20 ans d’écartSur Rencontre Ados, le manque de modération attire les prédateurs

« J’aime les jeunes femmes, leur fraîcheur »… Sur Rencontre Ados, les prédateurs sexuels tapent l’incruste

20 ans d’écartSur ce site de rencontres pour les 13-25 ans, de nombreux faux comptes cachent parfois des prédateurs sexuels
Rencontre Ados, une plateforme incrustée par quelques vices
Rencontre Ados, une plateforme incrustée par quelques vices - L.F. / 20 Minutes/Canva
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Depuis quelques jours, des parents inquiets alertent sur les réseaux sociaux autour de la présence de prédateurs sexuels sur Rencontre Ados, un site de rencontres pour le 13 à 25 ans.
  • Ce laisser-aller serait en partie dû au manque de modérateurs sur le site, tolérant de nombreux faux profils et commentaires déplacés, voire illicites.
  • Pour en avoir le cœur net, « 20 Minutes » a tenté une immersion au sein du site en devenant Julie, une adolescente de 16 ans.

Mise à jour du 24 août à 11h30 : Ajout d'une information sur la suppression de l'application au dernier paragraphe

« Je suis sûre que tu t’appelles David et que tu te caches derrière ton petit PC. Comment savoir si tu n’es pas fake ? ». Si « Kakao » de son pseudo, 23 ans, est si méfiant sur le tchat du site Rencontre Ados, c’est que la plateforme est de plus en plus ciblée par la présence de prédateurs sexuels et bien d’autres manipulateurs bien lointains des ambitions initiales de la plateforme : devenir un lieu de rencontres destiné aux jeunes de 13 à 25 ans. Crée en 2006 et hébergé en Belgique aujourd’hui, le site existe depuis peu en application sur Android, mais a été interdit par Apple. En seulement deux trois clics, il est facile d’accéder au site sans la moindre vérification d’identité, même si le règlement stipule qu’il est interdit de fournir de fausses informations sur son profil.

Dans les discussions publiques, on y parle des loisirs, de rap, de kebab mais aussi de pratiques sexuelles. Sauf que premier constat, toutes les discussions ne seront certainement pas perçues de la même façon si l’internaute a 13 ou 25 ans. « Êtes-vous dans le BDSM ? », questionne un premier salon public. « Je recherche un Sugar Daddy », demande une utilisatrice sur un autre salon. Il est à se demander si l’écart d’âge entre les utilisateurs est réellement logique sur ce site. Plus étonnant encore, la plateforme met en ligne des articles à destination des jeunes, sur la sexualité notamment. Un bon moyen d’éduquer à première vue. Mais le contenu n’est pas réellement adapté. Le premier article prône par exemple la contraception naturelle avec la méthode du « coït interrompu ». Une pratique qui ne peut pas être recommandée en tant que contraception, et encore moins auprès d’un public peu éclairé sur la question.

Immersion au royaume de la « dick pic »

Pour les adolescents, l’avantage de la plateforme réside surtout dans la grande liberté laissée par la conversation privée. « C’est bon délire et les gens sont ouverts d’esprit », se réjouit Abou. Mais cette liberté peu aussi être utilisée à mauvais escient. Certains n’auraient même pas l’âge demandé par le site… en témoigne la présence de notre faux compte, Julie, 16 ans qui aime « rire et faire la fête avec ses copains », selon sa bio. Vous l’aurez compris, la vraie personne derrière l’ordinateur dépasse cet âge de dix ans, sinon plus. Et ce ne serait pas la seule.

En seulement quelques minutes, différents comptes ont déjà glissé dans notre messagerie. Anatole, Kevin, Dav, Lucas et on en passe. L’un sort du lot. Il s’appelle « Soumis » et aurait 19 ans. « Vingt centimètres, preuve sur snap », témoigne sa biographie. Pas inquiet pour un sou, ce dernier renchérit en privé. « Lis ma bio ». Mais il est très vite interpellé par son interlocutrice qui lui rappelle qu’elle est mineure. Celui-ci bafouille. « Non mais moi aussi. J’ai 16 ans en réalité, j’ai mis 19 au pif ». Seulement, ce n’est pas le seul à mentir sur son âge. Sur la bio d’Aurélien, 24 ans, on lit : « Bel homme mûr (Daddy de qualité) sportif, musclé (1m90-93kgs). Tentée par une expérience radicalement différente de tout ce que tu pourras connaître avec les gamins d’ici ou de ton âge ? Envie de maturité et de savoir-faire, mais pas d’un physique (habituel) de daron ? Et enfin d’un homme, un vrai, avec des moyens financiers qui permettront de te faire plaisir ? ».

