PROCESAu procès de Magnanville, une trace d'ADN au cœur du dossier

Attentat de Magnanville : Un complice était-il dans la maison lors du double assassinat ? Le mystère de la trace d'ADN

PROCESMohamed Lamine Aberouz, soupçonné d’avoir été présent dans la maison lors des assassinats de Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider en 2016, est jugé à partir de ce lundi par la cour d’assises spécialement composée. Il n’a eu de cesse de nier.
Couple de policiers tué à Magnanville : Le récit des faits
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • A partir de ce lundi et pour dix jours s’ouvre le procès de l’attentat de Magnanville. Un commandant de police, Jean-Baptiste Salvaing, et sa compagne, Jessica Schneider, agent administratif au commissariat, ont été assassinés à leur domicile en juin 2016.
  • Si le terroriste, Larossi Abballa a été tué par le Raid, un homme, Mohamed Lamine Aberouz, est renvoyé devant la cour d’assises spécialement composée pour « complicité d’assassinats », « complicité de séquestration » et « association de malfaiteurs terroriste criminelle ».
  • L’accusé n’a eu de cesse de nier toute implication, affirmant que ce soir-là, il a fait des allers-retours entre son domicile des Mureaux et la mosquée. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Dans le cabinet de la psychologue, Mathieu, 3 ans et demi, s’empare toujours des mêmes figurines. Un personnage rouge qu’il désigne comme le « méchant tueur » et un autre petit bonhomme noir, armé de deux sabres. Les scénarios varient d’une séance à l’autre mais à chaque fois, le chevalier finit par tuer le méchant rouge. Seule reste la figurine noire. A la psychologue, le garçonnet explique que les « gentils » ne peuvent ni la tuer, ni la mettre en prison. Au fil des consultations, la professionnelle a élaboré deux théories. Soit il s’agit d’un personnage fictif avec lequel le « méchant » a été en interaction. Soit il représente quelqu’un qu'il a aperçu de manière furtive ; un individu qui, par exemple, est entré puis est ressorti rapidement de la maison.

Cette analyse intéresse tout particulièrement les enquêteurs et les magistrats. Car Mathieu est le seul témoin de l’assassinat dont ont été victimes ses parents, le 13 juin 2016. En début de soirée, Larossi Abballa, un terroriste de 25 ans, a poignardé son père, Jean-Baptiste Salvaing, à dix reprises devant la maison familiale de Magnanville, dans les Yvelines. S’il ne fait aucun doute que l’homme a été visé parce qu’il était commandant de police, les enquêteurs ignorent encore aujourd’hui pourquoi l’assaillant s’en est pris spécifiquement à lui. Le policier n’avait jamais eu affaire à lui, tant professionnellement que personnellement. Est-ce parce que sa femme travaillait également au commissariat des Mureaux, en tant qu’agent administratif ? Le terroriste est parvenu à entrer dans le pavillon et a égorgé, sous les yeux de son fils, Jessica Schneider. Dans sa vidéo de revendication, l’assassin filme l’enfant, prostré sur le canapé, et s’exclame : « Je ne sais pas encore ce que je vais faire de lui ».

Un accusé entré tardivement dans le viseur des enquêteurs

Larossi Abballa est mort, tué par le Raid peu après son acte. Mais au terme de plus de cinq ans d’investigation, un homme a été renvoyé devant la cour d’assises spécialement composée. A partir de ce lundi et pour dix jours, Mohamed Lamine Aberouz, un ami d’enfance de l’assassin, est jugé notamment pour complicité d’assassinats et association de malfaiteurs terroriste. Il est soupçonné d’avoir été présent, du moins un temps, dans la maison. En clair : d’être la figurine noire évoquée par Mathieu dans le cabinet de la psychologue.

