reportageLe marché de la fleur à la recherche du « made in France »

Le marché de la fleur tente de faire pousser le « made in France »

reportage85 % des fleurs achetées en France sont d’origine étrangère. Un taux important et un impensé du consommateur que le Collectif de la fleur française compte bien bousculer
A l'occasion de la Journée de la fleur française, des ateliers sont organisés à travers le pays pour découvrir le marché local.
A l'occasion de la Journée de la fleur française, des ateliers sont organisés à travers le pays pour découvrir le marché local. - Ophélie Surelles / Ophélie Surelles
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Que vous soyez rose, tulipe ou plutôt camélia, il y a de fortes chances que les fleurs qui ornent vos bouquets n’aient pas poussé en France.
  • Alors que les circuits courts ont le vent en poupe, moins de 15 % des fleurs achetées en France sont en effet d’origine française.
  • Le Collectif de la fleur française, qui réunit plus de 600 acteurs du secteur, espère inverser la tendance. Ce dimanche, ce sera la troisième Journée de la fleur française.

«I can buy myself floooowers ». Bouquet de roses rouges pétard dans les mains, Jade ne manque pas d’appliquer la maxime que Miley Cyrus a fredonnée tout l’été. Oui, mais des fleurs d’où ? Ça, la trentenaire l’ignore. Pourtant, Jade est tatillonne. Elle le concède volontiers, son panier de course lambda a tout de la « bobo parisienne typique ». Que du bio, du « Made in France » préférence local IDF, de saison et uniquement du végé. Ne manquait plus qu’une intolérance au gluten autodiagnostiquée.

Des réflexes « qui devraient être la norme pour soigner un peu son bilan écologique » plaide-t-elle, mais qu’elle oublie sitôt partie en recherche d’un bouquet pour son intérieur. Elle débarque chez le fleuriste en tornade, saisit ses fleurs sans se poser de question, paie et file comme l’éclair.

Où sont les fleurs bleu, blanc, rouge ?

Avouons-le, au moment d’aller chercher nos tulipes et autres gerbes, nous sommes pour la plupart des Jade en puissance. 85 % des fleurs achetées en France sont importées, déplore Hélène Taquet, co-fondatrice du Collectif de la fleur française, qui réunit plus de 600 acteurs du secteur et est bien décidé à inverser la tendance. Vos vases sont remplis d’étrangères venues des Pays-Bas, de Belgique, mais aussi de destinations beaucoup plus lointaines, tel le Kenya ou la Colombie. Et si des discours émergent de plus en plus sur le suicide collectif de manger des tomates en hiver ou d’avaler chaque semaine cinq avocats venus du bout du monde, la question reste un impensé dans le domaine floral. Sébastien, fleuriste, ne s’en cache pas. Pour lui, une fleur, c’est fait pour être beau, pas pour présenter une appellation d’origine contrôlée. « Le client s’en moque, pourquoi ce serait une préoccupation pour nous ? Les Pays-Bas livrent vite, peu cher et bien. Et même si on le voulait, les fleurs françaises, on les trouve où ? »

Un bouquet made in France de l'atelier de flaure
Un bouquet made in France de l'atelier de flaure - L'atelier de flaure

Un point pour lui. A force de céder aux sirènes hollandaises, le marché de la fleur française s’est fané. Hélène Taquet replonge dans ses énumérations : alors qu’il y avait plus de 8.000 producteurs français au début des années 1980, ils ne sont plus que 400. Largement insuffisant pour approvisionner les 10.000 fleuristes du pays. Face à cette situation plus proche du champ de ruines que de tulipes, le Collectif lance alors l’opération remontada. Ce dimanche, ce sera la troisième Journée de la fleur française, en même temps que les Journées du patrimoine - vous aurez compris l’hommage.

Le faux syndrome du coquelicot

Constamment en mouvement, le regard déterminé et la voix posée, Mathilde Bignon, cofondatrice de la boutique café-fleuriste Désirée, à Paris, ne semble constituée que de volonté et d’huile de coude. Pourtant, même l’hyper-active, membre du Collectif, le sait, le défi s’annonce immense : « Notre difficulté, c’est qu’on cherche à résoudre un problème méconnu. Vu que les fleurs ont une image de chose fragile et éphémère, les clients pensent qu’elles viennent forcément de France. » Ayant tous fait l’expérience marmot de voir un coquelicot flétrir trois heures après l’avoir arraché d’un champ, « on se dit qu’une fleur ne peut pas venir du bout du monde. Il y a un manque de culture générale sur le sujet, la plupart des Français ignorent leur saisonnalité ou leur diversité ».

L’occasion pour elle de vanter ce fameux patrimoine tricolore : des pivoines, des anémones, des célosies… Des fleurs bleu, blanc, rouge, mais aussi jaunes, vertes ou violettes. « On peut faire tout type de bouquets, assure-t-elle. Moi, je veux bien qu’on importe des frigos parce que nous n’avons pas d’usines en France. Mais des fleurs, franchement… » Preuve qu’il n’y a pas qu’Amsterdam dans la vie, l’entrepreneuse va chercher ses nouveaux bouquets dans une ferme florale de Vitry-sur-Seine, à quelques minutes du périph' parisien. Pas vraiment l’endroit où on imaginerait voir des pétales, de la verdure et du beau.

Moins de consommation, plus de « slow flower »

Et pourtant, Félix, fondateur du lieu, navigue bel et bien entre les cosmos, les zinnias et autres didiscus, nouvelle démonstration tout en couleur de la diversité possible. Mais tout n’est pas rose quand on se lance dans la production locale. La ferme existe depuis deux ans et commence seulement à fournir une belle production. Certains mois sont quasi-vides de floraison - mai et juin notamment, et aussi détonant soit le spectacle dans le gris de Vitry, toutes les fleurs n’y poussent pas. Mais nouveau contraste avec le périphérique : ici, on fait l’éloge de la patience et du temps long.

La ferme florale de Vitry
La ferme florale de Vitry - La ferme florale de Vitry

Un mouvement « slow flower » qui nécessitera aussi quelques changements de la part du consommateur. « Les roses pour la Saint-Valentin ou même en hiver, il va falloir oublier, tranche Mathilde. Les lys, c’est possible d’en faire pousser trois semaines par an. Les orchidées, c’est niet. C’est comme tout, il va falloir apprendre à ne plus consommer n’importe comment. » Avant de rassurer, un poil cynique : « Je vous garantis qu’on peut vivre sans rose en février ».

Ce changement de paradigme, Mathilde y croit. Sur le chemin du retour, le coffre rempli de bouquets, son regard se porte au loin, moins fixé sur la route que sur le futur qu’elle s’imagine. « Là, on embarque des fleuristes dans le mouvement en tant que pionnières. Et quand la filière sera assainie, on se lancera dans un autre projet. » Après Miley Cyrus en intro, finissons par du pur produit local nous aussi. Edmond Rostand : « Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles ; Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ».