interviewL’immobilier malade, pas de risque de contagion ailleurs… Pour l’instant

Immobilier : Le marché doit s’ajuster, sous peine « d’incidence inquiétante » juge une économiste

interviewStéphanie Villers, économiste chez PwC, estime que le marché de l’immobilier, en berne, est voué à s’ajuster. S’il n’y parvient pas, les conséquences pourraient être lourdes sur le long terme
Un appartement à vendre, dans le centre-ville de Lille (photo d'illustration).
Un appartement à vendre, dans le centre-ville de Lille (photo d'illustration).  - M.Libert / 20 Minutes / 20 Minutes
Octave Odola

Octave Odola

L'essentiel

  • Ventes en berne, taux d’intérêt élevés… Le secteur de l’immobilier tousse, et cette vilaine grippe peut-elle se propager à l’ensemble de l’économie française ?
  • Dans un contexte d’inflation de baisse des crédits bancaires, le marché doit s’ajuster face à des vendeurs « en perte de repères » selon l’économiste Stéphanie Villers.
  • Si la situation dans le secteur ne finit pas par s’améliorer, les conséquences pourraient être inquiétantes sur le long terme, selon l’économiste.

Les taux d’intérêt grimpent, les vendeurs peinent à vendre leurs biens et les acteurs de la branche s’inquiètent. Le secteur de l’immobilier ne se porte pas au mieux. Quand cette partie de l’économie flanche, toute l’économie est-elle en danger ? Eclairage avec Stéphanie Villers, économiste chez PwC France.

En quoi l’immobilier est un secteur économique clé dans notre pays ?

Le projet d’achat immobilier, c’est une véritable aspiration des Français. Environ 50 % des foyers sont propriétaires (N.D.L.R. 55,7 % des ménages en 2021 selon le ministère de la Transition écologique). En Allemagne par exemple, c’est moins le cas et l’impact est moindre chez eux, dans ce secteur. Les prévisions annoncent environ 900.000 ventes en 2023 contre 1,2 million l’année précédente. Le volume de crédits accordés a baissé de 40 % en un an, la capacité d’emprunt a été limitée par la hausse des taux. L’immobilier est le premier secteur touché depuis cette hausse des taux en juillet 2022.

La mauvaise forme du marché immobilier peut-elle couver une crise ?

La Banque centrale européenne (BCE) a augmenté ses taux en juillet 2022 pour réagir face à l’inflation. L’augmentation de ses taux s’est diffusée sur l’ensemble des taux d’intérêt (la consommation, l’immobilier, l’investissement pour les entreprises, la dette de l’état). Quand on hausse les taux, l’argent devient plus cher donc on est moins amenés à dynamiser l’activité économique. On est dans une situation charnière où les taux sont installés à des niveaux très élevés, causés par une hausse brutale.

Il faut que le marché de l’immobilier s’ajuste. Avec un coût d’emprunt plus élevé, il faut que les prix baissent. Aujourd’hui, les vendeurs conservent les repères passés, donc ils ne descendent pas leurs prix, les affaires ne se font pas. En un an, sur le même montant investi, les acheteurs ont perdu 18 mètres carrés. On peut comprendre une certaine forme de déprime. Pour avoir un nouvel élan, il faudrait que les prix de l’immobilier baissent de 15 %.

Les difficultés immobilières peuvent-elles se répercuter sur d’autres secteurs ?

Ça semble difficile de généraliser. Forcément, la construction, le premier secteur concerné, voit que la demande dans le secteur immobilier se comprime. Ce secteur doit aussi faire face à la hausse des matières premières pour leurs constructions. Pour eux, c’est la double peine. Si ce secteur est en situation récessive, ce n’est pas une bonne nouvelle, certes, c’est une phase de transition. Mais il y a d’autres problématiques plus urgentes, comme celle du pouvoir d’achat liée à la dépense courante des ménages.

Si cette phase de transition perdure, là, il faudra s’inquiéter ?

Si elle dure trop longtemps, ça deviendra préoccupant. Mais il faut aussi noter que certains ménages ont pu constituer une épargne, qui sera soit consommée, soit investie. Quand elle est investie, en général, les Français se tournent vers l’immobilier. Il y a ce matelas qui permet d’envisager un rebond dans ce secteur quand il y aura eu un ajustement.

En économie, tout est une question de confiance. Donc le projet d’accès à la propriété qui est une aspiration en France, ne doit pas être rendu impossible indéfiniment par les conditions de marché. Si ça l’est, alors il y aurait une perte de confiance qui pourrait se diffuser sur l’ensemble des comportements de consommation des ménages. Si on retire aux Français la capacité d’accéder à la propriété, là, ça peut avoir une incidence inquiétante sur le long terme.