enqueteLes fausses alertes à la bombe donnent du boulot à la police

Fausses alertes à la bombe : «Un protocole strict à respecter»… Les évacuations de lycées donnent du boulot à la police

enqueteDepuis le début de l'année, 147 alertes à la bombe ont été recensées dans les établissements scolaires en zone police, dont un tiers depuis la rentrée de septembre
Des lycéens à Lyon, lors de la rentrée scolaire, le 4 septembre dernier (illustration)
Des lycéens à Lyon, lors de la rentrée scolaire, le 4 septembre dernier (illustration) - JEFF PACHOUD  / AFP
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Plusieurs établissements scolaires ont été évacués la semaine dernière en Seine-Maritime, en Seine-Saint-Denis, dans les Hautes-Pyrénées et les Yvelines suite à des menaces d’attentats.
  • Selon les informations de 20 Minutes, 147 alertes à la bombe ont été recensées dans les établissements scolaires en zone police depuis le début de l’année 2023, dont un tiers depuis la rentrée. Selon un décompte de l’Éducation nationale, il y en a eu 47 entre le 4 et le 20 septembre.
  • Instauration d’un périmètre de sécurité, évacuation des élèves et du personnel, intervention des démineurs… « Il y a un protocole extrêmement strict à respecter », explique à 20 Minutes Éric Henry, délégué national du syndicat Alliance Police Nationale.

«Allô, police ? ! Une bombe va sauter ce matin à 10h30 au cours Louis XIV. » Dans le film culte de Claude Zidi Les sous-doués, sorti en 1980, Daniel Auteuil campe le personnage de Bébel. Ce lycéen turbulent, scolarisé dans une boîte à bac versaillaise, a trouvé un stratagème pour que les cours soient annulés : une menace d’attentat. Quelques instants après avoir passé le coup de téléphone, pompiers et CRS débarquent dans l’établissement et évacuent élèves et enseignants qui se regroupent dans la rue, à proximité du château. Le commissaire de police, joué par Michel Galabru, finit par comprendre qu’il s’agit « d’une fausse alerte donnée par quelques potaches qui voulaient une journée de congés ». « Mais comme on se sait jamais, on va fouiller la maison », lance-t-il à ses hommes, avant de déplorer « une journée de perdue. »

Avec cette fausse alerte à la bombe, Daniel Auteuil a-t-il influencé des générations de lycéens et de collégiens cherchant un moyen facile pour sécher les cours ? Trente-trois ans plus tard, le même subterfuge est en tout cas régulièrement employé. Selon les informations de 20 Minutes, 147 menaces de ce type ont été recensées en zone police depuis le début de l’année 2023, dont un tiers depuis la rentrée. Et selon un décompte de l’Éducation nationale, il y en a eu 47 entre le 4 et le 20 septembre. « Elles sont aussi nombreuses que d’habitude, malheureusement. C’était le cas l’année dernière », a déploré jeudi dernier, sur RMC, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Et toutes ces menaces sont prises au sérieux par les autorités, « même si elles sont répétitives ».

« Oh la la ya les flics qui se ramènent »

Plusieurs établissements ont ainsi été évacués mardi dernier, un peu partout en France, après avoir reçu des menaces d’attentat. En Seine-Saint-Denis, la direction du lycée Paul-Eluard a été destinataire d’un email malveillant, signé par un pseudo-terroriste qui - chose étonnante - prévient avoir placé une bombe dans le bâtiment et annonce qu’il viendra « exterminer tous les kuffars demain avec (sa) kalachnikov en provenance du Yémen ramenés avec (ses) compagnons ». Vers 8h15, les quelque 1.800 élèves du lycée ont été évacués classe par classe et ont été regroupés sur un terrain de sport, tandis que les élèves d’une école primaire située à proximité ont été confinés. Le laboratoire central de la préfecture de police et des équipes cynophiles ont ratissé l’établissement sans qu'aucune bombe ne soit découverte. Les élèves sont retournés en cours dans l’après-midi.

La même scène s’est déroulée dans des collèges et lycées en Seine-Maritime, dans les Hautes-Pyrénées, dans les Yvelines ou dans le Val-de-Marne. Si le phénomène n’est pas nouveau, certains élèves filment désormais les évacuations et postent leurs vidéos sur les réseaux sociaux, donnant à ces alertes à la bombe un écho important. « On est encore évacué », rigole une lycéenne normande qui a diffusé les images sur X, anciennement Twitter. « Oh la la ya les flics qui se ramènent », commente un autre jeune qui a diffusé la séquence sur TikTok. Mais personne ne semble réellement stressé par la situation. « On n’a pas cours, yeeees ! » salue même un autre internaute dans son message posté sur le réseau social chinois.

Principe de précaution

« Il y a un protocole extrêmement strict à respecter », explique à 20 Minutes Éric Henry, délégué national du syndicat Alliance Police Nationale. « Le personnel et les élèves sont évacués, un périmètre de sécurité établi, le déminage se déplace. Une fois que le doute est levé, tout le monde regagne l’établissement, décrit le policier. Mais ça prend un temps fou, parfois plusieurs heures. Tout dépend de l’importance de l’alerte, de la configuration du site, de sa taille. Ces interventions nécessitent un déploiement de moyens humains et matériels souvent assez important. Mais on ne peut pas s’exonérer de ce principe de précaution, surtout avec le risque terroriste et la récente menace d’Al-Qaida. »

Et contrairement à Bébel, les auteurs ne se contentent plus de décrocher leur téléphone pour alerter les autorités. Dès la fin de l’année 2022, certains jeunes sont parvenus à pirater des espaces numériques de travail d’élèves pour diffuser des alertes à la bombe dans différents établissements scolaires en France. « Les alertes provenant alors d’un logiciel interne à l’établissement, elles étaient prises très au sérieux », a expliqué au Figaro le commissaire Christophe Durand, chef adjoint de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).

Des « gamins » inconnus de la police

Ce qui n’empêche pas les enquêteurs chargés des investigations de retrouver des suspects, souvent dans les jours qui suivent. Mercredi dernier, un jeune homme, tout juste majeur, a été interpellé par la PJ à Neuilly-sur-Marne et placé en garde à vue. Il est suspecté d’être l’auteur de la menace qui avait visé la veille le lycée Paul-Éluard à Saint-Denis. Le même jour, un mineur de 17 ans a été arrêté dans le cadre de l’enquête sur les menaces d’attentats contre des établissements scolaires normands. Plus au sud, dans les Hautes-Pyrénées, un élève de 20 ans, scolarisé en BTS informatique au lycée Marie-Curie de Tarbes, a été interpellé par la police après l’évacuation mardi de l’établissement.

« Il s’agit souvent de gamins qui ne sont pas forcément connus de nos services », confie à 20 Minutes une source policière. Leur motivation n’est pas politique. Pour ces jeunes, peu conscient des conséquences, il s’agit davantage d’un jeu. Ce qui n’est pas sans risque pour eux. La plupart des suspects sont poursuivis pour « menace de morts », « dénonciation mensongère » ou « atteinte à un système de traitement automatisé de données ». Ils encourent de lourdes peines.