’Inalco. En s’approchant des sommets, Pékin ralentit donc mécaniquement. « Le pays avait une courbe de croissance exponentielle, on ne pouvait que s’attendre à un ralentissement. Mais ce dernier n’est pas incompatible avec son statut de deuxième économie mondiale », souligne Manon Laurent, doctorante à l’université de Paris et à l’université Concordia de Montréal.

Une jeunesse exclue de l’emploi

En s’approchant frénétiquement des sommets, l’Empire du milieu est toutefois confronté à de nombreuses problématiques, ses difficultés n’étant pas toutes imputables à sa nouvelle stature. « L’économie chinoise présente de grandes fragilités », admet Manon Laurent. Jean-Vincent Brisset est plus laconique : « la Chine a construit une grande partie de son économie sur du sable. » Mardi, le parti communiste chinois a annoncé la suspension de la publication des chiffres du chômage des jeunes. Officiellement, 21,3 % des 16-24 ans étaient sans emploi en juin - un chiffre qui atteignait 16,6 % en France en mai dernier. Toutefois, ces statistiques « sont sous-estimées parce qu’elles ne comptent pas les jeunes qui ne sont pas séparés du foyer fiscal parental. Officiellement, c’est 21 % mais une économiste chinoise estime que c’est plutôt de l’ordre de 46 % », décrypte Manon Laurent.

« Les universités chinoises trichent sur la publication des offres d’emploi pour masquer un chômage des jeunes qui n’est probablement pas autour de 20 % mais plutôt autour de 30 % », avance de son côté Emmanuel Véron. Difficile donc d’y voir clair dans les chiffres chinois, où il y a « une volonté du gouvernement central de cacher des informations aux pays étrangers et une volonté des gouvernements locaux de cacher des informations au gouvernement central », note Manon Laurent. Les chiffres officiels portent d’ailleurs uniquement sur les zones urbaines, excluant ainsi la moitié du pays des statistiques sur l’emploi.

La dangereuse bulle immobilière

Alors qu’un quart de son PIB était tiré du marché de l’immobilier et de la construction, la Chine fait désormais face à une crise immobilière. Country Garden, l’un des plus grands groupes immobiliers du pays, a annoncé ce mercredi que des « incertitudes considérables » pesaient sur ses remboursements, deux ans après la descente aux enfers de son concurrent Evergrande. Les géants chinois de l’immobilier semblent tomber comme des dominos. « C’est un gros pan de l’économie chinoise qui s’effondre partiellement et laisse des ruines derrière lui. Beaucoup de ménages chinois ont voulu transformer leur épargne en logement individuel mais les promoteurs chinois, aujourd’hui, c’est un château de cartes qui s’écroule », lance Jean-Vincent Brisset.

« L’immobilier et la construction étaient l’un des moteurs de la croissance chinoise. Mais ce système est en faillite partielle voire totale dans certains secteurs », renchérit Emmanuel Véron qui souligne qu’il y a beaucoup de « corruption » et qu’un « assainissement des finances publiques au niveau national comme local et ultra-local » est nécessaire. « L’économie chinoise est vraiment en difficulté et la situation s’est aggravée après une politique post-Covid qui a drastiquement ralenti l’économie chinoise », estime le spécialiste de la Chine.

La voie de l’équilibre

La pandémie a mis en lumière la dépendance de nombreux pays occidentaux à l’Empire du milieu. Or, la Chine se repose beaucoup sur ses exportations face à « une consommation intérieure qui fonctionne mal », d’après Jean-Vincent Brisset. « Seuls 250 à 300 millions de Chinois consomment comme les ménages Occidentaux », confirme Emmanuel Véron. Au-delà de ses fleurons technologiques, comme dans le domaine de la voiture électrique, l’économie chinoise repose donc surtout sur son interdépendance avec des pays étrangers et, en particulier, le marché occidental. « Les économies américaine et chinoise sont en train de s’autonomiser progressivement. Le modèle qui avait permis à la Chine se développer est remis en cause et le pays va se retrouver dans une compétition qu’il n’avait pas connue avant. La question est : est-ce que la Chine va réussir à trouver un nouvel équilibre ? », s’interroge Manon Laurent.

Pékin doit naviguer avec de nouvelles cartes, bien loin de son ancien statut d’atelier du monde, pour garder sa place de géant économique. D’autant plus que le pays voir venir une marée qu’il sera difficile de contrôler : celle du vieillissement de la population. En 2050, un tiers de la population chinoise aura 60 ans ou plus. Pékin va devoir se réinventer, en s’éloignant de sa doctrine de l’enfant unique - abolie en 2015 - pour s’approcher des modèles occidentaux où un système des retraites solide permet aux seniors de consommer et, donc, de participer à la richesse du pays. La navigation sera donc essentielle pour déterminer l’avenir économique du pays, car les écueils restent considérables.