Fake OffNon, un décret n’interdit pas d’arroser son potager avec de l’eau de pluie

Un décret interdit-il d’arroser son potager avec de l’eau de pluie ? Non, mais l’incompréhension règne

Fake OffUne volonté d’être clair dans un décret sur les usages non-domestiques des eaux usées traitées et des eaux de pluie a abouti à… tout l’inverse
des récupérateurs d'eau de pluie sont installés dans des jardins familiaux dans la Sarthe en juin 2022.
des récupérateurs d'eau de pluie sont installés dans des jardins familiaux dans la Sarthe en juin 2022.  - GILE Michel/SIPA / GILE Michel/SIPA
Emilie Jehanno

Emilie Jehanno

L'essentiel

  • Sur les réseaux sociaux, de nombreuses publications s’alarment d’un décret qui interdirait l’arrosage de son potager avec de l’eau de pluie.
  • Mais ce décret a été interprété de manière erronée, nous indique un avocat en droit de l’environnement et le ministère de la Transition écologique.
  • On fait le point.

On ne pourrait plus arroser son potager avec de l’eau de pluie. Voilà ce qu’affirment des publications virales sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Mais, en réalité, un décret du 29 août a été interprété de manière erronée, nous indiquent un avocat en droit de l’environnement et le ministère de la Transition écologique. Et le problème semble venir, à la base, d’une volonté de clarification juridique qui n’a visiblement pas fonctionné. Retroussez vos manches, on s’embarque dans les méandres de l’écriture d’un décret et de son interprétation en ligne.

Tout a commencé lorsque des professionnels accompagnant des projets d’autonomie en eau de pluie ont partagé leur inquiétude ou colère dans des publications en ligne. Sur YouTube, une vidéo avec Pierre Lécoleau et Benjamin Vialan, vue plus de 240.000 fois depuis le 24 septembre, dénonce ce décret qui, d’après leur interprétation, interdirait « bientôt » l’eau de pluie « dans les habitations et au potager ».

L’utilisation de l’eau de pluie « en danger » ?

Ils expliquent que l’utilisation de l’eau de pluie est « en danger » et appellent à défendre le droit fondamental de l’utiliser « avant qu’il ne soit trop tard ». Une pétition, qui a récolté plus de 9.000 signatures, a également été lancée contre ce décret qui « anéantit les usages domestiques de l’eau de pluie en France ». Pierre Lécoleau, le pétitionnaire, y voit « des erreurs d’écritures graves ». Il développe son argumentation dans un article de blog sur le site du réseau Perperuna, qui accompagne les projets d’autonomie en eau de pluie, et aussi dans la vidéo YouTube.

Ce sont les articles R. 211-126 et 127 qui inquiètent. Il est indiqué que l’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées « n’est pas possible » dans « les locaux à usage d’habitation », ni pour « l’arrosage des espaces verts des bâtiments ». Donc, s’indigne Pierre Lécoleau, « l’utilisation de l’eau de pluie ne serait pas possible dans les locaux d’habitation !!?? » et « on n’est plus censés pouvoir arroser [son] jardin avec [son] eau de pluie !!! ? »

Capture d'écran des deux articles du décret du 29 août 2023 et source des inquiétudes.
Capture d'écran des deux articles du décret du 29 août 2023 et source des inquiétudes. - Capture d'écran/Journal officiel

La colère devient virale

Cette interprétation du décret a ensuite été reprise dans les sphères souverainistes dans des posts très viraux sur X, TikTok ou Facebook, comme celui de Florian Philippot qui s’insurge contre les décrets « pour interdire l’usage domestique de l’eau de pluie, y compris pour les potagers ?! » dans un post partagé plus de 2.000 fois. Un autre post, partagé plus de 200 fois, dénonce une « manipulation » avec « l’interdiction d’utiliser les eaux de pluie ? », le décret doit être « corrigé ». « Interdiction de l’eau : Macron frappe encore » dénonce une autre publication partagée plus de 1.700 fois sur TIkTok.

