TémoignagesA Pissevin, « les habitants aimeraient partir, mais n’ont pas les moyens »

Nîmes : Dans le quartier Pissevin, « les habitants aimeraient partir, mais ils n’ont pas les moyens »

TémoignagesDans ce quartier de Nîmes, où un enfant est mort, victime d’une fusillade, les habitants déplorent un sentiment d’insécurité permanent
Le quartier Pissevin, à Nîmes, ce mardi matin.
Le quartier Pissevin, à Nîmes, ce mardi matin. - N. Bonzom / Agence Maxele Presse / Agence Maxele Presse
Nicolas Bonzom

Nicolas Bonzom

L'essentiel

  • Lundi soir, dans le quartier populaire Pissevin, à Nîmes, un enfant de 10 ans est mort, victime collatérale d’une fusillade, sur l’avenue des Arts.
  • Dans ce quartier, gangrené par les trafics de stupéfiants et les règlements de compte, les habitants déplorent un sentiment d’insécurité permanent.
  • « On a abandonné l’espace public à une centaine d’individus qui font la loi, et qui n’ont plus de foi », déplore Raouf Azzouz, le directeur du centre Mille couleurs.

A Pissevin, le mercure a dépassé les 40 degrés, mardi après-midi. Mais peu importe cette chaleur suffocante, qui tape sur les barres d’immeubles. Dans ce quartier de Nîmes (Gard), gangrené par les trafics de drogue et les règlements de compte, c’est plutôt le cap franchi par la violence, lundi soir, qui est dans toutes les têtes : un enfant de 10 ans est mort, victime collatérale d’une fusillade, sur l’avenue des Arts. Raouf Azzouz, le directeur du centre social Les Mille Couleurs, qui tente depuis vingt-cinq ans de faire dialoguer les habitants de ce quartier populaire, « tire la sonnette d’alarme, depuis des années ».

« Ce n’est plus possible, le quartier n’est plus ce qu’il était il y a encore une dizaine d’années, déplore-t-il. Les trafics, les armes qui circulent… Et maintenant, on tire à vue sur n’importe qui. Les associations font en sorte qu’il y ait une vie citoyenne, dans ce quartier, et que les habitants retrouvent l’espoir. Mais malheureusement, on a abandonné l’espace public à une centaine d’individus qui font la loi, et qui n’ont plus de foi. » La journée, il y a des « chouffeurs » partout, « sous leurs parasols, avec leur came, des clients viennent, se servent », poursuit l’acteur associatif nîmois. Mais le soir, à Pissevin, on rentre à la maison. Et on ne s’aventure pas dans les recoins les plus chauds de la cité.

Les dealeurs, « je connais leurs pères, leurs fils »

Ce quartier, Alain Lorgeas le connaît, lui aussi, par cœur. Depuis 1972, « j’habite là-bas, au 7e étage », confie-t-il, en pointant du doigt les immeubles au-dessus de l’avenue des Arts, où le jeune garçon de 10 ans est mort, lundi soir. Aujourd’hui, il est le président du comité de quartier de Pissevin. « Si j’ai peur ? Vous savez, je suis un ancien sous-officier parachutiste, ça, ça ne me fait pas peur, confie Alain Lorgeas. A titre personnel, je n’ai pas de problèmes avec les dealers. Là où j’habite, il y a un point de deal. Quand j’arrive, avec mes courses, ils m’ouvrent la porte. Parce que je connais leurs pères, leurs fils… Mais certains habitants craignent pour leurs enfants, oui, c’est certain. Ils aimeraient partir, bien sûr. Mais ils n’ont absolument pas les moyens. Ils ne peuvent rien faire. »

Une Nîmoise, qui habite à « 500 mètres à vol d’oiseau de Pissevin », confirme que « la violence et le deal » sont, malheureusement, partout, dans ce quartier, tout comme à Valdegour et au Chemin Bas d’Avignon. « Des rodéos, tout près de chez moi, dès la nuit tombée, énumère-t-elle. Bus caillassés, chauffeurs de bus agressés… Et toutes les fins de semaines, des feux d’artifice. J’ai appris que c’était pour fêter les bonnes ventes… » Une amie, poursuit cette Nîmoise, a dû fuir pendant sept nuits de chez elle car des délinquants se cachaient « dans son jardin, quand la police arrivait ». Et les habitants, déplore-t-elle, sont « les premières victimes ». « Ils n’osent même pas moufter, car ils craignent les représailles. Une minorité d’individus pourrissent la vie de milliers d’autres. »

