reportage« L’école des XV », quand le rugby aide à lutter contre le décrochage scolaire

Coupe du monde : « L’école des XV », ou quand le rugby aide à lutter contre le décrochage scolaire

reportageCette association née à Aix-en-Provence propose à des élèves en difficulté du soutien et de l’aide au devoir, accompagnés de la pratique du rugby pour leur apprendre le goût du partage
Séance rugby à « l'école des XV », une association de lutte contre le décrochage scolaire.
Séance rugby à « l'école des XV », une association de lutte contre le décrochage scolaire.  - Ecole des XV / Ecole des XV
Nicolas Camus

Nicolas Camus

L'essentiel

  • Alors que le XV de France a élu domicile à Aix-en-Provence pour trois semaines, une association locale se sert du rugby comme d’un levier pour aider des collégiens en décrochage scolaire.
  • Baptisée l’Ecole des XV, elle a été créée en 2014 par le président du groupe Voyage Privé, également patron du club Provence Rugby.
  • Sport méconnu par ces enfants au départ, il leur apprend les bienfaits du travail collectif et le respect des règles, et leur permet in fine de se sentir mieux dans leur peau pour mener leur vie de collégiens.

De notre envoyé spécial à Aix-en-Provence,

Un peu en retrait de la rambarde, tous vêtus d’un t-shirt rouge, ils sont un petit groupe d’adolescents à se faire des passes avec un ballon de rugby en attendant que ça commence. Puis tous se rapprochent et ouvrent grand les yeux quand, enfin, les joueurs du XV de France font leur apparition sur la pelouse du stade Georges Carcassonne d’Aix-en-Provence, ce jeudi, pour un entraînement ouvert au public. Pas de bol, en cette fin d’après-midi brûlante, le soleil rasant qui leur fait face n’aide pas à bien voir les Bleus réciter leurs gammes. Pas trop grave, ils pourront en admirer quelques-uns de près à la fin de la séance. Charles Ollivon, Damian Penaud, Thomas Ramos, Jean-Baptiste Gros et Bastien Chalureau viennent jusqu’à eux pour signer des autographes et prendre des photos.

Les ados de l'association à l'entraînement public du XV de France, le 28 septembre à Aix-en-Provence.
Les ados de l'association à l'entraînement public du XV de France, le 28 septembre à Aix-en-Provence.  - Ecole des XV

« Je suis un peu déçue parce qu’il n’y a pas Antoine Dupont », souffle Célia. Le capitaine, absent en raison de sa fracture au visage, est le seul que ces onze enfants (neuf filles et deux garçons) connaissaient tous avant de venir. On n’a pas affaire là à de grands fans de rugby, mais l’essentiel pour eux est ailleurs. Ils sont élèves à l’Ecole des XV, une association aixoise qui lutte contre le décrochage scolaire avec l’aide du rugby. Elle est née en 2014 sous l’impulsion de Denis Philipon, président du groupe Voyage Privé et du club local de Provence Rugby. Lui qui a bien réussi dans les affaires sans avoir eu son brevet des collèges a voulu aider des enfants en difficulté à l’école, avec l’appui de son sport passion.

Le lendemain, on retrouve quelques têtes aperçues lors de l’entraînement dans les locaux de l’association, à l’ouest de la ville. Elle bénéficie des infrastructures de Voyage Privé et du club de rugby, dont l’équipe première évolue en Pro D2. Il est 13 heures, des ados sont en train de manger, à la même table que leurs éducateurs. C’est le « temps social », un des trois piliers du programme, avec le « temps scolaire » et le « temps rugby ». « Un moment très important de discussion, autour de sujets de sociétés (les attentats du 13 novembre, la guerre en Ukraine ou le harcèlement scolaire, par exemple) qu’ils n’abordent pas à la maison », explique Guillaume Gambaro, le responsable du développement.

« On demande un engagement très fort des familles »

Ces repas en commun servent même pour certains à apprendre à manger avec des couverts, à couper sa viande. Les 60 enfants inscrits (du CM2 à la 3e) viennent du quartier voisin de Jas de Bouffan, le plus grand d’Aix-en-Provence mais aussi le plus populaire. Beaucoup de familles, pauvres, se soucient du devenir de leurs enfants mais n’ont ni les moyens ni le bagage culturel pour les aider. C’est là que l’Ecole des XV trouve son utilité.

L’association s’est mise en relation avec les deux collèges du coin, Jas de Bouffan et Château Double. Ces derniers identifient les élèves les plus en difficulté et incitent les familles à aller visiter les lieux. Les ados les plus motivés par l’idée et qui ont le soutien de leurs parents peuvent alors s’inscrire, pour la somme symbolique de 25 euros par an (sachant que chacun coûte environ 5.000 euros l’année). « On demande un engagement très fort des familles, insiste Guillaume Gambaro. Ce n’est pas juste une heure de soutien scolaire et une heure de rugby de temps en temps. C’est un vrai investissement, les enfants viennent 12 heures par semaine, en plus de leurs cours au collège. »

Mais pourquoi le rugby ?

