pas la règleL'eau saline pour tester les tampons, la goutte de sexisme

De la solution saline pour tester les protections menstruelles ? Une goutte de sexisme

pas la règleSi Jésus savait transformer l’eau en vin, les fabricants de protections périodiques ainsi que la recherche sur les menstruations semblent, eux, confondre le sang des règles et l'eau saline
Les géants du secteur des protections périodiques testent leurs produits avec une solution saline mélangée à un colorant (illustration).
Les géants du secteur des protections périodiques testent leurs produits avec une solution saline mélangée à un colorant (illustration). - Canva / Canva
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Le 7 août, une étude menée par l’Oregon Health and Science University aux Etats-Unis et publiée dans la revue scientifique BMJ Sexual & Reproductive Health se présente comme la première à avoir jamais testé les protections menstruelles avec du sang.
  • Après des semaines de silence, les fabricants d’Always en passant par Vania ont publié un communiqué commun dans lequel ils expliquent tester leurs produits avec une solution saline.
  • Si l’usage du sang menstruel est effectivement difficile à systématiser, le fait que personne n’ait essayé de l’utiliser avant cette étude met en lumière le désintérêt de la recherche et des industriels pour les corps féminins.

Les mastodontes du secteur des protections menstruelles la qualifient de « petite étude ciblée ». Pourtant, la recherche publiée le 7 août dernier dans la revue scientifique BMJ Sexual & Reproductive Health par une équipe de l’Oregon (Etats-Unis) a eu l’effet d’un véritable tsunami dans la sphère des serviettes, tampons et autres protections périodiques. Dans toute l’histoire de la recherche scientifique, c’est la première à analyser la capacité d’absorption des protections menstruelles avec du vrai sang. Les articles relayant cette « avancée historique » ne tardent pas à pleuvoir tandis qu’une avalanche de réactions indignées fleurissent sur les réseaux sociaux. Un à un, les grands fabricants barricadent leurs portes. Leur plan de crise est en marche. Notre enquête aussi.

Au téléphone, de nombreux interlocuteurs, embarrassés, nous renvoient vers d’autres organismes. A la simple question « est-il exact que vous ne testez jamais vos produits avec du sang ? » suit un florilège d’esquives : « voyez avec l’Anses pour en savoir plus sur les régulations », « je vous invite à consulter le Code de bonnes pratiques européen Edana pour en savoir plus », « je fais remonter votre requête en interne ». Après un silence embarrassé, une intervenante me glisse : « je ne suis pas sûre de pouvoir vous trouver quelqu’un pour vous répondre. Mais oui, j’ai suivi moi aussi cette histoire comme simple citoyenne… Avec stupéfaction ». Son rire gêné est communicatif. Tout comme la stupeur qu’elle évoque.

Cachez ce sang que je ne saurais voir

La première serviette hygiénique jetable a été commercialisée par Kimberly Clark il y a plus de cent ans. Depuis, les produits se sont transformés et sont devenus plus pratiques, plus économiques, plus accessibles. Mais jamais personne n’avait eu l’idée de les tester avec du sang. Après un branle-bas de combat de quelques semaines, les géants du secteur ont répondu ce mercredi à travers un communiqué commun. Editée par Edana et Ahpma qui représentent l’industrie, la prise de parole se fait la voix des grands acteurs sur le marché français et, même européen : d’Always à Nett, en passant par Vania et Nana. « Le test d’absorption du laboratoire Syngina, utilisé dans le monde entier depuis plus de trente ans, évalue la capacité d’absorption des tampons en utilisant (…) un type de solution saline contenant un agent colorant », admettent-ils.

Un liquide donc bien plus proche des larmes que du sang menstruel. Dans les publicités pour les protections périodiques, le sang était représenté par un liquide bleu jusqu’en 2018. La marque Nana a été la première à tourner un spot avec du liquide rouge. En passant à l’écarlate, les publicités ont ravi de nombreuses consommatrices, persuadées que tombait enfin le tabou sur les règles. Mais en coulisses, les murs sont toujours bien dressés. Partout, des fabricants aux associations de consommateurs en passant par la recherche scientifique, les protections menstruelles continuent d'être testées avec de l’eau salée.

L’hégémonie de l’eau salée

Le Code de bonnes pratiques européens Edana, que cite le communiqué des marques, promeut donc la méthode Syngina qui utilise un « chlorure de sodium coloré ». Comprenez : de l’eau salée et un colorant pour mieux l’observer. L’Anses, dans sa grande étude sur les produits de protection intime, utilise le même liquide. Même son de cloche à l’étranger qu’il s’agisse du principal groupe de défense des consommateurs en Australie, Choice, ou de la FDA qui émet des régulations aux Etats-Unis sur une myriade de produits, dont ceux d’hygiène intime.

