EXPULSIONEnvers et contre tous, le préfet du Nord réclame l’expulsion de Sana

Envers et contre tous, le préfet du Nord réclame l’expulsion de Sana, mariée de force en Syrie

EXPULSIONLorsqu’elle avait 15 ans, Sana a été emmenée par sa mère radicalisée en Syrie et mariée à un djihadiste. Rapatriée en France en janvier, elle risque désormais l’expulsion vers l'Algérie
Le camp Al-Roj où Sana et ses filles ont passé quatre ans avant d'être rapatriées, en janvier. Depuis la jeune femme est sous le coup d'un arrêté d'expulsion.
Le camp Al-Roj où Sana et ses filles ont passé quatre ans avant d'être rapatriées, en janvier. Depuis la jeune femme est sous le coup d'un arrêté d'expulsion.  - Delil souleiman / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le préfet du Nord a émis un arrêté d’expulsion vers l'Algérie visant Sana, jeune mère de famille de 24 ans, emmenée de force en Syrie par sa mère en 2014.
  • Si la jeune femme a toujours vécu en France, elle est de nationalité algérienne. Selon son avocate, sa mère a refusé qu’elle fasse les démarches lorsqu’elle était adolescente.
  • La commission d’expulsion des étrangers avait émis un avis défavorable à son renvoi vers l’Algérie. Son avocate va faire recours devant le tribunal administratif.

Le soulagement n’aura été que de courte durée. Treize jours, précisément. Alors que le 27 septembre, la commission d’expulsion des étrangers émettait un avis défavorable au renvoi vers l’Algérie de Sana *, le préfet du Nord a décidé de ne pas en tenir compte. Georges-François Leclerc a émis mardi un arrêté d’expulsion visant cette jeune mère de famille, emmenée contre son gré en Syrie lorsqu’elle était adolescente. Selon le haut fonctionnaire, elle représente une « menace grave pour l’ordre public ». Les trois magistrats de la commission – dont l’avis n’est que consultatif – avaient pourtant conclu l’inverse après analyse du dossier. « C’est de l’acharnement, vraiment. C’est incompréhensible… », déplore son avocate, Me Marie Dosé, qui s’apprête à déposer un recours devant le tribunal administratif.

Certes, comme l’écrit le préfet dans son arrêté, que 20 Minutes a pu consulter, Sana, aujourd'hui âgée de 24 ans, est bien « une étrangère en situation irrégulière ». La jeune femme est de nationalité algérienne. Elle n’a pourtant jamais mis les pieds dans ce pays - « même pas en vacances », insiste son avocate - et n’a aucune famille sur place. Elle a grandi à Roubaix avec ses frères et sœur, sous la coupe d’une mère radicalisée, qu’elle décrit comme maltraitante. A 13 ans, Sana, comme tous les enfants nés en France et résidant sur le territoire, reçoit une lettre lui indiquant qu’elle remplit toutes les conditions pour obtenir la nationalité française. Il suffit de faire régulariser son cas auprès de la préfecture. « Sa mère lui a confisqué le courrier, lui disant qu’il en étant hors de question », poursuit son conseil. Peu de temps après, l’adolescente est déscolarisée, isolée du reste du monde, entièrement voilée.

Sa famille est bien connue des services de renseignement : 23 membres - selon le décompte du préfet du Nord - ont rejoint l’État islamique dans le courant de l’année 2014. Son oncle, Fodil Tahar Aouidate, fait partie des onze Français condamnés à mort en Irak en 2019 pour trafic d’esclaves et connu pour ses liens avec Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur des attentats du 13-Novembre. « Sa mère était radicalisée, elle l’est toujours d’ailleurs. Elle a fait miroiter à ses enfants des vacances en Algérie pour tous les emmener en Syrie, en zone de guerre. Sana n’avait que 15 ans, elle n’a pas eu le choix de partir », insiste Me Marie Dosé. Quelques semaines après son arrivée, l’adolescente est mariée à un djihadiste belge avec qui elle a deux filles, aujourd’hui âgée de 7 et 5 ans.

« Sana n’a pas eu le choix de partir »

Après la chute de Baghouz en mars 2019, Sana et ses deux filles passeront près de quatre ans dans le camp de prisonniers d’Al-Roj. Quant à son mari, elle assure ne pas savoir ce qu’il est devenu. « Elle m’a contacté en cachette, contre l’avis de sa mère, poursuit l’avocate. Elle n’a pas eu le choix de partir mais elle a fait celui de rentrer. » En janvier 2023, la jeune femme embarque avec ses enfants en direction de Roissy. Dans son arrêté, le préfet reconnaît que Sana « a été emmenée » par sa famille sur une zone de guerre, qu’elle « a été mariée » - sous entendant donc qu’elle n’avait pas son libre arbitre –, mais estime que ses « cinq ans au sein d’une organisation terroriste » constitue une « menace grave et persistante ». Contactée, la préfecture n’a pas répondu à nos sollicitations.

Pas de mise en examen à son retour en France

A son retour en France, comme toutes les « revenantes », Sana a fait l’objet d’une garde à vue, à l’issue de laquelle elle a été laissée libre. Quatre jours passés au sein des locaux de la DGSI sans qu’aucun élément ne soit retenu à son encontre. « On était dans le cadre d’une procédure pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste, je vous assure qu’il ne faut pas grand-chose pour être mis en examen », précise son avocate. Dans l’enquête qui vise sa mère - cette dernière se trouve toujours dans le camp de Al-Roj - la jeune femme s’est d’ailleurs portée partie civile. Pourtant, à rebours de la décision du parquet national antiterroriste, le préfet estime « qu’à ce jour, il n’existe aucun élément probant prouvant une condamnation de sa part des actes de terrorisme commis par les membres de sa communauté ».

Le haut fonctionnaire rappelle qu’elle a fait l’objet d’une mesure individuelle de contrôle administratif, l’obligeant notamment à pointer tous les jours au commissariat. Celle-ci a été renouvelée en avril avant d’être levée trois mois plus tard. Aux yeux de Georges-François Leclerc, Sana dissimule sa radicalité. Il soutient notamment qu’elle est considérée comme une « affabulatrice » par les travailleurs sociaux qui la suivent. Ces derniers avaient démenti cette information lors de la commission d’expulsion des étrangers. « Les allégations de M. le préfet du Nord à cet égard ne sont corroborées par aucune pièce », avaient cinglé les juges.

Désormais, Sana est assignée à résidence, en attendant l’audience qui ne devrait pas avoir lieu avant plusieurs mois. Elle peut toutefois continuer à voir très régulièrement ses deux filles placées en famille d’accueil. Ces dernières sont les grandes absentes de cet arrêté. « Elles pourront la rejoindre si le magistrat l’autorise », balaye le préfet. « Ma cliente est très affectée par cette procédure, mais elle se bat pour ses filles qui vont vraiment de mieux en mieux », insiste Me Marie Dosé.

* Le prénom a été modifié

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