« Ma grand-mère n’y vit plus, et nous sommes soulagés »

Un autre témoin, dont les grands-parents habitaient un appartement dans une copropriété au cœur de Pissevin, se souvient, au fil de ses visites, « avoir vu le quartier se transformer » en un quartier infréquentable. « Ma grand-mère n’y vit plus depuis cinq ans, et nous en sommes soulagés. Quand elle est partie, il n’y avait plus aucun des propriétaires et locataires de jadis. Certains sont morts. D’autres ont préféré fuir. Leurs appartements obtenus après des années de labeur ne valent rien. Mais tant pis. »

Un trentenaire nîmois a vu, lui aussi, le quartier sombrer dans la violence, quand il était lycéen, entre 2007 et 2012, au lycée professionnel Voltaire, à Pissevin. C’était « des rackets, des menaces, des coups de feu en pleine journée », confie-t-il. « D’année en année, l’ambiance devenait pesante. Le lycée nous avait donnés comme consigne de ne pas rester seul devant l’établissement hors des moments de pauses surveillées, ou d’éviter de se garer devant pour éviter les vols. On n’avait pas peur, non… Ça n’allait pas jusque-là. Mais il y avait, tout de même, un sentiment d’insécurité permanent. »

L'avenue des Arts, dans le quartier Pissevin, à Nîmes, où le jeune garçon est décédé, lundi soir.
L'avenue des Arts, dans le quartier Pissevin, à Nîmes, où le jeune garçon est décédé, lundi soir. - N. Bonzom / Maxele Presse

Un poste de police « pour que les habitants soient un peu rassurés »

Une quinzaine de règlements de compte ont fait huit morts à Nîmes en 2020 et trois en 2021, dont un adolescent de 17 ans. Notamment à Pissevin. Depuis, le quartier n’a pas cessé de noircir les colonnes des faits divers des journaux. Dimanche dernier, un adolescent a été grièvement blessé par balles. En juin dernier, un journaliste de M6 a été passé à tabac par des mineurs, alors qu’il faisait un reportage à Pissevin. Et en janvier, un homme y a été abattu. La violence, c’est une peine supplémentaire pour les habitants de ce quartier, déjà touchés de plein fouet par la précarité. A Pissevin, 70 % des 13.000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté, et le taux de chômage atteint 46 %.

Mais les habitants et les acteurs associatifs ont des solutions. Pour beaucoup, il faut, d’abord, que la présence policière soit renforcée. « Il faut que la police ne passe plus en voiture, mais à pied, confie Alain Lorgeas. S’ils passent à toute vitesse en voiture, ça ne sert à rien. » Raouf Azzouz, lui, milite pour que soit créé un poste de police, « même symbolique », à Pissevin. « Pour que les habitants soient un peu rassurés, souligne le directeur du centre social. Pour qu’il y ait une présence républicaine dans le quartier. Aujourd’hui, la seule présence républicaine à Pissevin, ce sont les associations. »

« Faire en sorte que la population ne baisse pas les bras »

Et il y a urgence. Car la vie dans le quartier meurt à petit feu. « Les médecins vont quitter le quartier parce qu’ils n’ont pas de maison médicale, poursuit Raouf Azzouz. Nous n’avons quasiment plus de commerces, dans la galerie, il doit rester un seul café. On a même plus de médiathèque », depuis que la mairie de Nîmes l’a fermée, alors qu’elle était cernée par les dealeurs. « Ma responsabilité, en tant que directeur du centre social, c’est d’éveiller les consciences, et de faire en sorte que la population ne baisse pas les bras, et continue à croire à des jours meilleurs », positive le directeur de Mille couleurs.

NOTRE DOSSIER SUR LES TRAFICS DE DROGUE

Raouf Azzouz espère parvenir, en accord avec sa famille, à organiser une marche blanche, dans les prochains jours, en hommage au jeune garçon, décédé lundi soir sur l’avenue des Arts. « J’espère que la population sortira de chez elle, et qu’enfin elle dira "Non, pas un enfant", poursuit le directeur des Mille couleurs. Si jamais, en revanche, il n’y a personne à cette marche, je considèrerai ce quartier comme perdu. »

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