INTERVIEW« Les gens conservent une grande confiance dans la monnaie physique »

« Les gens utilisent moins les espèces, mais ne veulent pas qu’on les abandonne », pointe le PDG de la Monnaie de Paris

INTERVIEWDepuis sa création en 1973, le site de Pessac de la Monnaie de Paris, qui fête vendredi ses 50 ans, a frappé quelque 57 milliards de pièces de monnaie courante, révèle le PDG de la Monnaie de Paris Marc Schwartz
Marc Schwartz, PDG de la Monnaie de Paris.
Marc Schwartz, PDG de la Monnaie de Paris.  - Monnaie de Paris / Monnaie de Paris
Mickaël Bosredon

Propos recueillis par Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • Inauguré le 3 septembre 1973, le site de Pessac de la Monnaie de Paris célèbre ce vendredi ses cinquante ans, et reste très actif puisqu’il devrait encore frapper cette année 1,3 milliard de pièces de monnaie courante.
  • Malgré la progression du paiement sans contact, Marc Schwartz reste confiant quant à l’avenir du site industriel de Pessac, puisqu’il relève une « stabilisation » de la production de pièces d’euros ces deux dernières années.
  • Le site de Pessac va toutefois se diversifier, puisque la Monnaie de Paris va lancer la création d’un « Campus de la Monnaie » destiné à accueillir des start-up et des laboratoires de recherche.

C’est une importante délégation qui va faire le déplacement, vendredi à Pessac (Gironde), non pas pour la venue du roi Charles III qui doit atterrir à l’aéroport voisin de Bordeaux-Mérignac aux alentours de 13 heures, mais pour la célébration des 50 ans du site de la Monnaie de Paris. Pour l’occasion, l’ensemble des 460 salariés de l’établissement public se retrouveront tous à Pessac, où travaillent au quotidien 175 personnes, chargées de frapper les euros pour la France, ainsi qu’une partie de la monnaie de pays étrangers.

20 Minutes a interrogé en avant-première le PDG de la Monnaie de Paris, Marc Schwartz, qui revient sur les projets pour le site de Pessac, et fait le point sur l’avenir du paiement en espèces, avec la montée en puissance du sans-contact.

L'usine de Pessac de la Monnaie de Paris a été inaugurée en septembre 1973.
L'usine de Pessac de la Monnaie de Paris a été inaugurée en septembre 1973. - Edouard Elias HK

Le site de la Monnaie de Paris à Pessac fête vendredi ses 50 ans. Un demi-siècle après sa création, quelle est l’activité de l’usine ?

L’usine de Pessac est toujours très active. La Monnaie de Paris frappe chaque année environ trois millions de pièces de monnaies de collection, notre site de Paris étant tourné vers les monnaies de collection en or, et celui de Pessac vers les monnaies de collection en argent. Pessac fabrique aussi les médailles souvenir que l’on trouve sur les sites touristiques et patrimoniaux. L’année dernière nous avons frappé cinq millions de ces médailles à Pessac. Mais l’usine de Pessac c’est avant tout celle, et la seule, qui frappe la monnaie courante. L’année dernière nous avons frappé 1,1 milliard de pièces, et nous devrions dépasser 1,3 milliard cette année. Cela représente pour moitié de l’euro à destination de la France, l’autre moitié étant des pièces pour l’exportation. En tout, cette usine a frappé quelque 57 milliards de pièces [francs, euros, et monnaie étrangère] depuis qu’elle est entrée en service le 3 septembre 1973.

L'usine de Pessac de la Monnaie de Paris frappe environ 500 millions de pièces d'euro par an.
L'usine de Pessac de la Monnaie de Paris frappe environ 500 millions de pièces d'euro par an. - Victor Point

Vous allez aussi vous diversifier, puisque vous vous lancez dans des projets immobiliers ?

Notre projet baptisé « Campus de la Monnaie » va permettre de mettre en valeur une partie de nos terrains inoccupés aujourd’hui. Ce campus est destiné à accueillir des start-up, des entreprises innovantes, des laboratoires de recherche, de l’activité industrielle, et des bureaux, à l’horizon 2027. Nous travaillons par exemple en lien avec Unitec, l’incubateur de Bordeaux Métropole. La surface, à terme, pourrait atteindre 45.000 m2. Les études sont lancées et nous avons avec l’architecte Dominique Perrault fait une étude préalable pour concevoir la structure d’ensemble du projet, qui aura une très belle signature architecturale. Le lieu, réalisé par le cabinet bordelais Salier-Courtois-Lajus, élèves de Le Corbusier, a déjà une empreinte architecturale très marquée.

De quels pays le site de Pessac frappe-t-il la monnaie ?

