R.I.P.Nostalgique, la génération Y pleure la fin des Skyblogs

« C’est ici que j’ai rencontré mon compagnon »… La fin des Skyblogs, un deuil pour la génération Y

R.I.P.Ce lundi, Internet tourne une grande page de son histoire, celle des Skyblogs
Impossible de ne pas être kitsch pour rendre hommage aux Skyblogs.
Impossible de ne pas être kitsch pour rendre hommage aux Skyblogs. - Blog Madonna World / Skyblog
Lina Fourneau et Quentin Meunier

Lina Fourneau et Quentin Meunier

L'essentiel

  • Véritable dinosaure d’Internet, Skyblog vit ce lundi son dernier jour.
  • En extinction depuis l’arrivée des réseaux sociaux plus modernes, les blogs ont tout de même marqué une bonne partie des années 2000.
  • En mémoire du bon temps passé sur Skyblog, nos lecteurs ont lâché quelques koms sur leurs meilleurs souvenirs sur la plateforme.

Ce lundi est un jour tragique pour Internet. Alors que la plupart des aoûtiens sont en train de faire défiler nonchalamment leur fil Instagram allongés sur la plage, une partie de leur passé disparaît, et ce pour toujours. Les Skyblogs, lieu de sociabilisation dans les années 2000, ne seront désormais plus consultables en ligne à partir d’aujourd’hui. Le 22 juin dernier, la radio Skyrock - à laquelle appartient Skyblog - avait annoncé la nouvelle… laissant de nombreux internautes nostalgiques d’une époque qui paraît bien lointaine aujourd’hui. « Pour nous mettre en conformité avec la législation sur les données personnelles, pour conserver la plate-forme et les skyblogs dans leur présentation candide et éruptive, il nous faut la geler et la retirer de l’accès public », avait justifié l’entreprise.

Pour comprendre l’émotion, il faut revenir en en l’an -5 avant la boule à zéro de Britney Spears (2002 pour nos amis de la genZ). Bien avant la fougue des réseaux sociaux, Skyblog bouleverse Internet et offre un tout nouvel espace où régnera ce que la chercheuse Oriane Deseilligny appelle « l’individualisme expressif contemporain ». Interrogée par notre podcast « Minute Papillon ! », celle-ci évoque une « révolution ». « Avant il y avait ce qu’on appelle les pages personnelles, qui étaient entièrement codées par les internautes. Les blogs sont arrivés après et fournissaient une architecture clés en main ».

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« Un moyen de rester en contact »

Plus besoin de se soucier de posséder un bagage technique, la jeune génération - en majorité des auditeurs de Skyrock initialement - s’est vite emparée de ces blogs. Pour le chercheur en sciences de l’information et de la communication Olivier Ertzescheid, les Skyblogs ont comblé les attentes de cette toute jeune génération, autrement appelée « la génération Y » aujourd’hui. « Le blog peut utiliser les codes de l’âge adolescent : extimité [un terme qui désigne une expression de l’intimité tournée vers l’extérieur, ce qu’on veut partager et montrer comme un journal intime qu’on a envie de faire lire], la confiance en soi, l’inclusion ».

« Pour les adolescents, c’était un moyen de rester en contact avec leurs camarades après l’école et de déposer des contenus indépendants de l’environnement scolaire, créatifs ou personnels », ajoute Oriane Deseilligny. Car oui, à l’époque l’IPhone 2G a à peine vu le jour (le premier sortira en 2007) et les forfaits téléphoniques sont presque tous limités.

Fan fiction et belle rencontre

Alors très vite, sur Skyblog, les différentes formes d’expression se multiplient, qu’ils s’agissent d’un journal intime où l’on présente ses amis et ses déboires amoureux ou bien des blogs dédiés à un artiste ou à un acteur. Véritable adepte des fanfictions, Alexandra* a par exemple créé trois blogs entre 2007 et 2008. En s’inspirant de l’univers de ses séries préférées, celle qui voulait devenir écrivaine plus jeune a créé tout un univers autour de plusieurs acteurs : Lauren Graham (dans Gilmore Girls), Mackenzie Rosman (dans Sept à la maison) et Blake Lively. « J’écrivais un peu comme j’en avais envie, deux-trois fois par semaine. Alors forcément voir tout son travail quitter la toile en un jour la rend un brin nostalgique. « Même si je les ai retrouvés récemment et je me suis dit que je n’écrivais pas très bien », ironise Alexandra.

Désormais trentenaire, « Mistone » (qui doit être un pseudo) voyait aux premières heures de Skyblog une bonne alternative à MySpace. « Nous pouvions écrire des articles sur les artistes ou les sons que l’on aimait. En plus grâce au tchat, j’ai discuté avec des gens de tous horizons, j’ai même rencontré mon meilleur ami qui l’est toujours depuis 2012 ». C’est d’ailleurs ce qui pourrait le mieux décrire ce lieu de sociabilisation aujourd’hui. En plus de partager son intimité ou ses passions, Skyblog est au fil du temps devenu un terrain fertile pour les rencontres. « C’est ici que j’ai rencontré mon compagnon il y a dix-sept ans, cela fait maintenant seize ans que nous sommes ensemble. Il avait posté un commentaire sous une photo où j’étais dessus, nous avons commencé à discuter pour sortir ensemble un an après », raconte Kelly, 33 ans. « J’ai rencontré mon mari en 2008 sur la plate-forme. Nous avions deux noms de blog quasi identiques. Quinze ans après nous sommes mariés et avons trois beaux enfants », surenchérit Clémence, 31 ans. De son côté Elsa* - ancienne étudiant en sport études - se souvient avoir utilisé Skyblog dans des circonstances bien romantiques : critiquer le club de handball concurrent dans la région. « Aujourd'hui, on se ferait des duels sur TikTok », se marre-t-elle.

De l’oubli à la nostalgie

Mais voilà, c’est fini, les différentes pages ne sont désormais plus accessibles depuis ce lundi. Une question reste toutefois en suspens. Comment expliquer cette nostalgie générale à l’annonce de la disparition des Skyblogs alors que la grande majorité des utilisateurs avait déjà renié leur page, voire l'avait supprimée par honte ? Fort est à parier que tous s’étaient déjà tournés vers les autres réseaux sociaux comme Instagram et Twitter pour construire une nouvelle forme de narratifs un peu plus superficiels ou politisés… laissant les blogs à l’abandon. « Les blogs ont essayé de concurrencer, mais ce n’est jamais facile. Il faut prendre en compte la dimension communautaire, elles ont été dépassées par leur propre image de marque. Pour une génération, ouvrir un Skyblog impliquait une forme stéréotypée », analyse le chercheur Olivier Ertzescheid.

Quant à la nostalgie soudaine pour les blogs, le phénomène s’explique assez simplement, pour Olivier Ertzescheid. « Nous avons tendance à enjoliver ce passé, c’est un biais rétroactif. Dans la réalité statistique, il y avait aussi des problèmes sur ces plateformes - du harcèlement ou propos violents - mais ces problématiques étaient moins présentes dans le champ social de l’époque ». Véritable mémorial des années 2000, les plateformes vont tout de même être numérisées et archivées anonymement par la Bibliothèque nationale de France (BNF) et l’Institut national de l’audiovisuel (INA). « Il s’agit d’un contenu sociologique extrêmement riche. Si on veut comprendre l’évolution des médias numériques, il est important qu’on en garde des traces », conclut le chercheur. Consolation : vos koms resteront archivés pendant un moment.

* Les prénoms ont été changés