DECRYPTAGELa photo de Donald Trump en prison va-t-elle le booster ou le plomber ?

Présidentielle américaine 2024: La photo de Donald Trump en prison va-t-elle le booster ou le plomber ?

DECRYPTAGEDonald Trump surfe sur la vague médiatique pour éclipser ses concurrents de la primaire. Mais des procès à répétition pourraient refroidir les électeurs centristes dans la demi-douzaine d’Etats indécis lors de la présidentielle de 2024
La photo d'identité judiciaire de Donald Trump en une du «New York Post» et du «New York Daily News» du 25 août 2023
La photo d'identité judiciaire de Donald Trump en une du «New York Post» et du «New York Daily News» du 25 août 2023 - Richard B. Levine/Newscom/SIPA / SIPA
Philippe Berry

Philippe Berry

Le visage est incliné vers l’avant, le regard fixé sur l’objectif, sourcils froncés et lèvres serrées. Donald Trump n’a rien laissé au hasard quand il a été photographié dans une prison d’Atlanta, jeudi, avec un « mug shot » menaçant que n’aurait pas renié Stanley Kubrick. Classique instantané, cette première photo d’identité judiciaire d’un ancien président américain fait évidemment la une des médias planétaires, et elle trouvera un jour une place dans les livres d’histoire. Mais si Donald Trump pourrait en profiter à court terme – pour lever des fonds et éclipser ses adversaires dans la primaire républicaine – l’image et les multiples procès, l’an prochain, risquent de repousser certains électeurs indépendants dans les « swing states » (Etats indécis) et les suburbs. Là où Trump avait déjà perdu le scrutin de 2020.

De suspect à victime persécutée

Levée de fonds, omniprésence médiatique, retour sur Twitter… Donald Trump, champion hors-catégorie du marketing politique, tente de capitaliser au maximum sur ce moment d’habitude infamant. S’il est techniquement un suspect quadruplement inculpé, qui est accusé en Géorgie d’avoir tenté de renverser le verdict des urnes avec l’aide de 18 complices, Donald Trump cherche à renverser les rôles. Il se présente en victime d’une « persécution politique » de l’administration Biden, qui tente, selon lui, d’éliminer un opposant politique en pleine campagne pour l’élection de 2024.

Moins d’une heure après son passage éclair en prison, sa campagne a envoyé les premières salves pour lever des fonds auprès de ses supporteurs, avec un email « BREAKING NEWS : LE MUG SHOT EST LA ». « L’Etat profond tente de faire du président Trump l’ennemi public numéro 1 pour oser défier la classe dirigeante corrompue de Washington » avec une photo « qui le présente comme un criminel aux yeux du monde entier », écrit la team Trump. Promettant un t-shirt avec la photo imprimée et le message « NEVER SURRENDER ! » (Ne vous rendez jamais) pour une donation de 47 dollars.

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Posters, t-shirts, mugs… La photo est partout sur la boutique officielle de campagne, reléguant presque la célèbre casquette rouge « Make America Great Again » en seconde page. Donald Trump en a également profité pour faire son grand retour sur X/Twitter, deux ans et demi après l’assaut du Capitole.

Des concurrents pas forcément éclipsés

Hasard du calendrier, la brève arrestation de Donald Trump, qui est ressorti libre contre le versement d’une caution de 200.000 dollars, a eu lieu au lendemain du premier débat de la primaire républicaine. Un rendez-vous important sur Fox News que Trump avait décidé de boycotter, estimant n’avoir aucun intérêt à prendre des coups avec plus de 40 points d’avance sur ses poursuivants. Il a préféré troller Rupert Murdoch en accordant une interview sur X à Tucker Carlson, ex-animateur star de Fox limogé au printemps.

Un pari gagnant… au premier coup d’oeil. Absent, Trump a été omniprésent, avec des candidats qui ont fait des contorsions pour le critiquer sans se mettre à dos sa base ni vraiment parvenir à exliquer pourquoi ils représentaient une meilleure alternative. L’ex-gouverneur du New Jersey Chris Christie, le seul à avoir tenté une attaque frontale, a essuyé des huées du public.

Au final, six sur huit ont fini par lever le bras pour dire qu’ils soutiendraient Donald Trump s’il était investi par le parti, même en cas de condamnation au pénal. Y compris Mike Pence, même s’il a assuré que l’ex-président lui avait demandé de « le faire passer avant la Constitution » le 6 janvier 2021, en insistant pour qu’il rejette les résultats au Congrès.

A chaud, le consensus était le suivant : Nikki Haley a marqué des points en détruisant la surprise Vivek Ramaswamy (« Vous n’avez aucune expérience en politique étrangère, et ça se voit ») et Ron DeSantis, rigide et robotique comme à son habitude, l’a joué trop safe. Mais le gouverneur de Floride progresse pourtant de 14 à 21 % d’intentions de vote dans l’Iowa, où se tiendra le premier scrutin de la primaire début 2024, et Haley passe de 3 à 11 %. Donald Trump, lui, recule d’un point, à 41 %, selon un sondage réalisé pour Fox News au lendemain du débat. C’est le risque pour Trump : chaque jour qu’il passe au tribunal est une journée de moins à faire campagne. Et cela pourrait particulièrement compter dans l’Iowa, un Etat rural qui privilégie les candidats de proximité.

Les indépendants en juge de paix d’un duel Trump-Biden

Joe Biden a battu Donald Trump en 2020 pour une raison simple : il a fait mieux qu’Hillary Clinton chez les indépendants, ces électeurs non-affiliés à un parti, qui représentent entre un quart et un petit tiers de la population. Joe Biden a superformé dans les suburbs, ces banlieues aisées majoritairement blanches, ce qui lui a permis de s’imposer dans les quatre « swing states » (Etats indécis) les plus serrés : Géorgie, Arizona, Wisconsin et Pennsylvanie, avec des écarts allant de 11.000 à 75.000 voix.

Quel sera l’impact des inculpations de Donald Trump et des procès à venir sur l’électorat indépendant ? On l’ignore. D’un côté, Biden reste un président impopulaire, et les centristes pourraient le sanctionner à cause de l’inflation. De l’autre, ces électeurs préfèrent qu’on leur parle des problèmes de fond que de la fraude imaginaire de 2020 – les candidats « MAGA » ont d’ailleurs été sanctionnés lors des Midterms de novembre dernier.

Un sondage de l’université Marquette donne toutefois une indication : entre mai et août, une période sur laquelle Donald Trump a été inculpé trois fois, il recule de 5 points (de 51 % à 46 %) chez les indépendants tandis que Joe Biden progresse d’autant (de 48 % à 53 %). Si cette tendance se confirme, notamment avec un procès en Géorgie qui devrait être diffusé par les télévisions, la carte électorale pourrait devenir très compliquée pour Donald Trump.