InterviewCe chef étoilé veut voir les étudiants cuisiner... Et manger mieux

« Un sac vide, ça ne tient pas debout »… Le chef étoilé Nicolas Carro veut voir les étudiants manger mieux

InterviewA la tête du chic hôtel de Carantec, le cuistot de 34 ans fait la tournée des restaurants universitaires du Crous de Bretagne pour un menu spécial
Le chef étoilé Nicolas Carro était au Crous de Rennes le 19 septembre 2023 pour cuisiner au restaurant universitaire L'Astrolabe où il a pu échanger avec des étudiants.
Le chef étoilé Nicolas Carro était au Crous de Rennes le 19 septembre 2023 pour cuisiner au restaurant universitaire L'Astrolabe où il a pu échanger avec des étudiants. - C.Allain/20 Minutes / 20 Minutes
Camille Allain

Propos recueillis par Camille Allain

L'essentiel

  • Le chef étoilé Nicolas Carro officiait mardi dans les cuisines du plus grand restaurant universitaire de Rennes sur le campus Beaulieu.
  • Au lieu des 55 couverts de son restaurant de Carantec, le chef a dû s’adapter aux contraintes d’un service de 2.000 étudiants.
  • Le chef breton espère partager son envie de cuisiner comme remède à l’inflation qui plombe les budgets étudiants.

C’était un peu comme le repas de Noël du collège, sauf qu’il n’y avait pas de papillote au chocolat en dessert. Mardi 19 septembre, les étudiants qui ont poussé les portes de l’Astrolabe du campus Beaulieu, à Rennes, ont eu droit à un déjeuner un peu spécial concocté par le chef Nicolas Carro. Propriétaire de l’hôtel de Carantec (Finistère) et fier détenteur d’une étoile au Guide Michelin, le cuistot de 34 ans a travaillé avec le Crous Bretagne avec l’objectif de proposer un menu différent, mais respectant les contraintes financières de l’administration. Au menu du jour : breizh wrap acidulé, taboulé aux saveurs bretonnes, filet de truite et gratin de topinambour ou duo de lentilles et blé. En dessert ? Une crème aux œufs « comme un souvenir d’enfance » ou un moelleux au chocolat. Pendant un mois, il abandonnera de temps en temps les cuisines de son restaurant de bord de mer pour s’essayer à la restauration collective.

Le chef étoilé Nicolas Carro et les équipes du Crous de Rennes proposaient notamment un moelleux au chocolat et des wraps végétariens à la bretonne.
Le chef étoilé Nicolas Carro et les équipes du Crous de Rennes proposaient notamment un moelleux au chocolat et des wraps végétariens à la bretonne. - C. Allain/20 Minutes

Habitué à se rendre dans les écoles primaires pour faire de l’éducation au goût, Nicolas Carro souhaitait cette fois passer un message aux étudiants, en les incitant à bien manger. A l’issue d’un service interminable qui a vu passer 2.000 étudiants, le chef a accepté de poser son regard sur la délicate question de l’alimentation des jeunes générations, confrontées à une inflation galopante qui dilapide leurs maigres économies. Un échange croustillant.

Vous venez de boucler votre service dans les cuisines du Crous. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

Le fait de ne pas voir la lumière pendant le service. J’ai commencé ici à 6h30 alors que dans mon restaurant, on n’arrive pas avant 9 heures. Quand on a lancé le service, j’avais l’impression de ne pas en voir le bout, d’avoir un flot continu. A un moment, j’ai levé la tête et on m’a dit qu’on avait fait 500 personnes et qu’il en restait 1.500 autres à arriver. Chez moi, j’ai 55 couverts par service et 15 cuisiniers pour les préparer. Ici, on était à peine une dizaine pour sortir 2.000 repas. Vous voyez vite la différence. J’ai vu le personnel cuire 200 kg de riz. Moi, ça, je ne sais pas le faire.

Vous avez uniquement pioché dans le catalogue du Crous ?

Oui et nous avons respecté le coût du repas, on ne voulait surtout pas le dépasser. On n’a pas changé les habitudes du resto U. J’ai juste demandé à mettre de la truite. On a réussi avec un producteur local. Je voulais faire découvrir ce poisson-là. Je ne voulais pas de saumon, je voulais un animal qui ait été nourri dans le respect du bien-être et qui n’a pas été gonflé aux farines animales.