La moitié de ce temps se déroule le mercredi de midi à 18 heures, avec déjeuner sur place, une heure d’aide aux devoirs, une de soutien scolaire et deux de rugby. L’autre moitié se répartit entre les autres jours de la semaine, selon les emplois du temps. Les jeunes viennent également chaque première semaine des vacances. Pour les encadrer, deux éducatrices spécialisées, une éducatrice scolaire, deux éducateurs sportifs et un « chauffeur-éducateur » (pour amener les enfants depuis leur école) sont là à temps plein. Des salariés de Voyages Privés et de Provence Rugby viennent également sur leur temps de travail pour l’aide au devoir.

Dans ce fonctionnement, le rugby tient donc une place centrale. Pourquoi ce sport, au-delà de la passion du fondateur ? « Déjà, c’est un sport collectif, où l’on apprend à jouer avec l’autre, à partager, répond Pauline, une des éducatrices et elle-même joueuse au SMUC, à Marseille. Et ça reste un sport dangereux, si tu ne respectes pas les règles, tu peux te mettre rapidement en danger. Donc il y a un cadre à respecter. Tu ne peux pas avancer sur le terrain sans ton copain qui est derrière toi, qui te protège. » A chaque séance, un capitaine différent est désigné. A lui de veiller à la cohésion du groupe et – plus prosaïquement – que le vestiaire est rendu propre.

Ces affiches sont placardées sur les portes des vestiaires, dans les locaux de l'association.
Ces affiches sont placardées sur les portes des vestiaires, dans les locaux de l'association.  - N.CAMUS / 20 Minutes

Cette sorte de thérapie par le rugby n’avait rien de naturel pour ces ados, dont la majorité ne connaissait rien de ce sport avant d’arriver. Il était même une bonne raison d’hésiter à venir. Mais les doutes sont en général vite levés. « C’est notre rôle de leur expliquer, et au fur et à mesure ils voient ce que ça leur apporte, assure Pauline. Certains continuent de ne pas aimer le sport en lui-même, mais ce n’est pas grave, ils comprennent quand même et c’est le plus important. » « On travaille en groupe, on développe notre complicité, nous avait dit Célia lors de l’entraînement des Bleus. Finalement, on comprend que faire les choses tout seul c’est plus difficile. »

« C’est un sport qui change, note de son côté Talia, une élève de 4e, assise à un bureau. On dit tout le temps c’est foot pour les gars, gym pour les filles. Au collège, ça critique, mais on s’en fout. On joue garçon et filles ensemble, il n’y a pas de différence, moi ça me plaît. » A côté d’elle, Sabrina, 14 ans, ne savait même pas que ça existait. C’est maintenant la première chose qu’elle cite quand on lui demande ce qu’elle aime bien dans cette école. La deuxième ? « Les devoirs, répond-elle. J’avais besoin d’aide. Je sens que ça va mieux, surtout en orthographe, c’était vraiment pas ça et là je m’améliore. Je me sens bien quand je viens ici. »

« Une meilleure estime de soi »

C’est là la clé de cette asso, offrir à ces enfants un cadre rassurant, une place dans un groupe, pour au final « se sentir bien dans ses pompes et avoir une meilleure estime de soi », résume Guillaume Gambaro. Il y a de belles journées, comme quand cinq ados sont partis en Afrique du Sud en juillet dans le cadre d’un échange avec la Fondation du champion du monde Tendai Mtawarira, ou que d’autres sont invités au match des Bocks contre les Tonga au Vélodrome ce dimanche. Il y en a aussi des plus dures, et des histoires personnelles des enfants parfois « compliquées à absorber », comme dit Pauline. En tout cas, le cocktail semble fonctionner. « Avant, j’étais timide, je n’arrivais pas à parler à des gens que je ne connaissais pas, avoue Talia. Maintenant ça va mieux, à l’école ça se passe mieux aussi. J’ai encore des difficultés, mais moins qu’avant. »

Des collèges reviennent des retours positifs, assure le responsable du développement, notamment au niveau du comportement. Les squatteurs du fond de la classe font moins de bruit, les craintifs lèvent la main. Quant aux bulletins, certains s’améliorent un peu, d’autres restent bien en dessous de la moyenne mais au moins ne s’effondrent pas. « Ils étaient à 8 de moyenne, ils le sont toujours mais sans nous ils seraient à 2 ou auraient arrêté », veut croire Guillaume Gambaro. Parfois, des anciens passent une tête pour raconter comment se passent leur BTS ou leur apprentissage, et partager avec les plus jeunes. Une aide bienvenue pour éveiller des vocations et sortir du schéma classique des quartiers populaires : les garçons dans le BTP, les filles dans le sanitaire et social.

NOTRE DOSSIER SUR LA COUPE DU MONDE

Le modèle de l’école des XV commence à faire parler. Récemment, la Break Poverty Foundation, une organisation humanitaire qui entend lutter contre la pauvreté en s’attaquant à ses causes, a parlé d’elle comme d’une « référence ». Le concept est également remonté jusqu’à l’Union Européenne, qui verse depuis cette année une subvention importante. Cela va permettre à l’antenne d’Aix-en-Provence de continuer à faire des petits. Après l’ouverture d’une filiale à Marseille en 2016 puis à Saint-Etienne l’an dernier, trois nouvelles sont en discussion, dont une en région parisienne. Le rugby n’a pas encore fini d’aider à repêcher des enfants : on estime à 100.000 le nombre de décrocheurs scolaires chaque année en France.