REGLEMENT DE COMPTES« La CRS 8 ne va pas faire tomber les réseaux de stups à Marseille »

Marseille : « La CRS 8, ce n’est pas elle qui va faire tomber les réseaux de stups »

REGLEMENT DE COMPTESPoliciers et acteurs associatifs des quartiers nord de Marseille doutent de l’efficacité d’un renfort de CRS annoncé par Gérald Darmanin pour endiguer la spirale de règlements de comptes sur fonds de trafic de drogue
Un point stup à Marseille
Un point stup à Marseille - Nicolas Tucat / AFP / AFP
Mathilde Ceilles

Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • En un mois, 12 personnes sont mortes à Marseille dans des fusillades sur fond de trafic de drogue.
  • Face à cette flambée de règlements de comptes, liée à une rivalité entre deux bandes de narcotrafiquants qui officient dans un même quartier, Gérald Darmanin a annoncé le déploiement de la CRS 8.
  • Cette décision, la troisième en un an, ne convainc ni les policiers, ni les habitants, qui réclament un plan global contre le trafic de stupéfiants à Marseille.

Les chiffres, dramatiques, parlent d’eux-mêmes, dans ce décombre macabre qui vient endeuiller l’été marseillais. En un mois, 12 personnes sont décédées dans des fusillades sur fonds de narcobanditisme à Marseille. Trois morts par semaine, en moyenne. Le mois d’août se fait particulièrement sanglant : sept personnes ont été tuées sur fonds de guerres de territoire en seulement quinze jours. La faute, selon la préfète de police des Bouches-du-Rhône, au conflit latent entre deux bandes rivales, « Yoda » et « DZ Mafia ». Ces deux points stups sont ancrés dans la petite mais lucrative cité la Paternelle, dans le 14e arrondissement de Marseille, tout près de l’autoroute. D’après Frédérique Camilleri, 80 % des 68 fusillades depuis le début de l’année dans les quartiers populaires sont liées à cette inimitié qui connaîtrait un regain ces derniers jours.

Dans ce contexte violent, Gérald Darmanin a répondu favorablement à la demande de la préfète de déployer dans les quartiers Nord la CRS 8. Dans un tweet, le ministre de l’Intérieur annonce « des opérations ciblées contre les trafics de drogue au cours des prochains jours ». Une décision qui n’a rien d’inédit. Le ministre avait déjà décidé d’envoyer la CRS 8 en février dernier, pour ensuite réitérer la mesure en avril.

« Une énième arrivée de la CRS 8 »

« Il y a un peu de communication derrière tout ça, soupire Rudy Manna, ancien secrétaire départemental des Bouches-du-Rhône d’Alliance, aujourd’hui porte-parole national du syndicat policier. Darmanin veut donner l’impression qu’il va se charger de trouver une solution. Pour nous, policiers, ce n’est pas inintéressant d’avoir plus d’effectif. Mais avoir une présence plus accrue dans les cités ne veut pas dire qu’on va arrêter les trafics. C’est la quatrième fois, je crois, que la CRS 8 vient. Et il y a toujours autant de flingages et autant de trafic de stupéfiants ! Clairement, c’est donner du Doliprane pour calmer la douleur. Est-ce que cela va résoudre le problème ? Je pense que c’est compliqué. »

« Sincèrement, dans les quartiers, on sait pas à quoi ça sert, soupire Hassen Hammou, fondateur du collectif Trop jeune pour mourir. C’est une énième arrivée de la CRS 8 avec une opération éphémère dans une cité. Il fallait bien une réaction face au nombre de morts. Il fallait bien faire quelque chose. Mais penser que cette solution va arrêter les règlements de compte, c’est utopique. »

« On ne peut pas être derrière chaque mec »

« Cette solution est intéressante, surtout en cette période très tendue où l’on manque d’effectif comme chaque été, estime Bruno Bartocetti, secrétaire national Unité SGP Police-FO chargé de la zone Sud. Ça peut apaiser la situation quelques semaines. Mais on le sait bien : dès que la CRS 8 va repartir, ça sera la même logique. La CRS 8 a vocation à faire tomber une situation, pas de rester éternellement dans un périmètre précis. La CRS 8, ce n’est pas elle qui va faire tomber les réseaux de stups à Marseille. Si on veut combattre les réseaux, il faut s’en donner les moyens. »

Afin de pérenniser la mesure, Emmanuel Macron a annoncé en juin dernier lors d’un déplacement dans les quartiers Nord le déploiement d’une compagnie de CRS sur Marseille toute l’année, calquée sur le modèle de la CRS 8. Cette compagnie de 200 personnes aura notamment pour mission de lutter contre les guerres de territoires sur fond de narcobanditisme. Mais l’idée ne convainc ni les policiers, ni les habitants de ces quartiers. « La ville est tellement énorme qu’on ne peut pas être derrière chaque mec, peste Rudy Manna. C’est pas possible ! »

« Il faut un vrai travail de prévention en amont »

« Malgré notre bon travail, le problème reste entier, soupire Bruno Bartocetti. Ces gens-là n’ont pas peur de la mort. Donc la prison ne leur fait pas peur. Le stup, ça rapporte tellement d’argent… On va les contrarier, les gêner. Mais, Marseille, ça reste très étendu. C’est deux fois et demi Paris ! Et il y a beaucoup de cités. Rien que dans le 15e arrondissement, on a une cinquantaine de cités qui se touchent. Donc c’est un peu vider la mer à la petite cuillère. »

« Il n’est pas possible de penser que la police, l’urgentiste de la société, va calmer les choses, soupire Rudy Manna. Il faut faire un vrai travail de prévention en amont. Si on ne va pas dans les écoles, ça ne sert à rien ! » « La CRS 8 est une façon de répondre à l’urgence, pas un moyen de régler réellement une problématique, abonde Hassen Hammou. C’est une solution rustine, pas une solution profonde. C’est tout un système qu’il faut démanteler, s’attaquer à toutes les causes. Pourquoi certains dans les cités sont au chômage ? Pourquoi certains sont en décrochage scolaire ? »

« Vous verrez, pronostique Bruno Bartocetti. Le constat aujourd’hui est sombre. A la fin de l’année, il va être très sombre. » A ce jour, selon le dernier décompte de l’AFP, 36 personnes ont perdu la vie dans la deuxième ville de France depuis le début de l’année sur fond de trafic de drogue. Alors que l’année n’est pas terminée, c’est trois de plus qu’en 2022, tristement record en la matière.