criseLe ralentissement économique chinois doit-il nous inquiéter ?

Le ralentissement chinois, une menace autant qu’un salut pour l’économie mondiale (et française)

criseLa Chine connaît une année 2023 compliquée sur le front économique, faisant craindre une bombe à retardement mondiale. Comment va se porter le reste de la planète - et votre porte-monnaie - si « l’usine du monde » continue de patiner ?
L'économie chinoise fait du surplace, et avec elle, celle du monde entier ?
L'économie chinoise fait du surplace, et avec elle, celle du monde entier ?  - Andy Wong/AP/SIPA / SIPA
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Un quart des jeunes au chômage, une croissance loin des chiffes d’antan, une crise immobilière… 2023 est difficile sur le front économique pour la Chine.
  • De quoi inquiéter le reste du monde, dépendant de la deuxième puissance mondiale.
  • L’Europe, et la France, vont-elles en pâtir ?

L’effet est connu. Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas. Plaçons alors au début de cette chaîne de dominos le ralentissement économique de la Chine. Un autre pedigree que le frêle insecte : deuxième puissance de la planète, « usine du monde » et « moteur de sa croissance ». Faut-il alors redouter que l’effet papillon se transforme en tornade ?

Crise de l’immobilier, chômage des jeunes et autres raisons qu’on évoquait dans ce récent article... Difficile de nier que l’économie du géant bafouille comme rarement. Mais si les temps sont durs en ce cru 2023, le ralentissement de la Chine remonte à bien plus longtemps. Entre 2001 et 2011, le pays connaissait une croissance moyenne annuelle de 11,5 %, selon les données de la Banque mondiale. Et entre 2011 et 2019, avant le Covid-19 ? « Seulement » 7,1 %. Des chiffres qui se sont encore rétrécis avec la pandémie - on y reviendra. « Le monde, et la France, sont déjà affectés par le ralentissement chinois », indique Véronique Riches Flores, économiste indépendante.

Effet ricochet allemand

L’inflation sans fin depuis 2021, que vous constatez à chaque passage en caisse, est notamment due aux coups d’arrêt de la production chinoise avec sa politique Zéro Covid - qui confinait des villes et stoppait des usines entières au moindre cas détecté. Moins de production, moins d’offre, toujours autant de demande = des prix qui grimpent.

On pourrait se rassurer en se disant que « la France échange finalement assez peu avec Pékin, rappelle Stéphanie Villers, macro-économiste et conseillère à PwC France. Nos exportations se concentrent principalement sur l’aéronautique et du luxe, des marchés assez peu affectés par les crises », estime la spécialiste. Moins de 4 % de l'export français est à destination de la Chine. Donc même si le pays ne consomme plus, cela ne pèse pas trop sur notre propre bilan.

La voiture allemande se vend désormais plus en Chine qu'au pays, symbole de la dépendance de Berlin à Pékin.
La voiture allemande se vend désormais plus en Chine qu'au pays, symbole de la dépendance de Berlin à Pékin. - CFOTO/Sipa USA/SIPA

Dans l’autre sens, même si Pékin reste le deuxième fournisseur de la France, cela représente moins de 10 % de nos importations. Seulement, effet domino oblige, une faiblesse de la Chine affecte fatalement la France - notamment parce que le premier partenaire commercial de Paris, l’Allemagne, est beaucoup plus dépendant. La Chine compte pour un cinquième de ses échanges commerciaux. En bref : lorsque Pékin a la grippe, Berlin a de la fièvre, et par ricochet, Paris tousse.

La Chine, de sauveur à fossoyeur de l’économie mondiale ?

Et il n’y a pas que l’Allemagne. La plupart des pays émergents, riches en matières premières dont la Chine raffole pour soutenir sa consommation, sont dépendants. En 2010, la Chine figurait d’ailleurs comme le pays « qui a permis au monde de se sortir de la crise de 2007-2008 », schématise Véronique Riches Flores, grâce à une classe moyenne supérieure et une consommation haute. Pratique, que ce soit pour l’Allemagne - avec la vente à l’export de ses voitures, qui avaient doublé entre 2008 et 2010 - ou le Brésil, qui a connu un bond de croissance entre 2008 et 2012.

Mais dès 2012, la machine s’enraye. « Depuis le milieu de la décennie 2010, le rôle de locomotive de la Chine est sérieusement cassé », poursuit Véronique Riches Flores. La demande intérieure baisse. A l’échelle mondiale, la période 2011-2019 voit une croissance de 3 % de moyenne, loin d’être idyllique, et surtout un point de moins en moyenne que la décennie précédente.

Un long changement de paradigme

Les actuelles difficultés chinoises devraient en toute logique empirer les choses : moins d’exportations pour l’Europe et des importations toujours plus chères. Sauf que depuis une décennie que le géant asiatique ralentit, le monde apprend lentement à ne plus mettre tous ses œufs dans le même panier. « Le modèle de la mondialisation, porté par la Chine, est de plus en plus remis en cause », estime Véronique Riches Flores. Encore plus depuis le coronavirus et la politique Zéro Covid chinoise de 2022, qui a fermé « l’usine du monde » quand les autres pays souhaitaient désespérément relancer leurs économies toutes voiles dehors.

« Cette politique a montré tous les risques à prendre, pour les Européens, de dépendre des pays tiers pouvant décider de manière unilatérale de couper les chaînes de production », estime Stéphanie Villers. De plus en plus de pays repensent leur mode d’approvisionnement, vers des pays plus proches - en langage économique, le near sourcing - ou des pays alliés et au même profil politique - le friendshoring. Une volonté d’indépendance accrue par la guerre en Ukraine, qui a aussi montré la fragilité d’être dépendant d’un pays tiers, cette fois en énergie.

Une dépendance toujours bien là

Bien sûr, on ne se débarrasse pas de décennies de mondialisation et de délocalisation à marche forcée en deux ans. « Mais le changement de paradigme de l’ultra-dépendance mondial à la Chine avait déjà commencé, estime Stéphanie Villers. Ce sera certes du temps long, mais l’Occident ne part pas de zéro ». L’amplification de la crise chinoise prouve juste que la voie choisie est la bonne, et des projets de réindustrialisation fleurissent partout sur le Vieux continent.

Mais le chemin, on l’a dit, s’avère encore long. En 2022, la France a importé 77 milliards d’euros de bien chinois - un record -, contre 46 milliards en 2016. « A court terme, le ralentissement chinois risque bien sûr d’avoir des conséquences négatives. A long terme, le monde se prépare structurellement à moins dépendre d’eux, et donc à être moins affecté par leur économie », dit Stéphanie Villers.

Entre 2021 et 2022, la hausse des importations chinoises en France (+ 22%) est quasi similaire à la hausse des importations au sein de l'UE (+ 20%), et largement inférieure à la hausse des importations venues du reste de l’Europe (+ 36%) ou de l’Amérique du Nord (+ 69%). A l’exception de la Chine et des Etats-Unis, les huit autres plus grands partenaires commerciaux de la France sont européens. Du near sourcing et du friendshoring. Après l’effet papillon, un autre proverbe : voir le verre à moitié plein ou à moitié vide.