interviewUne universitaire bordelaise explique le droit aux enfants, grâce à une BD

Pourquoi j'ai pas le droit de m'appeler Banane ? Une prof bordelaise explique le droit aux enfants dans une BD

interviewAprès un premier volet paru aux éditions Juridik World en octobre 2022, un deuxième volume de la BD « Le droit expliqué aux enfants », sera publié à l’automne avec l’ambition d’expliquer le système du droit français aux enfants
Marie Cresp est maîtresse de conférence en droit privé à l'Université de Bordeaux.
Marie Cresp est maîtresse de conférence en droit privé à l'Université de Bordeaux. - MC / MC
Elsa Provenzano

Propos recueillis par Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Marie Cresp est maîtresse de conférence en droit privé à l’université Bordeaux Montaigne. Elle a voulu expliquer le droit aux enfants à partir de huit ans à travers une bande dessinée dont le deuxième volume sort cet automne, aux éditions Juridik World. La première a été publiée en octobre dernier.
  • Voulant battre en brèche les clichés sur le droit, comme son inaccessibilité ou son caractère tranché, elle a écrit une BD qui vise, à travers des questions générales, à expliciter le fonctionnement des institutions juridiques en France.
  • Ces deux BD se mettent à hauteur d’enfant, sans jamais évacuer la complexité juridique. L’auteure y voit un défi pédagogique passionnant et nécessaire pour apprendre aux plus jeunes les règles de vie en société.

Pourquoi je ne peux pas me marier avec mon frère ? Pourquoi est-il impossible de s’appeler Banane ? Comment peut-on régler un conflit sans se battre ? Dois-je me renseigner avant de prendre le train avec mon chien ? Donner du sens au droit dès le plus jeune âge pour faciliter la compréhension des règles de vie en société, c’est l’ambitieux projet de Marie Cresp, maîtresse de conférences en droit privé à̀ l’Université́ de Bordeaux Montaigne.

Pour se positionner à hauteur d’enfant, elle manie pédagogie et humour dans le second volume de sa bande dessinée « Le droit expliqué aux enfants », réalisé en collaboration avec l’illustratrice Camouche et dont la publication est prévue à l’automne. En octobre 2022, le premier volume de cette bande dessinée avait été réalisé avec l’illustratrice Clara Lang. Cette professeur explique à 20 Minutes pourquoi elle a voulu s’attaquer à ce sujet, dont le jargon peut même rebuter nombre d’adultes.

Pourquoi avez-vous eu envie de décrypter votre discipline auprès d’un jeune lectorat ?

J’enseigne auprès d’un public qui n’est pas juriste et issu d’horizons très différents, ce qui implique une pédagogie particulière. Au début, cela m’a un peu décontenancée et après j’y ai pris un grand plaisir car cela m’a appris à montrer tout de suite l’intérêt du droit ou de la règle en général. J’ai aussi mesuré la nécessité de cet enseignement, ce que ça implique de ne pas connaître le droit, de l’ignorer ou de le trouver inaccessible. Et cela peut se traduire par un sentiment d’injustice que j’ai pu percevoir chez mes étudiants. J’estime aussi qu’il y a besoin d’apaiser et de comprendre quand l’actualité est traversée de mouvements sociaux, d’attentats et de débats médiatiques incessants. Je me suis dit qu’il y avait un manque et j’avais envie de relever ce défi. L’idée est née aux alentours de 2018 et c’est pendant le confinement que j’ai écrit la première version du livre.

Sur le fond, quelles sont vos ambitions dans ce second volet ?

Comme dans le premier volume, les questions sont aussi générales car mon but ce n’est pas de leur expliquer les droits des enfants, de la famille ou la circulation routière mais le système dans son ensemble. Je rentre par exemple dans l’explication des différents types de normes, leurs hiérarchies, ou encore le rôle du contrôle constitutionnel, sans le nommer ainsi. Cela complète les premières questions (du premier volume) mais on va un peu plus loin. Le droit c’est compliqué, il y a des milliers d’enjeux qui se contredisent, qui s’affrontent mais je suis convaincue qu’on peut tout expliquer à tout le monde, même si dans ce cadre précis, je ne peux pas aborder toutes les questions.

Pourquoi c’est si important de saisir les bases ?

Je dis souvent à mes étudiants que le droit c’est comme une vitre transparente. Un jour vous allez marcher et vous y heurtez et c’est d’autant plus violent que vous ne la voyiez pas. Mais attention, mon objectif ce n’est pas de faire un bataillon de juristes ni de faire un livre à la gloire du droit. D’ailleurs je veux aussi montrer ses limites et défaillances. Il y a un exemple dans le livre, où Neymar veut appeler son fils, né en France, Jean. C’est un prénom classique mais en même temps ce peut être un jeu de mots pénible pour l’enfant (Jean Neymar). Cela a décontenancé beaucoup d’enfants (et d’adultes) parce que le droit ne tranche pas, il n’y a pas de réponse donnée. Il faut comprendre qu’on n’a pas toujours la réponse en droit.Il y a des notions précises comme la majorité par exemple et des notions floues comme l’intérêt de l’enfant, qui ne sera pas apprécié de la même façon à Guéret par le juge X ou à Lille par le juge Y.

Comment avez-vous travaillé sur l’accessibilité de votre ouvrage destiné aux enfants à partir de huit ans ?

A l’écriture, je me demande toujours quelles types de représentations peuvent émerger dans la tête d’un enfant quand on parle de notions abstraites. Pour faire le lien avec la réalité, on a créé, avec les illustratrices, deux petits personnages, un sorcier et une sorcière dans la première bande dessinée et des héros en lien avec l’espace dans la seconde. On trouve aussi des illustrations oniriques qui font réfléchir sans en avoir conscience. Et, pour créer un objet que les enfants affectionnent, on a rajouté un monstre caché qu’on peut retrouver avec une petite lunette rouge. J’ai appris depuis la sortie du premier volume que des enfants de moins de huit ans aimaient se faire lire le livre.