Aujourd’hui âgé de presque 11 ans, il ne témoignera pas au procès. « On a voulu l’épargner, il reste très jeune, explique son avocate, Me Pauline Dufourq. On ne sort pas indemne d’un tel traumatisme mais dans son malheur, il a la chance d’être très bien entouré. » Il vit désormais chez sa tante, dans le sud de la France, à deux pas de chez ses grands-parents paternels. « Mes clients attendent ce procès autant qu’ils le redoutent. Ils espèrent avant tout obtenir des réponses à leurs questions et comprendre pourquoi c’est tombé sur eux. »

Le terroriste Larossi Abballa, auteur du double assassinat, revendique en direct ses actes.
Le terroriste Larossi Abballa, auteur du double assassinat, revendique en direct ses actes. - AMAQ NEWS AGENCY

Le nom de Mohamed Lamine Aberouz est arrivé relativement tardivement dans le dossier. Dans les premiers temps, les enquêteurs soupçonnaient son frère aîné, Charaf-Din, décrit comme le guide spirituel de Larossi Aballa. Les deux hommes ont été condamnés en 2013 pour leur participation à une filière d’acheminement de combattants djihadistes en zone afghano-pakistanaise. Malgré l’interdiction émise par la justice, ils sont restés en contact à leur sortie de détention. Surtout, le téléphone de Charaf-Din Aberouz « borne » à Magnanville à 23h42 le soir du double assassinat. Mais la vidéosurveillance de la mosquée est formelle : à 23h39, il sortait de la mosquée, aux Mureaux. Or, le trajet jusqu’au domicile prend 9 minutes. Après de multiples analyses, les enquêteurs en ont déduit que ce bornage non loin de la scène de crime s’explique probablement par un « délestage » de cellules téléphoniques.

Une trace ADN sur la scène de crime

C’est une autre expertise qui oriente les enquêteurs vers Mohamed Lamine Aberouz. Son ADN a été découverte sur le repose-poignet de l’ordinateur des victimes, celui dont s’est servi Larossi Abballa pour revendiquer son crime. C’est la seule trace de son ADN retrouvée dans la maison, sur des centaines de prélèvements. Il n’y en a pas non plus sur les victimes. Pourrait-il s’agir d’une contamination, comme n’a eu de cesse de l’affirmer le mis en cause ? Les deux hommes étaient proches et Mohamed Lamine Aberouz empruntait régulièrement la voiture du terroriste ; de nombreuses traces de son ADN y ont d’ailleurs été retrouvées. Mais les experts écartent formellement tout transfert ou contamination : la concentration d’ADN retrouvée sur l’ordinateur est supérieure à celle du véhicule. Une analyse que rejette la défense.

« C’est une trace isolée qui n’est corroborée par aucun élément du dossier. Elle a été retrouvée sur l’ordinateur, mais rien ne suggère qu’il s’en soit servi », déplorent ses avocats, Me Vincent Brengarth et Me Nino Arnaud. Et d’insister : « L’accusation n’est même pas capable d’expliquer la nature de sa complicité. » Ils rappellent qu’aucun témoin ne l’a vu sur place ou sortir de la maison. De même, si Larossi Abballa a été aperçu par des voisins surveillant la maison du couple, il était toujours seul. Quid du témoignage de Mathieu ? A sa tante, il a confié à plusieurs reprises avoir vu deux hommes. « Une autre fois, il m’a dit "il y en avait un qui voulait me tuer" et l’autre aurait dit "attend" ou "non pas encore" », a-t-elle raconté aux juges. Un témoignage que les avocats de la défense appellent à prendre avec « beaucoup de précaution », rappelant l’âge de l’enfant et la nature du traumatisme subi.

Un téléphone qui « borne » loin de Magnanville

Depuis sa mise en examen en décembre 2017, Mohamed Lamine Aberouz, tout juste âgé de 30 ans, n’a eu de cesse de crier son innocence, affirmant que ce 13 juin au soir, il a fait des allers-retours entre la mosquée et son domicile. Les enquêteurs ont bien noté que son téléphone « bornait » aux Mureaux et non à Magnanville. Mais selon eux, l’activité enregistrée sur son appareil n’impliquait pas forcément qu'il était en train de l'utiliser. En clair : ils ne peuvent exclure le fait que l’accusé a laissé son téléphone chez lui. Ils interprètent également le fait qu’il ait désinstallé l’application cryptée Telegram comme une volonté de cacher des messages.

Et c’est bien toute la difficulté de ce dossier : l’accusation est fragile et hormis la trace ADN, les éléments matériels sont rares. Certes, l’homme appartient à la même mouvance djihadiste. Il a été condamné à cinq ans de prison pour « non-dénonciation de crime terroriste » dans l’affaire dite des bombonnes de Notre-Dame. « On ne condamne pas pour des idées », insistent ses avocats, qui dénoncent une « falsification judiciaire ». Dans cette affaire, Mohamed Lamine Aberouz encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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