VIOLENCES FAITES AUX ENFANTSEt Emmanuelle Béart a libéré sa parole sur l’inceste

« Un silence si bruyant » : Et Emmanuelle Béart a libéré sa parole sur l’inceste

VIOLENCES FAITES AUX ENFANTSDans un documentaire, qu’elle a coréalisé avec Anastasia Mikova, diffusé ce dimanche à 23h10 sur M6, l’actrice recueille des témoignages de victimes d’inceste et évoque les viols qu’elle a subis de ses 10 ans à ses 14 ans
Anastasia Mikova et Emmanuelle Béart, dans le documentaire « Un silence si bruyant » qu'elles ont coréalisé.
Anastasia Mikova et Emmanuelle Béart, dans le documentaire « Un silence si bruyant » qu'elles ont coréalisé. - Haut et Court / CipeM6
Fabien Randanne

Fabien Randanne

L'essentiel

  • M6 diffuse ce dimanche 24 septembre, à 23h10, Un silence si bruyant, un documentaire sur l’inceste coréalisé par Anastasia Mikova et Emmanuelle Béart. Plusieurs personnes y témoignent de ce dont elles ont été victimes.
  • Dans ce documentaire, Emmanuelle Béart évoque les viols incestueux dont elle a été victime entre ses 10 ans et ses 14 ans. « Dès le premier jour de tournage, Emmanuelle a compris qu’il était impossible qu’elle ne témoigne pas également », raconte Anastasia Mikova.
  • « Ce documentaire est l’une des plus belles, importantes et puissantes choses que j’ai vues de ma vie en vingt ans de combat judiciaire et de politique publique sur les violences faites aux enfants », applaudit le juge Edouard Durand.

La discrétion a été totale pendant les trois années qu’a duré le tournage. Et puis, le 5 septembre, à 10h, à l’auditorium de M6 où les journalistes ont été conviés à découvrir Un silence si bruyant, le visage d’Emmanuelle Béart apparaît à l’écran. On comprend alors qu’elle a coréalisé, avec Anastasia Mikova, ce documentaire sur l’inceste. Quelques minutes plus tard, on apprend qu’elle est elle-même concernée par le sujet, qu’elle a été victime d’un homme de sa famille - il ne s’agit pas de son père Guy, insiste-t-elle - de ses 10 ans à ses 14 ans.

Au même moment, le magazine Elle envoie aux médias l’entrevue exclusive que lui a accordée l’actrice - prévue pour son édition du 14 septembre - et dont une citation a été extraite pour le titre : « Pourquoi je me suis tue ». Un choix de titraille judicieux : le silence et la parole sont au cœur du documentaire, diffusé ce dimanche, à 23h10, sur M6.

Au début, Emmanuelle Béart n’avait pas envisagé de parler. Dans les premières minutes d’Un silence si bruyant, elle explique qu’elle portait en elle l’idée d’un tel projet depuis qu’elle a 19 ans. Elle a un temps songé à l’adaptation d’un livre en fiction. Cela ne s’est jamais concrétisé.

« Au départ, elle ne voulait pas témoigner, seulement coréaliser »

Sa rencontre avec Anastasia Mikova a été déterminante. Cette dernière parle d’un « coup de foudre humain ». Elle raconte : « Nous avons fait connaissance chez une de nos amies communes en 2020. Emmanuelle m’a dit avoir vu mon précédent film qui donnait la parole aux femmes du monde entier avec des témoignages face caméra. Elle s’était dit que, dans ma démarche, quelque chose correspondait à ce qu’elle recherchait. Au bout de dix minutes, elle me confiait l’inceste qu’elle avait vécu. C’était ma première soirée après les deux confinements, je venais d’accoucher, je n’étais pas du tout disposée à repartir sur un film tout de suite, notamment sur ce sujet. Et puis on s’est revues quelques jours plus tard et là, c’était une évidence : il fallait qu’on travaille ensemble. »

« Au départ, elle ne voulait pas témoigner, seulement coréaliser. On partait sur un film choral et collectif », poursuit Anastasia Mikova. Trois femmes et un homme devaient s’exprimer devant la caméra : Joachim, violé par ses deux parents, Norma, violée par son grand-père entre 3 et 12 ans, Pascale, violée par son père à 12 ans, et Sarah, mère d’une fillette que son ex-compagnon a violé de ses 4 ans à ses 8 ans. « Dès le premier jour de tournage avec Norma, Emmanuelle a compris qu’il était impossible qu’elle ne témoigne pas également », révèle la réalisatrice. « Confrontée à leur courage et à leur sincérité, je me suis dit que je devais parler, moi », déclare effectivement la comédienne en voix off au début du documentaire.

