MUSIQUEQu’est-ce que c’est « une chanson de droite » ?

« Les Lacs du Connemara » : Qu’est-ce que c’est « une chanson de droite » ?

MUSIQUEJuliette Armanet a confié à un média belge son aversion pour le tube de Michel Sardou. Il n’en fallait pas plus pour donner lieu à une polémique agitant médias traditionnels et réseaux sociaux. La chanteuse a parlé de « chanson de droite ». Quèsaco ?
Montage photo « 20 Minutes » de Juliette Armanet et Michel Sardou lors d'un concert, respectivement en juillet 2023 et en juin 2013.
Montage photo « 20 Minutes » de Juliette Armanet et Michel Sardou lors d'un concert, respectivement en juillet 2023 et en juin 2013.  - SYSPEO et SADAKA EDMOND / SIPA / Sipa
Fabien Randanne

Fabien Randanne

L'essentiel

  • «Ça me dégoûte. Le truc [est] très sectaire, la musique est immonde…  » Début août, à nos confrères de Tipik, Juliette Armanet a expliqué à quel point elle détestait « Les Lacs du Connemara », un tube de Michel Sardou.
  • Les propos ont fait la polémique et ont largement été commentés, soutenus ou rejetés, sur les réseaux sociaux et dans les médias.
  • « C’est de droite, rien ne va ! », avait précisé Juliette Armanet. L’occasion pour « 20 Minutes » de se demander c’est quoi une chanson « de droite ».

De la politique de la terre brûlée au vent des landes de pierres… En confiant à nos confrères belges de Tipik son aversion pour Les Lacs du Connemara, Juliette Armanet a donné lieu à la controverse qui a fait sortir les griffes et miauler la mi-août. « Ça me dégoûte. Le côté scout, le truc, comme ça, très sectaire, la musique est immonde », a lancé la chanteuse de Flamme, ajoutant : « C’est de droite. Rien ne va ! »

Les nuages noirs ne sont pas venus que du nord : des réseaux sociaux aux chaînes infos, une énergie incroyable a été dépensée à commenter ces propos, pour y souscrire ou s’en indigner. « Cette polémique oppose une héritière de la chanson d’auteur se rattachant à la figure noble - et plutôt marquée à gauche de l’auteur, compositeur, interprète - à la chanson commerciale de Michel Sardou faite pour être vendue et pas forcément pour durer », analyse pour 20 Minutes Marie Goupil-Lucas-Fontaine, docteure en histoire de l’université Paris-1.

« C’est le public de Sardou qui est de droite »

Mais est-ce que cela suffit à en faire une chanson « de droite » ? « Pour être définie ainsi, il faudrait qu’elle porte en elle, explicitement ou implicitement, les valeurs de la droite. Ce qui n’est pas le cas des Lacs du Connemara, estime Luce Albert, spécialiste de rhétorique et des discours polémiques. Il y a certes un pathos et il est question de la paix autour de la religion, mais ce n’est pas suffisant pour la qualifier ainsi. » La maîtresse de conférences de l’université d’Angers livre son explication : « Michel Sardou a un ethos de droite car il a revendiqué être de ce bord politique. Juliette Armanet a donc plaqué sur cette chanson les valeurs de son interprète. »

Même certains titres du répertoire du chanteur, tels que Je suis pour, au sujet de la peine de mort, ou Le France, sur le désarmement du paquebot du même nom, que l’on pourrait être tenté de placer sur l’échiquier politique, ne seraient pas davantage à ranger à droite. « Elles ne sont pas engagées, ce sont plutôt des chansons d’actualité. Le jour où le public de Michel Sardou disparaîtra, on n’entendra plus beaucoup parler d’elles, prédit Marie Goupil-Lucas-Fontaine. Celles-ci sont très datées et ne vieilliront pas bien. Leur objectif était de saisir l’air du temps. » Pour la docteure en histoire, « c’est plutôt le public de Sardou qui est de droite ou, du moins, qui a des valeurs assez conservatrices ».

Les œuvres « sorties de leur contexte »

Luce Albert rappelle qu’une œuvre « vit sa vie » hors du contrôle de l’artiste qui la signe ou l’interprète. « Les Lacs du Connemara, sortie de son contexte, a été appropriée par une population de droite, dans les soirées d’écoles de commerce, dans les rallies, dans les milieux cathos, bourgeois, etc, souligne-t-elle. Le fait qu’elle soit très appréciée dans ces milieux-là a sans doute permis à Juliette Armanet de dire aisément qu’il s’agissait d’une chanson de droite. Mais il faut nuancer : ce succès de Sardou assure aussi les fins de soirées dans d’autres milieux. »

Pour illustrer le fait qu’une chanson puisse se retrouver affublée, malgré elle, d’une couleur politique, Marie Goupil-Lucas-Fontaine cite l’exemple d’Aristide Bruant. Le chansonnier de Belleville s’était présenté aux législatives, à la fin du XIXe siècle, en tant que « candidat du peuple » avec « un programme républicain, anticapitaliste et antisémite ». « Ses chansons ont été utilisées comme des chansons engagées à gauche, elles ont été chantées à la Fête de l’Humanité alors même que son positionnement politique n’était pas très net, mais penchait quand même plutôt à droite », note la spécialiste d’histoire de la chanson française, qui résume : « Les chansons sont dépendantes de l’usage que l’on en fait. »

Mais alors, si les chansons de droite (ou de gauche) n’existent pas vraiment, la musique serait-elle par essence centriste ? On va aller voir là-bas (au Connemaraaaaaaaaa) si la réponse y est.

20 secondes de contexte

Dimanche, Romain Kuntz, animateur de Tipik, a réagi à un tweet de l’auteur de cet article au sujet de la polémique. Il a rappelé le contexte : « J’ai reçu Juliette Armanet lors de sa venue à Ronquière en Belgique. C’était une séquence drôle et légère, elle répondait à des unpopular opinions [dans la culture Internet, les opinions impopulaires consistant à exprimer des avis personnels contraires à ceux du plus grand nombre] d’auditeurs. L’un de ces unpopular opinion était « Une vraie bonne soirée se termine toujours par Les lacs du Connemara ». La chanteuse enchaîne : « Ah non, pour moi, c’est une sirène d’alarme » et je lui réponds : « Ah ouais ? C’est quoi les trois chansons qui te feraient sortir d’une soirée ? » Elle : « Bah trois fois Les Lacs du Connemara » et la suite on l’a vue [les propos controversés]. (…) Juliette Armanet n’a pas pris en grippe, sans raison, Sardou et son tube. Elle a répondu à ma question qui portait directement dessus. »

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