Diplomatie« Aucun chef d’Etat n’a l’écho » du pape, à l’influence pourtant limitée

Pape François à Marseille : « Quand le pape parle, on l’écoute », mais son influence politique reste « limitée »

DiplomatieA Marseille, le pape va tenter de sensibiliser Emmanuel Macron à l’accueil des migrants et à l’urgence climatique, mais un virage politique est improbable
Emmanuel Macron défend sa décision d'assister à la messe du pape François à Marseille #shorts
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • Le pape François est à Marseille, où il prononcera samedi le discours de clôture des Rencontres méditerranéennes, après s’être entretenu avec Emmanuel Macron.
  • En pleine crise des migrants sur l’île italienne de Lampedusa et après un été marqué par les conséquences du réchauffement climatique, le pape devrait aborder ces deux thèmes avec le chef de l’Etat français.
  • Mais le souverain pontife, chef d’une religion, peut-il avoir une influence politique sur les mesures prises par une République laïque et, plus largement, sur la scène internationale ?

Le temps fort de la visite du pape François à Marseille sera bien sûr la messe célébrée au stade Vélodrome, lieu de culte sportif reconverti en cathédrale le temps d’un week-end. Mais une séquence diplomatique attend aussi le chef du Vatican, accueilli à l’aéroport par Elisabeth Borne, qui s’entretiendra samedi avec Emmanuel Macron. Au menu de leurs discussions devraient figurer l’écologie et les migrants. Deux thèmes particulièrement d’actualité, entre un été marqué par les effets du réchauffement climatique et la crise migratoire à Lampedusa, mais aussi chers au pape. Le souverain pontife, chef d’une cité-Etat minuscule, peut-il peser diplomatiquement et influencer les plus grandes puissances ?

« L’essentiel de son rôle, c’est d’être le chef spirituel d’une immense communauté de 1,3 milliard de fidèles, aucun chef d’Etat n’a cet écho », répond à 20 Minutes Bernard Lecomte, journaliste et écrivain spécialiste du Vatican. Aujourd’hui, « 80 % des catholiques vivent dans l’hémisphère Sud », explique l’écrivain, citant « le Nigéria, l’Argentine, les Philippines, le Congo ». « Sa parole a une influence colossale dans ces pays », relayée par les évêques, « le vrai pouvoir dans l’Eglise et un extraordinaire réseau d’informateurs », et pas moins de « 600.000 bonnes sœurs dans le monde, en contact avec la population ». Mais si les mots du pape touchent les masses, il n’en est pas forcément de même avec les dirigeants du G20.

« Une éthique qui a une portée politique »

« Ce n’est pas un politicien », tranche Bernard Lecomte, mais le pape « défend des valeurs universelles qui englobent la politique » et sont « au-dessus » des intérêts des Etats, à commencer par « la primauté et la dignité de l’homme ». « Il propose une éthique qui a une portée politique », renchérit François Mabille, professeur de sciences politiques et chercheur à l’Iris, spécialisé dans la place des religions dans les relations internationales. Il profite pour cela du poids de l’Eglise, « une vieille institution qui estime qu’elle a un rôle à jouer ». Avec deux mille ans d’histoire derrière soi, « on n’écoute pas le pape comme on écoute le responsable d’une ONG née il y a dix ans », estime Bernard Lecomte.

Ainsi, le pape François s’était rendu au Parlement européen en 2014, visage d’une Eglise « tournée vers le futur », pour défendre « la manière dont l’Eglise et l’UE peuvent travailler ensemble autour de l’éducation, de l’environnement, des migrants et de la jeunesse », rappelle François Mabille. Il s’était aussi rendu sur l’île de Lampedusa en 2013, avant de se fendre de l’encyclique Laudato Si', « peut-être le texte le plus important » de son mandat, consacrée à l’écologie en 2015. Et quand le pape parle de l’accueil des migrants, « ce n’est pas pour faire plaisir ni embêter, mais parce qu’il estime que le sort des migrants est au-dessus de la politique politicienne », appuie Bernard Lecomte.

Ecouté, mais pas forcément entendu

Néanmoins, son influence est toute « relative » et sa « portée est limitée », juge François Mabille. « La Croix a récemment publié un sondage disant que 56 % des catholiques pratiquants ne connaissent pas l’existence de l’encyclique Laudato Si' », et les conditions d’accueil et de vie des migrants n’ont fait qu’empirer en dix ans à Lampedusa. Les discussions autour de leur accueil « sont déjà des négociations difficiles au sein même des Etats », et le Pape n’a pas de levier pour faire infléchir la position d’un Gérald Darmanin. Difficile donc d’imaginer un revirement ou une conséquence politique à l’entrevue du pape et d’Emmanuel Macron samedi matin.

« Il y a une écoute de la part d’Emmanuel Macron qui est incontestable, ils ont une certaine complicité », mais « cette complicité n’engage pas Emmanuel Macron, qui est à la tête d’une République laïque », insiste Bernard Lecomte. Le journaliste et écrivain cite l’exemple du débat sur la fin de vie, sur lequel « le pape a une position radicale » mais n’est « pas très écouté en France », où un projet de loi sur l’aide active à mourir est en gestation. Au sein du concert des nations, « quand le pape parle, on l’écoute ». Mais au moment d’appliquer ses valeurs, les puissants ne sont pas très pratiquants.