« On était dans une telle intimité, une telle proximité avec ces personnes… », avance Anastasia Mikova. « On m’a abordé de façon pudique », confirme Norma, 31 ans, approchée par la réalisatrice à la fin d’une représentation de Norma [le], un one-woman-show sur ce qu’elle a subi. « J’avais été contactée précédemment par Jean-Marc Morandini, et j’avais décliné l’invitation, précise-t-elle. Là, j’ai compris que ce ne serait pas voyeuriste. On venait me chercher sans me demander quelle était la couleur de la moquette mais ce qu’avaient vécu mon corps et mon âme et ce que je faisais pour survivre. »

« Les entretiens ont duré très longtemps »

« Pour moi, la clé, cela a été de prendre le temps de créer la confiance, expose Anastasia Mikova. On n’est pas dans un temps court où on arrive, on pose cinq questions, on fait la séquence sympa et on passe à autre chose. Les entretiens ont duré très longtemps. On est venues, revenues et on est restées en contact pendant tout ce temps. » Les deux réalisatrices apparaissent régulièrement à l’écran. Les discussions se font à bâtons rompus, comme des confidences entre amies.

L’objectif était d’être le plus pédagogique possible et de donner une réponse pertinente, développée, à travers chacun des témoignages, aux questions que peut se poser le grand public. Avec Pascale, qui a pris conscience de ce qu’elle avait subi en visionnant le film Les Chatouilles d’Andréa Bescond sorti en 2018, on comprend comment il est possible de faire un black-out pendant près de quarante ans sur des faits aussi traumatisants. Avec Sarah, on découvre avec effroi les failles des dispositifs de protection des enfants.

Surtout, on prend conscience de ce que signifie le « silence si bruyant » du titre. On apprend qu’un enfant qui n’est pas entendu lorsqu’il dénonce ce qu’il subit finit par se murer dans le silence. Mais même quand les victimes se confient à des proches, le plus souvent, « ça n’imprime pas », comme le déplore à l’écran Emmanuelle Béart. Elle parle des « cercles de silence » qui emprisonnent celles et ceux qui vivent l’inceste : « Il y a ton silence à toi [en tant que victime], le silence familial, le silence sociétal… »

« Ce documentaire est dans l’exactitude absolue »

« Ce documentaire est l’une des plus belles, importantes et puissantes choses que j’ai vues de ma vie en vingt ans de combat judiciaire et de politique publique sur les violences faites aux enfants, applaudit le juge Edouard Durand. Il est dans l’exactitude absolue. Tout est juste, et dans les émotions, et dans la réalité de ce que les personnes qui ont été victimes ont vécu et vivent. »

Le magistrat connaît le sujet : il est le coprésident de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (Ciivise) qui a rendu jeudi une analyse établie à partir de 27.000 témoignages. « Le documentaire de manière générale, et celui-ci en particulier, n’est jamais vain s’il est vu par au moins un être humain [victime d’inceste] qui se dira : "Je peux être vivant". Je suis marqué par l’omniprésence du champ lexical de la mort dans Un silence si bruyant. Il y a 5.5 millions de personnes [le nombre de Françaises et Français qui sont ou ont été victimes de violences sexuelles dans l'enfance], qui vont pouvoir dire : "J’ai des raisons de continuer de vivre." »

« Est-ce qu’on a envie de défendre nos enfants ? »

« On espère qu’en écoutant et en voyant ces témoignages, certaines personnes vont avoir un déclic, comprendre ce qu’il leur est arrivé ou dire "Je peux aussi parler", confie Anastasia Mikova. Depuis quelques années, de plus en plus de personnes prennent la parole. Il y a eu Camille Kouchner [autrice de La Familia grande], il y a eu une vague de réactions, c’est monté et puis c’est redescendu. Ces gens ont le courage de témoigner, Emmanuelle en parle pour la première fois, ce n’est pas juste pour dire "On est là" mais pour demander : "Y a-t-il une écoute ? Qu’est-ce qu’on entend de ces témoignages ? Est-ce qu’on a envie de défendre nos enfants ? " La réponse doit être sociétale et politique. »

C’est aussi ce à quoi exhorte Emmanuelle Béart dans le documentaire. Elle dit : « Il y a un temps de survie et un temps pour agir » et aussi « un enfant blessé peut devenir un adulte combatif ». Pour l’actrice, la lutte pour que les auteurs d’incestes soient condamnés (à l’heure actuelle, 70 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite et, quand il y a des poursuites judiciaires, seules 3 % des plaintes pour viol d’enfant donnent lieu à une condamnation) est devenue la bataille d’une vie. Elle ne se taira plus.

Sujets liés