Mais, comme l’explique à 20 Minutes maître Marius Combe, avocat en droit de l’environnement chez Hélios Avocats, le nouvel article R. 211-123 du Code de l’environnement issu de ce décret ne réglemente « que » les usages de l’eau de pluie et des eaux usées traitées non domestiques. Et c’est à partir de celui-là qu’il faut comprendre le reste du texte. Pour cette raison, « il est tout à fait logique que les articles R. 211-126 et R. 211-127 excluent certains usages, dans la mesure où ceux-ci sont régis par d’autres dispositions, le plus souvent issues du Code de la santé publique ».

« L’utilisation de l’eau de pluie pour les jardins reste possible »

Par exemple, « tout ce qui va concerner la réutilisation des eaux de pluie dans le cadre d’usages domestiques à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments sont encadrés par l’article L. 1.322-14 du Code de la Santé publique et un arrêté du 21 août 2008 ». Ainsi, « l’utilisation de l’eau de pluie domestique pour les jardins reste possible, insiste-t-il, rien n’a changé sur ce point. » La lecture qui consiste à affirmer le contraire est donc « erronée ».

Au fait, à quoi sert ce décret ? Il vise principalement à assouplir les procédures pour pouvoir réutiliser davantage les eaux usées traitées (REUT). C’est une des mesures du plan Eau, présenté le 30 mars. Il s’agit de permettre « d’économiser la ressource en eau », en utilisant les eaux sortant des stations d’épuration pour certains usages non-domestiques, explique un communiqué du 30 août du ministère de la Transition écologique.

Cependant, ce décret a aussi suscité de « l’incompréhension » chez les professionnels, constate, auprès de 20 Minutes, Thomas Contentin, président du syndicat d’industriels français de l’eau de pluie (Ifep). Son application pourrait restreindre certains usages non domestiques, craint-il, une inquiétude partagée par un autre syndicat l’Atep dans un communiqué.

Un décret qui n’a pas « vocation à régir les usages domestiques »

« Le décret final est relativement bien écrit d’un point de vue juridique, estime maître Marius Combe. Nous, professionnels du droit, avons l’habitude de travailler sur ce type de texte et de faire avec cette complexité. » Il reste cependant « un vide important » selon lui, en particulier s’agissant des usages dans les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Contacté par 20 Minutes, Pierre Lecoleau maintient son argumentation, craignant que les articles R. 211-126 et R. 211-127 interdisent les usages domestiques de l’eau de pluie. Il nous explique être en contact avec un avocat pour lancer un recours officiel auprès du Conseil d’Etat et « exiger la rectification » du décret.

Mais, ces deux articles sont, en fait, un rappel de ce qui n’est pas pris en compte : « À travers ce texte, le gouvernement a entendu régir exclusivement les usages non-domestiques, détaille maître Marius Combe. Il est donc normal que les usages domestiques ne soient pas concernés ! » Il y voit « un effort pédagogique » qui consiste à lister les usages qui n’ont pas vocation à être encadrés, ce qui semble être au cœur de l’incompréhension.

Une volonté « de clarifier au maximum »

Contacté, le ministère de la Transition écologique nous a confirmé cette lecture : « Les usages domestiques des eaux de pluie sont exclus du champ d’application du décret, dit autrement, le décret ne s’applique pas aux usages domestiques. » L’interprétation détaillée sur le blog de Perperuna, est, donc, « incorrecte », pointe le ministère.

« Il ne s’agit pas d’une erreur d’écriture, mais bien d’un souhait exprimé lors de nos échanges avec le Conseil d’Etat de clarifier au maximum le champ d’application des différents décrets qui porte sur des types d’eau et/ou usages différents », souligne-t-il. Vont être concernées par cette clarification les eaux usées traitées sorties de station d’épuration et les eaux de pluie pour les usages non domestiques, l’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine pour les usages domestiques et la réutilisation des eaux dans les industries agro alimentaires.

L’utilisation des eaux de pluie pour les usages domestiques, comme l’arrosage des potagers, reste « pour l’instant encadrée par l’arrêté du 21 août 2008 », nous précise le ministère de la Transition écologique. Mais il est amené à évoluer « dans les mois qui viennent » via la publication d’un décret et d’un arrêté. Qui espérons-le seront clairs pour tout le monde.


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