Même constat sur le profil de Tomas, 25 ans, mais plus âgé selon son profil. Nettement plus âgé même. « 40 ans », nous répond-il quand on lui demande. « J’aime les jeunes femmes, leur fraîcheur, leur corps », se justifie-t-il. Il raconte même avoir déjà rencontré une jeune fille de 18 ans, avant de nous rediriger vers une photo de son sexe. D’autres quémandent également des photos de jeunes nus ou bien recherchent même des relations sexuelles. Seulement, les hommes plus âgés ne sont pas les seuls à squatter le réseau pour adolescents. Par message, Paul, 16 ans, raconte qu’il croise « quelques escortes et cam-girls ». Si elles ne proposent pas de payer directement sur la plateforme, ces dernières renvoient vers des sites spécialisés.

« Cette situation est devenue ingérable pour notre équipe réduite »

Après plusieurs alertes, le site a donc décidé de changer de stratégie et de proposer des règles plus strictes (mais qui restent encore très laxistes). Par exemple, il ne serait plus possible de commenter les photos de personnes hors de notre liste d’amis. « En raison de la présence grandissante de messages à caractère sexuel, cette situation est devenue ingérable pour notre équipe réduite. Nous sommes conscients que ce sont toujours quelques individus irresponsables qui nous obligent à prendre de telles mesures, et nous en sommes sincèrement désolés », explique le staff dans une conversation publique. Une bonne nouvelle pour Ethan. « C’est bien pour notre sécurité ». « Ce qui serait encore mieux, ça serait une vérification des profils », regrette Matteo.

Mais ici, l’équipe de Rencontre Ados pointe du doigt un problème majeur sur le site : une modération presque inexistante, comme le prouve le message d’alerte sur la page principale indiquant un prochain recrutement de modérateurs. Il semble surtout que les créateurs sont aujourd’hui dépassés par le nombre d’inscrits, laissant passer de nombreux faux profils. « La modération se plaint de ne pas être assez pour gérer les 200.000 inscrits, car ils ne sont que trois. Il me semble pourtant qu’outre le fait qu’il faudrait déjà songer de la part des modos à être actifs, nous ne sommes pas 200.000 connectés simultanément, ça n’est que des excuses », fustige Timeo qui compare la plateforme au forum jeuxvidéos.com qui, selon lui, serait bien mieux modérée. « Tu compares un forum avec un site où on peut poster des photos, messages privés, commentaire et un forum. Pomme et poire », lui répond avec un brin d’agressivité le staff.

Une réponse tout aussi agressive à destination des médias. « Nous avons trop de demandes et quand on accorde une interview, nos propos sont modifiés ou sortis de leur contexte pour suivre le narratif du sujet de l’article. Donc non », répond automatiquement le site quand nous essayons de les contacter.

129 signalements en 24 heures

Alors que faire à l’avenir ? Bannir le site ? Ou responsabiliser les parents et les enfants à la présence de prédateurs sexuels sur Rencontre Ados ? Interrogée par France Info ce mardi, la secrétaire d’État en charge de l’Enfance Charlotte Caubel a déclaré qu’il n’était pas question d’interdire ce site. « L’objectif, c’est de réglementer », a-t-elle martelé. Et de rappeler : « Depuis l’été 2022, nous avons une loi qui impose aux sites d’obtenir l’autorisation des parents pour que les moins de 15 ans puissent s’inscrire sur ces sites. Nous sommes engagés pour que le décret d’application de cette loi sorte très vite ».

Une action sans doute insuffisante face à l’ampleur du problème. Rappelons toutefois l’existence de la plateforme Pharos qui permet de signaler un contenu jugé illicite sur Internet. Toujours d’après France Info, Rencontre Ados aurait déjà reçu plus de 400 signalements depuis, dont 129 dans les 24 dernières heures.

Depuis ce jeudi, l'application n'est toutefois plus disponible sur le Google Play Store, ont remarqué nos confrères de BFMTV. Cette suppression aurait été motivée par le non-respect des conditions d'utilisation dictées par Google. Sur l'App Store, Rencontre Ados avait déjà été interdit auparavant.