DéformationC’est quoi « Evras », ce cours en Belgique qui agite les extrémistes ?

Belgique : De la fake news aux écoles incendiées, des extrémistes religieux s’emparent d’un cours d’éducation sexuelle

DéformationLe projet « Evras » ne concerne au total que 4 heures sur toute la scolarité
Des écoles ont été incendiées et taguées à Charleroi et à Liège.
Des écoles ont été incendiées et taguées à Charleroi et à Liège. - /SIPA / SIPA
Xavier Regnier

X.R.

L'essentiel

  • Huit écoles ont été vandalisées en Belgique, dans un contexte de polémique sur un cours d’éducation sexuelle dénoncé par des associations religieuses intégristes.
  • A Bruxelles, 1.500 manifestants se sont ainsi rassemblés contre le projet « Evras » et un prétendu « guide satanique utile aux pédophiles ».
  • Pourtant, la réalité de ce cours déjà dispensé depuis 2012 est très loin des fantasmes véhiculés sur les réseaux sociaux, et ne concerne que les adolescents à partir de 11 ans.

La rentrée scolaire a été agitée, voire violente, en Belgique. Huit écoles ont été vandalisées en quelques jours en Wallonie, et environ 1.500 manifestants se sont rassemblés dimanche à Bruxelles, selon les médias belges. Dans le viseur de ces militants, issus de milieux religieux radicaux, catholiques et islamistes, figure la ministre francophone de l’Education, Caroline Désir (parti socialiste), qui dénonce « des actes terroristes inadmissibles », et un cours d’éducation sexuel nommé « Evras ».

Des inscriptions contre ce cours ont été retrouvées sur au moins quatre des six écoles de Charleroi incendiées, indique ainsi le procureur de la ville, Vincent Fiasse. D’autres écoles ont été prises pour cibles à Liège. Quel est ce cours qui provoque la colère des milieux conservateurs ? Quelles fake news ont circulé à son sujet, alimentant les réactions des parents d’élèves ? Comment le gouvernement belge tente-t-il de gérer la polémique ? 20 Minutes fait le point pour vous.

C’est quoi ce « Evras » ?

Le sigle désigne le cours d'« Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle ». Déjà obligatoire en théorie depuis 2012, son organisation relevait des directeurs d’établissements, qui ne disposaient pas toujours de moyens pour l’assurer. La ministre francophone de l’Education, Caroline Désir, a donc renforcé le dispositif en publiant un décret après un vote le 7 septembre du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il consiste en deux séances de deux heures, la première pour les élèves de 11-12 ans, la seconde pour ceux de 15-16 ans, soit quatre heures au total sur l’ensemble de la scolarité.

Le but est de « rassurer les élèves sur des questions qu’ils se posent à la puberté », explique la ministre, et de « les protéger de situations potentiellement dangereuses ou problématiques ». Parmi les thématiques abordées, le sexisme, les stéréotypes de genres ou encore la pornographie, à laquelle les enfants sont exposés de plus en plus jeunes sur Internet. Un guide de 300 pages, réalisé par 150 experts, sert de ligne conductrice au cours pour répondre au mieux aux questions des élèves.

Qu’en disent les détracteurs ?

Le projet a été victime d’une « campagne de désinformation », selon la ministre. « No Evras, sinon les prochains, c’est vous », ont tagué les incendiaires sur une école. A Bruxelles, la manifestation de dimanche a rassemblé des membres de l’association catholique intégriste Civitas, des organisations islamiques, des activistes antivaccin et des climatosceptiques, adeptes de théories du complot. Dans la foule, certains disent avoir lu ou entendu parler d’un « guide satanique utile aux pédophiles », selon Le Monde. Le président de Civitas, Alain Escada, a lui dénoncé sur X (ex-Twitter) un « plan mondial promu par l’OMS pour installer un nouvel ordre mondial sexuel pervertissant les enfants ».

Six associations islamiques critiquent dans une lettre ouverte une entrave de la liberté parentale à « guider l’éducation des enfants conformément à leurs croyances », et une lettre comptant plus de 8.000 signatures a été publiée sur Cathobel, le site de l’Eglise catholique en Belgique, pointant le risque d’une « hypersexualisation » des enfants. Le rappeur Rhoff a également partagé une pétition contre le cours, dénonçant « la pédophilie et la perversion » portée par le projet. « J’ai lu qu’on allait apprendre aux enfants à se masturber, c’est complètement inadmissible de faire peur aux parents sur ce sujet », s’est indignée Caroline Désir sur la radio belge La Première. Sur les réseaux sociaux, des rumeurs d’incitation au changement de genre ou à la pornographie « dès l’âge de 9 ans » circulent aussi. Enfin, certains conspirationnistes accusent des responsables politiques d’avoir orchestré les incendies pour criminaliser les parents d’élèves hostiles au projet.

Comment le gouvernement belge tente-t-il de gérer la polémique ?

Les services de l’antiterrorisme et du renseignement suivent de près les rassemblements anti-Evras, indique le Centre national de crise. Le gouvernement fédéral s’est porté au soutien de la ministre francophone, le Premier ministre belge Alexander De Croo se disant jeudi « profondément choqué » de la polémique. La ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden, a quant à elle annoncé que la police fédérale était mobilisée pour aider les forces de l’ordre locales à protéger les écoles.

Caroline Désir elle-même multiplie les interventions dans les médias pour refaire de la pédagogie sur le projet, et a envoyé une circulaire aux écoles pour redonner des consignes, expliquant que le contenu du guide, sur lequel s’appuient certains détracteurs pour déformer des passages, n’était pas destiné aux élèves mais aux encadrants. « Etre animateur Evras, c’est apporter aux jeunes des informations éclairées mais aussi leur offrir un espace d’échange, de parole et de débat », témoignait par ailleurs une animatrice dans le journal Le Soir la semaine dernière.

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