En Europe, les grands pays ont leur propre capacité de frappe, mais ce n’est pas le cas de tous les pays. Nous exportons ainsi vers la principauté de Monaco, Andorre, Malte… Hors Europe, nous frappons les monnaies d’un certain nombre de pays africains, du Moyen-Orient et de l’Amérique Latine, comme le Costa Rica. Depuis que l’usine est entrée en service, nous avons frappé la monnaie d’une soixantaine de pays, ce qui représente 17 milliards de pièces étrangères.

Comment est-ce que l’on sécurise un site comme celui-ci ?

Le site est très sécurisé, évidemment. Il y a de nombreux dispositifs, comme un scan qui mesure le poids de métal que vous avez sur vous, et qui ne doit pas différer entre votre entrée et votre sortie.

On ne frappe plus de la monnaie aujourd’hui comme il y a cinquante ans, comment le site a-t-il évolué ?

Nous restons à la pointe de la technologie. Parmi nos nouveaux équipements, nous avons reçu par exemple un laser à haute capacité pour graver des coins, une ligne de personnalisation équipée d’un robot, des machines à usiner à commande numérique… Et nous travaillons depuis quelques mois avec l’intelligence artificielle pour la réalisation de certains dessins comme les visages car, pour des questions de droit à l’image, nous ne pouvons pas prendre le modèle d’une personne existante. L’intelligence artificielle nous permet d’être sûrs que le visage créé n’a jamais existé.

Le site de Pessac de la Monnaie de Paris grave cinq millions de médailles patrimoniales par an.
Le site de Pessac de la Monnaie de Paris grave cinq millions de médailles patrimoniales par an. - Victor Point

Avec la montée en puissance du paiement dématérialisé, va-t-on utiliser de moins en moins de pièces ?

Notre production de pièces d’euros qui avait diminué de 50 % en dix ans, passant d’un milliard de pièces par an à environ 500 millions, devait continuer à diminuer, or elle s’est stabilisée. C’est un paradoxe, car depuis le Covid nous assistons à une forte progression du paiement dématérialisé, comme la carte sans-contact et le téléphone portable. Mais nous constatons dans les grands pays une stabilisation de cette évolution, depuis un an ou deux. La circulation de la monnaie fiduciaire en euros a même augmenté de 21 % entre fin 2019 et août 2023. Cela représente 279 milliards d’euros, en pièce et en billets, en plus sur la zone euro.

Comment expliquer ce paradoxe, surtout lorsqu’on voit un pays comme le Danemark, où il n’y a plus que 12 % des transactions qui s’effectuent en cash ?

Il y a une très grande hétérogénéité dans les comportements de paiement entre les pays. Les pays scandinaves, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, sont descendus à 20 % de paiements en espèces, voire moins. Mais d’autres pays sont à des niveaux beaucoup plus élevés : la moyenne dans la zone euro est de 59 %, tandis qu’en France, en 2022, c’était 50 %. Certes, cela a baissé par rapport à la période d’avant-Covid, où nous étions à 79 % dans la zone euro, néanmoins les espèces restent le premier moyen de paiement dans les points de vente. Par ailleurs, dans les périodes de crise – qu’il s’agisse de crise financière, internationale, ou de catastrophe naturelle – les espèces représentent une réserve de valeur, et les ménages qui le peuvent ont davantage tendance à garder de l’argent avec eux ou chez eux. En cas de catastrophe naturelle, lorsque l’électricité est coupée dans une zone, les banques centrales sont obligées d’amener sur place des espèces par camions. Cela s’est fait dans le Sud de la France lorsqu’il y a eu des éboulements avec des inondations, il y a deux ans.

La guerre en Ukraine a-t-elle eu un effet ?

Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en 2022, les retraits d’espèces dans les distributeurs ont explosé en Pologne où ils ont été multipliés par 17 par rapport à 2021. On a constaté le même phénomène dans les autres pays limitrophes de l’Ukraine.

Les espèces ne sont donc pas près de disparaître ?

La population conserve une très grande confiance dans la monnaie physique, et les espèces continuent d’être très demandées. Quand on demande aux Français s’ils sont attachés aux espèces, ils répondent « oui » à 80 % et ils ne veulent pas, à une très large majorité, d’un monde sans espèces. C’est un autre paradoxe : les gens utilisent moins les espèces, mais ils ne veulent pas qu’on les abandonne.

Le site de Pessac a donc un bel avenir devant lui ?

J’en suis convaincu, même s’il y a certainement des choses que l’on fera moins. Il est probable que la Monnaie de Paris frappera davantage de pièces pour l’exportation que pour la France. Dans les pays émergents où nous sommes présents, la demande est toujours aussi forte. L’innovation, l’intégration de nouvelles technologies et le développement de nouvelles compétences projettent également le site de la Monnaie de Paris à Pessac dans les prochaines décennies.


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