Un ancien policier nous raconte pourquoi il a voulu mettre fin à ses jours

mal-être Environ 44 policiers se suicident chaque année en France, un taux 50 % supérieur à la population active française

Mathilde Kaczkowski
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Suicides dans la police : « Il n'y a plus de souffrance sur un coup de feu » — 20 Minutes
  • Plus de 1.100 policiers se sont suicidés au cours des 25 dernières années en France selon la mutuelle des forces de sécurité (MGP).
  • « 20 Minutes » a donné la parole à Vanessa, dont le mari s’est suicidé, et à Thierry Rolland, un commandant à la retraite qui a failli passer à l’acte durant sa carrière.
  • Pour libérer la parole, il l’évoque aujourd’hui ouvertement pour rompre la solitude des policiers en détresse. Un témoignage poignant, à retrouver dans la vidéo placée en tête de cet article.

Décider de partir. Délibérément, en un coup de gâchette. Nous sommes en 2018 en région parisienne. Jérôme n’y parvient plus. Asphyxié par des idées noires, le policier empoigne son arme de service et se donne la mort chez lui. Il avait 36 ans. « C’est moi qui l’ai découvert », relate sa femme Vanessa, d’une voix frêle.

Comme Jérôme, en moyenne 44 policiers mettent fin à leur jour chaque année en France, un taux 50 % supérieur à la population active française. « Il ne montrait rien, se rappelle Vanessa, elle aussi policière. C’était vraiment quelqu’un de joyeux, très attentif avec ses enfants et ses collègues. Il était toujours prêt à aider. Je ne pouvais rien lui reprocher. »

Une souffrance qui pousse à la mort

La mort, Thierry Rolland y a longtemps pensé. Au milieu des années 2000, le policier suffoque de plus en plus. « J’étais en dépression depuis plusieurs années. J’avais l’impression que ce mal-être ne se terminerait jamais, explique-t-il d’une voix calme. Je pensais que j’étais un poids pour ma femme et mes enfants. Pour moi, me suicider, c’était donc les libérer. » Pendant plusieurs mois, il imagine le scénario ; prépare son esprit à passer à l’acte : « J’avais mis plusieurs fois mon arme dans ma bouche sans cartouche ». Jusqu’à ce jour de trop, celui où le désespoir l’emporte sur le reste. Le policier s’isole chez lui et saisit son arme de service pour torpiller sa détresse. « On sait qu’il n’y aura plus de souffrances sur un coup de feu. » Alors que le trentenaire est sur le point d’appuyer sur la gâchette, son fils l’appelle : « J’entends sa voix et ça me coupe dans mon élan, détaille le commandant aujourd’hui à la retraite. En quelques secondes je réfléchis. Je me dis que je ne peux pas le faire. »

Une accumulation de traumatismes

Quand le désarroi isole de tout, d’autres se sont donné pour mission de l’accueillir. C’est le cas de Yohann Dechaine, président de PEPS - SOS policiers en détresse, une association dans laquelle des policiers bénévoles viennent en aide à des collègues. Chaque mois, ils gèrent entre une trentaine et une centaine de sollicitations, que ça soit par messages ou lors d’appels confidentiels.

Sur les causes du suicide dans la police, Yohann Dechaine invoque des raisons multifactorielles liées aux problèmes personnels et au travail. « Dans la police, on est confronté à la mort et à la violence. À force, on accumule des microtraumas en intervention qui peuvent mener jusqu’au stress post-traumatique » décrit le policier « Tout est lié. Souvent, la famille va être le facteur déclencheur du passage à l’acte. »

Quand on est policier, on a le revers de la société. »

Lorsque Jérôme mit fin à ses jours, l’homme cumulait quinze ans d’ancienneté dans la profession. Officier de police judiciaire de nuit, il s’occupait des enquêtes en flagrant délit dans plusieurs commissariats parisiens. Concernant les causes de son suicide, sa femme Vanessa évoque également une succession de traumatismes aussi bien sur le plan personnel que professionnel. « Quand on est policier, on a le revers de la société. Parfois, on peut aussi s’identifier à certaines affaires, explique la policière au téléphone. Et puis il y a eu les attentats. » Le 13 juin 2016, le symbole de l’uniforme est frappé en plein cœur. Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, un couple de policiers, sont assassinés à l’arme blanche à leur domicile à Magnanville par un djihadiste. « Ça l’a profondément choqué. On habitait à 10 minutes. Quand je rentrais, il me disait toujours de surveiller autour de moi. » Moins d’un an plus tard, le 20 avril 2017, la série noire continue. Un terroriste tue le policier Xavier Jugelé et blesse deux de ses collègues sur les Champs-Elysées à Paris. « Ça l’avait aussi affecté. Les Champs-Elysées faisaient partie de notre secteur de travail. » continue Vanessa.

Un viol c’est traumatisant, un viol d’enfant encore plus. »

Des traumatismes, Thierry en a vécu plusieurs dans son travail. Parmi ses souvenirs, une intervention ressort plus qu’une autre. Au début des années 1990, alors qu’il travaillait à la brigade anticriminalité de Saint-Denis, le policier est missionné après la disparition d’un mineur. « C’était l’enlèvement, la séquestration et le viol d’un enfant de cinq ans », raconte d’une voix nouée le commandant honoraire. Avec ses collègues, il parvient à interpeller en flagrant délit l’auteur des faits. La scène se fige dans sa tête, instantanément. « Déjà un viol c’est traumatisant, un viol d’enfant encore plus ». Sur le moment, le métier prend le dessus sur l’esprit. « On agit de façon professionnelle, car il faut protéger l’enfant et interpeller le prédateur. » Plus tard, l’enquête déterminera que l’auteur des faits allait tuer l’enfant. Un sentiment de satisfaction gagne aussitôt Thierry et son équipe. Ils ont sauvé un enfant de la mort. Mais une fois l’intervention terminée, que reste-t-il de ce souvenir tamponné dans la tête ? Pour le policier, le quotidien continue. Il n’en parle pas spécialement autour de lui et ne reçoit aucune aide psychologique. Il essaie de contrôler ces images comme il peut, les met sous le tapis. Près de dix années plus tard, sa tête marquera un stop franc et net.

Année 2003. En pleine nuit, un sentiment de malaise l’extirpe de son sommeil. Son corps se glace, sa respiration est précipitée, hachée. Thierry ne contrôle plus son corps. « À ce moment, j’ai l’impression de faire une crise cardiaque », décrit le sexagénaire. Le diagnostic finit par tomber : il souffre d’une dépression. Un éloignement familial et l’accumulation de traumatismes l’ont fait plonger. Durant ses phases dépressives, l’homme revit des scènes traumatisantes lorsqu’il s’endort. Il se débat, donne des coups dans son lit. Les images du viol refont surface en même temps dans ses cauchemars. « Je ne les avais pas évacuées de mon esprit », analyse Thierry.

Aujourd’hui, le commandant âgé de 60 ans se dit guéri depuis dix ans. Sa dépression est derrière lui. En phase avec lui-même, il aide désormais des collègues en détresse, en leur montrant qu’un autre chemin est possible.

• Si vous êtes en détresse et/ou avez des pensées suicidaires, si vous voulez aider une personne en souffrance, vous pouvez contacter le numéro national de prévention du suicide, le 3114.

Association SOS Policier en détresse - PEPS : Vous pouvez leur écrire sur leur page Facebook ou à l’adresse mail association@peps-sos.fr

• L’Association Nationale d’Action Sociale de la police nationale (ANAS) : 01.48.86.37.81