« Il est pourtant important de tester ces produits avec du sang parce que le sang et l’eau ne s’absorbent pas de la même façon », assure à 20 Minutes Bethany Samuelson Bannow, docteure en pharmacie et autrice principale de l’étude. Tout en admettant que son étude a des limites car les chercheurs ont utilisé un concentré de globules rouges, la chercheuse est convaincue que leurs résultats « se rapprochent davantage » de ceux qu’on pourrait obtenir avec du sang menstruel que lorsqu’ils sont testés avec de l’eau salée. En effet, si le sang menstruel contient évidemment de l’eau, il est aussi composé de globules rouges, de sécrétions vaginales, de glaire cervicale et d’endomètre - la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus.

Des performances mal évaluées

Or, l’étude de l’Oregon met en lumière un décalage entre la capacité d’absorption déclarée par les fabricants et la réalité. « La majorité des produits affirment avoir une capacité d’absorption supérieure à celle démontrée par nos tests », écrivent les chercheurs dans leur étude. « Nous avons constaté que les tampons absorbaient en réalité plus de sang que de solution saline tandis que les culottes menstruelles en absorbaient moins », détaille encore Bethany Samuelson Bannow. Si les tests d’absorption sont tous effectués avec de l’eau salée, les fabricants assurent toutefois qu’ils se basent aussi sur les « essais utilisateurs » afin « d’évaluer les performances globales du produit auprès d’utilisateurs réels », explique le communiqué.

Une méthode approuvée par la cofondatrice de Rejeanne, une marque de culottes menstruelles. « On porte nos produits pour les tester avec le sang de nos règles mais quand il s’agit de mesurer au millimètre près, on utilise de l’eau », explique-t-elle. Wye Morter ajoute utiliser aussi « des produits sucrés afin de rendre le liquide plus visqueux ». « Mais la différence entre l’eau et un liquide épaissi avec du glucose est marginale », explique-t-elle. « L’eau sucrée n’est pas plus pertinente parce qu’elle ne contient pas de cellules comme c’est le cas avec du sang ou des cellules sanguines », analyse toutefois Bethany Samuelson Bannow, interrogée sur le sujet.

Le sang menstruel 25 fois moins souvent étudié que la dysfonction érectile

A l’échelle mondiale, le marché des protections féminines pèse 26,5 milliards d’euros, soit le quart de l’industrie automobile. En France, il s'écoule quatre milliards d’unités chaque année en moyenne. En parallèle, seules 400 études sur le sang menstruel ont été publiées depuis 1941 contre « environ 10.000 pour la dysfonction érectile » d’après une étude de l’université de Stanford, aux Etats-Unis, publiée en juillet. « Il y a un manque énorme dans la recherche médicale et sportive sur les femmes », souligne Juliana Antero, chercheuse épidémiologiste à l’Institut national du sport de l’expertise et de la performance.

« Dans le sport, seules 9 % des études concernent exclusivement les athlètes féminines alors que 71 % des études concernent exclusivement les athlètes masculins », explique à 20 Minutes celle qui s’intéresse aux effets du cycle menstruel sur les performances des athlètes. « L’une des premières et la plus grande étude sur l’effet de l’œstrogène dans le sport [une hormone produite majoritairement par les ovaires] a été faite sur… les hommes », illustre-t-elle. « La médecine ne s’intéresse pas aux corps qu’elle considère comme féminins. Dans toutes les études, on utilise des hommes d’un certain poids, d’une certaine taille et on ne va pas chercher à voir ce qu’il se passe dans les autres variations du corps humain », fustige Eva-Luna Tholance, journaliste spécialisée dans la santé sexuelle et reproductive. Ici, comme les fabricants de protections périodiques le relèvent, utiliser une solution saline « facile à utiliser » a permis aux entreprises d’avoir une « référence standardisée » et donc reproductible par chacun des acteurs du secteur.

L’homme reste donc la référence scientifique, industrielle et sociétale. Ainsi, ce n’est qu’en 2022 qu’un mannequin « femme » a été créé pour tester la sécurité des véhicules en cas d’accident. La prévention en cas de crise cardiaque est systématiquement faite par rapport aux symptômes masculins qui diffèrent pourtant de ceux des femmes, entraînant une mortalité plus forte chez ses dernières en cas d’infarctus du myocarde. Mais cet oubli standardisé va se glisser jusque dans des produits qui concernent, dans l’immense majorité des cas, des femmes. Car de la sécurité routière aux protections hygiéniques, le sexisme n’a pas fini de s’infiltrer.