Quel message souhaitiez-vous porter aux étudiants en venant ici ?

J’ai eu beaucoup de copains étudiants qui ont sacrifié un repas parce qu’ils n’avaient pas le temps ou parce que ça coûtait trop cher. Certains se disent que quand ils sautent un repas, ils vont faire des économies. C’est faux. Moi, je dis toujours : un sac vide ça ne tient pas debout. Quand on mange mal, on est tout de suite fatigué, on n’est pas bien. Je pense que pour étudier, il faut être en forme. Certains n’acceptent pas de prendre un petit-déjeuner et je peux l’entendre. Mais les repas du midi et du soir pour moi sont essentiels. En venant au Crous, je voulais dire aux étudiants de se laisser aller, de tenter des choses en leur apportant de la variété. Ce midi, on a tenté une purée aux topinambours. Et ça a marché.

Mais il y a une réalité économique qui rattrape bien souvent les étudiants…

Je l’entends. Des fois, on se dit que manger pas cher, c’est manger des pâtes tous les jours. Ce n’est pas la réalité. Pour manger pas trop cher, les étudiants peuvent essayer le batch cooking. Ça consiste à cuisiner une bonne fois pour toutes le dimanche pour avoir tous mes menus de la semaine. Ça permet d’optimiser les aliments et de manger sain.

Voici l'un des repas étudiants servis dans un restaurant universitaire du Crous de Rennes à l'occasion de la venue du chef étoilé Nicolas Carro.
Voici l'un des repas étudiants servis dans un restaurant universitaire du Crous de Rennes à l'occasion de la venue du chef étoilé Nicolas Carro. - C. Allain/20 Minutes

Parfois, on se laisse aller à prendre une pasta box en se disant qu’on n’a pas le temps. Je n’ai rien contre mais ça vaut excessivement cher. On pense souvent que d’aller au marché, ça va nous coûter plus cher que d’aller dans des enseignes de discount. Avec le Covid, on a vu plein de gens aller dans les fermes mais ça s’est un peu perdu. Oui, il y a des prix déraisonnables mais on peut optimiser si on se met à cuisiner, même des choses simples.

Les années étudiantes sont parfois le théâtre d’habitudes culinaires douteuses. Vous, c’est quoi votre plaisir coupable ?

Je dirais le croque-monsieur. C’est simple, efficace. Pain, beurre, fromage, jambon, béchamel. Ça, c’est le vrai plaisir. Et puis ce n’est pas parce que je suis chef étoilé que je mange étoilé tous les jours. Ce que j’invoque ici et partout, c’est de faire simple, de se faire plaisir. Oui, ça m’arrive de manger des knacks réchauffées. Il y a des fois où je n’ai pas envie de cuisiner alors je me laisse aller. Oui, mon fils mange des bâtonnets de crabe et moi aussi. Il faut se laisser vivre, tout simplement. Il est important de bien manger mais parfois, il faut savoir faire simple.

La ministre Olivia Grégoire a évoqué la possibilité d’instaurer des cours de cuisine à l’école pour faire face à l’inflation. Que pensez-vous de cette possibilité ?

Le fait de se remettre à cuisiner est essentiel. Parce qu’on va se forcer à manger différemment, on va essayer de varier, de manger parfois végétarien. Quand j’ai commencé à cuisiner, je ne savais faire que la tarte aux pommes, et encore. Aujourd’hui encore, j’ai plein de copains qui me disent qu’ils ne savent cuire que des pâtes. Il y a une forme d’éducation à retrouver. Dans mon restaurant par exemple, il n’y a jamais de frites dans le menu enfant. J’ai parfois quelques scandales avec des parents mais pour moi, l’équilibre passe par là. Je suis parent aussi et si mon fils avait le choix, il mangerait des saucisses pâtes tous les jours et il serait heureux. Mais c’est notre rôle de leur amener le goût, de leur faire découvrir les produits. Dans les écoles primaires, les enfants sont très attentifs. Plus on commencera tôt, plus on leur donnera l’envie d’essayer.