rugbyMais pourquoi les Bleus ne collent jamais de raclées aux petites nations ?

France - Namibie : Mais pourquoi les Bleus ne collent jamais de raclées aux petites nations ?

rugbyUn sujet où l'on parle rugby, mais aussi philosophie
Damian Penaud inscrit le premier essai des Bleus lors de France - Nouvelle-Zélande en ouverture de la Coupe du monde, le 8 septembre 2023 au Stade de France.
Damian Penaud inscrit le premier essai des Bleus lors de France - Nouvelle-Zélande en ouverture de la Coupe du monde, le 8 septembre 2023 au Stade de France.  - AFP / AFP
Nicolas Camus (avec W.P.)

Nicolas Camus (avec W.P.)

L'essentiel

  • Le XV de France affronte la Namibie pour son troisième match de poule de Coupe du monde, jeudi soir, au stade Vélodrome de Marseille.
  • Une large victoire est attendue, même si historiquement, les Bleus ne mettent jamais de raclées aux nations les plus faibles, comme peuvent le faire régulièrement la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, l’Angleterre ou l’Irlande.
  • Tentative d’explication, avec d’anciens joueurs et un philosophe passionné de rugby (parce que oui, c’est un sujet quasiment d’ordre philosophique).

De notre envoyé spécial à Marseille,

Le rugby est tout de même un drôle de sport. Tous les quatre ans, il entreprend de réunir le monde entier, claironne que ce n’est jamais assez et qu’il faut ouvrir encore plus grand la porte, tout en prenant bien soin de laisser le pied derrière. Pour mieux s’étonner, après, que les petites nations se fassent rouler dessus et encaissent des branlées pas possible quand elles croisent la route des mastodontes du jeu. Cela arrive à chaque Coupe du monde, cette année encore avec cette pauvre équipe de Roumanie, écrabouillée 82-8 par l’Irlande lors du premier week-end avant de reprendre 76 points dans les dents par l’Afrique du Sud la semaine d’après.

La balade de santé irlandaise contre la Roumanie, le 9 septembre à Bordeaux.
La balade de santé irlandaise contre la Roumanie, le 9 septembre à Bordeaux.  - DANIEL VAQUERO/SIPA

Notons que si douloureuses soient-elles, ces fessées n’entrent même pas dans le top 10 all time de la compétition. Les All Backs avaient planté 145 points au Japon en 1995, 108 au Portugal en 2007 et 101 à l’Italie en 1999 ; l’Australie n’est pas mal non plus avec un sanglant 142-0 infligé à la Namibie en 2003 ; l’Angleterre a également franchi la barre des 100 à deux reprises, contre les Tonga (1999) et l’Uruguay (2003). Et la France dans tout ça ? C’est la question que l’on s’est posée avant de voir notre XV premium gambader contre la Namibie, souffre-douleur officieux de la noblesse rugbystique, ce jeudi à Marseille. Et c’est là que ça devient intéressant. Car il apparaît qu’une nation majeure résiste encore et toujours à la tentation.

« On est des Latins »

Pour être tout à fait honnête, on trouve dans les archives une anomalie, un 87-10 passé à la Namibie (oui, encore elle) en 2007. On mettra ça sur le compte de la colère. La semaine d’avant, les Bleus avaient perdu le match d’ouverture au Stade de France contre l’Argentine. « Ce jour-là, on voulait remettre les choses dans l’ordre, se remémore Yannick Jauzion, qui était de la partie. C’était un match pour se rattraper, se retrouver et prendre du plaisir. » Mais sinon, le Français préfère en rester aux alentours de la barre des 50 points, suffisante pour montrer qu’il est le patron sans étaler inutilement sa supériorité.

