RECORDPourquoi on a du mal à croire au phénomène Kelvin Kiptum

Marathon : Pourquoi on a du mal à croire au phénomène Kelvin Kiptum

RECORDLe Kényan Kelvin Kiptum a battu dimanche le record du monde du marathon d’Eliud Kipchoge, en 2 h 00 min 35 sec contre 2 h 01 min 09 sec (à Berlin 2022). Une performance qui pose question
Kelvin Kiptum a tout pour passer sous les deux heures
Kelvin Kiptum a tout pour passer sous les deux heures - Getty Images via AFP / GETTY IMAGES NORTH AMERICA
William Pereira

W.P.

L'essentiel

  • Kelvin Kiptum a écrasé le marathon de Chicago en 2h00et35s, effaçant des tablettes son éminent compatriote Eliud Kipchoge
  • C’est la troisième victoire en autant de marathons pour le jeune Kényan de 23 ans, qui est invaincu sur la distance
  • Des performances qui interrogent, forcément

L’histoire est belle mais le scénario un peu réchauffé. Celle d’un gamin kényan de 13 ans repéré par hasard par un dénicheur de talents à force de suivre, sans chaussures, des coureurs aguerris après ses journées de travail. Elle est racontée par le Rwandais Gervais Hakizimana, entraîneur de Kelvin Kiptum, nouveau recordman du monde sur marathon en 2h et 35s. « « Quand on faisait des séances de côtes dans la forêt près de chez lui, il était petit mais nous suivait, pieds nus, après avoir gardé les chèvres et les moutons. C’était en 2013, il n’avait pas encore vraiment commencé la course à pied. »

Dix ans plus tard, Kiptum a à peine eu besoin de commencer le marathon pour dominer la distance, sur laquelle il est invaincu à 23 ans. Il a remporté les épreuves de Valence, Londres et Chicago, en améliorant à chaque fois son record personnel, désormais référence mondiale sur la distance (en 2 h 00 min 35 sec). Les amateurs de fables sportives apprécieront l’ascension météorique du jeune homme, les autres se laisseront tenter par la suspicion. On se range clairement dans la deuxième catégorie, et on vous dit pourquoi.

Un historique peu garni

Si on devait tenter la comparaison avec le cyclisme, où la suspicion existe autant sinon plus que sur fond, on pourrait l’assimiler à Jonas Vingegaard. Meilleur coureur sur grand tour depuis deux ans, le Danois manquait de références solides en étant plus jeunes à l’inverse, par exemple, de Tadej Pogacar. Pour Kiptum, c’est un peu pareil. Non seulement il n’avait jamais couru sur marathon avant décembre 2022 à Valence, mais en plus, ses performances sur les autres distances n’avaient rien d’hallucinantes. Il est d’ailleurs amusant de constater que, deux ans auparavant, le meilleur marathonien de la planète plafonnait à la 6e place du semi-marathon… de Valence (en 58’42, qui reste un excellent temps). Sa seule victoire sur la distance date de 2019 sur le semi du Lion, en France.

Les 10 meilleurs résultats de Kiptum en carrière toutes distances confondues
Les 10 meilleurs résultats de Kiptum en carrière toutes distances confondues - World Athletics (capture d'écran)

A titre informatif, Eliud Kipchoge a commencé sur marathon à 28 ans après un début de carrière marqué par des combats épiques face à Hicham El Guerrouj et Kenenisa Bekele sur fond et demi-fond. « Kipchoge, c’était un immense coureur sur piste, avec des références dingues, il a mis plusieurs années à passer sur le marathon, complète l’entraîneur de Morhad Amdouni, Jean-Claude Vollmer, dans Ouest-France. Là, un gamin arrive, on ne sait rien de lui. Dans les bilans de World Athletics (où il apparaît en 2018, avec un semi en 1 h 02’01’’ à Eldoret), on a une trace d’un 10 000 m en 2021 en 28’27’’, ce qui n’a rien d’extraordinaire. »

Les chaussures magiques ne sont plus une excuse

Les chaussures qui courent trop vite, plus personne n’y croit depuis la maternelle. Il y a bien eu une parenthèse en 2019, qui a remis la légende au goût du jour avec l’arrivée de la nouvelle technologie de Nike (lames en carbone, coussin d’air). Mais on peut - et doit - considérer qu’en quatre ans, tout le monde s’est mis aux super shoes et que le matériel ne suffit plus à expliquer que les records puissent tomber comme des mouches. Et ce, même si les entraîneurs continuent de se cacher derrière pour expliquer la progression exagérée de leurs athlètes. Sur la course féminine du marathon de Valence qui a révélé Kelvin Kiptum, l’Ethiopienne Amane Beriso avait couru en 2h14m58s alors qu’elle ne passait plus sous les 2h20 depuis une éternité. Devinez quelle explication magique a invoqué son coach ? Bingo, « les chaussures miracle ». Bref, si personne ne nie leur importance, celles-ci se sont imposées comme l’arbre qu’on aime ériger pour cacher la forêt suspicieuse.

Le Kenya embourbé dans une affaire de dopage d’Etat

Enfin, et c’est un problème qui dépasse de loin le cas de Kelvin Kiptum, le Kenya est en proie à un dopage d’Etat qui tend à décrédibiliser les performances de ses athlètes. Le Kenya est classé depuis 2016 dans la catégorie A des pays sous surveillance de l’athlétisme mondial et de l’Agence mondiale antidopage (AMA), aux côtés de pays comme la Biélorussie, l’Ethiopie, le Maroc ou encore l’Ukraine. Le pays d’Afrique de l’Est, avait échappé (de peu) en 2022 à une mise au ban par la Fédération internationale d’athlétisme grâce à l’annonce d’engagements fermes dans la lutte contre le dopage. Mais plusieurs dizaines de coureurs kenyans ont été suspendus après avoir été contrôlés positifs à des produits l’année dernière. Comme l’a dit le président des fédérations nationales d’athlétisme, Sebastian Coe, « le chemin sera long, il ne faut pas se leurrer, cela ne sera pas réglé du jour au lendemain ». Celui pour la crédibilité des performances surhumaines le sera peut-être plus.

Un message d’espoir, peut-être…

Le nouveau recordman du monde est, selon le story telling de son entraîneur, un immense bosseur, au-delà des limites. Alors que Kipchoge court entre 180 et 220 km par semaine, Kiptum avale, lui, plus de 250 km par semaine, parfois plus de 300, assure son coach, qui craint que son corps finisse par le lâcher. Quant à son apparition brutale sur marathon, elle ne sortirait pas tout à fait de nulle part, d’après Gervais Hakizimana : « En 2020 le Covid m’enferme au Kenya, j’y reste un an et je l’entraîne en forêt. Je courais avec lui, puis on avait attaqué un programme marathon en 2021. » Qui a plutôt bien fonctionné.