Alors vous vous demanderez « mais pourquoi ? ». Pourquoi les Blacks, les Boks, les Irlandais ou les Anglais collent des trempes régulièrement et nous non ? Certains appelleront ça de la faiblesse, on préférera parler de savoir-vivre. En réalité ? Ni l’un ni l’autre. « On est des Latins, on n’a pas cette discipline pour appuyer jusqu’au bout, avance Julien Pierre, l’ex-deuxième ligne aux 27 sélections. Si dans notre tête on imagine que l’adversaire est moins fort, on se relâche. On est comme ça. » C’est dit avec le détachement de celui qui ne s’étonne pas de voir les Bleus gagner moche contre l’Uruguay après avoir battu les Blacks la semaine précédente sans que personne ne puisse parler d’un exploit.

En connexion avec l’adversaire (quoi ?)

Ok, on tient une première idée. Julien Pierre développe : « On n’est pas capable de pratiquer ce jeu très méthodique, calculé, millimétré, comme peuvent le faire les Irlandais par exemple. En revanche, on est capable de marquer des essais comme contre les Blacks [lors du 40-25 en 2021] en partant d’une relance à la main depuis notre en-but. Ça, l’Irlande ne peut pas le faire. » On aurait donc affaire à une histoire de culture enracinée jusqu’à notre subconscient, qui veut que nous, Latins, s’adaptions au niveau de l’adversaire. Forts contre les forts, médiocres contre les faibles. Il y a des contre-exemples, bien sûr, mais la théorie tient debout. « Culturellement, on a plus de difficultés à assumer notre statut. Face aux équipes plus faibles, on est souvent moins efficaces », appuie l’ancien capitaine Thierry Dusautoir.

Face à ce sujet quasiment d’ordre philosophique, on s’est dit que la meilleure solution serait finalement de laisser faire un professionnel. Thierry Ménissier est philosophe et, ça tombe bien, un vrai passionné de rugby, qu’il a pratiqué pendant 15 ans. C’est même ce sport, par la complexité de ses règles et les relations humaines qui en font l’essence, qui l’a amené à la réflexion sur les choses de la vie. Cette question de la différence d’approche du jeu « interroge l’ethnicité profonde des nations », estime-t-il :

« Les Anglo-Saxons appliquent des procédures. Je travaille beaucoup avec des entreprises. Dans celles de culture anglo-saxonne, ces "process" sont exécutés à la lettre, parfois jusqu’à l’absurde. Les Français sont peut-être trop terre à terre, trop empathiques, trop à l’écoute. » »

Transposé au terrain, cela se traduirait chez les joueurs français par une sorte de connexion avec l’adversaire, une exaltation du « nous » indispensable pour faire un bon match de rugby, plutôt que du « je » à réciter son rugby tout seul dans son coin. « Il y a un dialogue, une empathie, qui font que la relation avec l’autre équipe va être symétrique dans l’excellence comme dans la médiocrité, reprend notre philosophe, auteur de Rugby à XV, entre philosophie et mythologie. Ça, c’est typiquement latin. »

Ces considérations peuvent paraître un brin pompeuses, mais c’est en creux ce que l’on peut déceler dans le discours de Charles Ollivon quand il a été interrogé mercredi sur la nécessité pour les Bleus de mettre une pilule à la Namibie. « Une victoire, oui. Un carton… On va d’abord s’appliquer à gagner le match, à construire notre victoire. » Le troisième ligne attache plus d’importance à « sortir du match avec la banane », à « profiter d’une belle soirée ». « On veut se régaler », finit-il par dire. Le plaisir avant l’humiliation, on sait avoir le sens des priorités.

NOTRE DOSSIER XV DE FRANCE

« Ce petit défaut français rend paradoxalement hommage aux nations faibles. Et d’ailleurs, il n’en est pas un pour moi, d’une certaine manière on magnifie la glorieuse incertitude du sport », observe Thierry Ménissier, vraiment pas fan de ces gros scores « qui font de la peine pour le rugby, finalement ». « On ne peut pas se réjouir de ça. Dans aucun autre sport se voulant une vocation mondiale on ne trouve une situation structurellement aussi inégalitaire, voire injuste. » On dit merci à la France, alors, de ne pas trop en rajouter. Enfin, jusqu’à ce qu’elle batte son record de points jeudi soir, tout du moins.