CAMPAGNEFrançois Ruffin, l’homme qui monte à gauche en vue de 2027

François Ruffin, l’homme qui « bosse », « crante » et « sédimente » pour 2027

CAMPAGNEA mesure que la direction de LFI s’enlise de polémique en polémique, François Ruffin apparaît comme le seul autre présidentiable à gauche
François Ruffin lors d'une manifestation des employés de Tereos, le 15 mars 2023. (archives)
François Ruffin lors d'une manifestation des employés de Tereos, le 15 mars 2023. (archives) - FRANCOIS LO PRESTI / AF / FRANCOIS LO PRESTI / AF
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Aujourd’hui, pour 2027 à gauche, il y a Jean-Luc Mélenchon et l’homme qui monte : François Ruffin.
  • Le député de la Somme séduit par son discours plus apaisé que le reste de La France insoumise.
  • Mais les écueils sont encore nombreux avant l’élection présidentielle de 2027.

«On doit mettre des mots forts sur des actes horribles, sinon notre parole est discréditée, moquée, enlisée dans des justifications byzantines, pas à la hauteur de la gravité des événements. Nous ne sommes pas le point de repère politique, diplomatique, moral, que nous devrions être. » Ces mots de François Ruffin dans une interview au Monde sur les attaques terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre ont de quoi surprendre. Oh, pas sur le fond : le député LFI de la Somme s’était déjà démarqué de la position de son groupe sur Twitter. Et se démarquer de son groupe, il en a l’habitude ces derniers mois. Mais sur la forme : « Ça ne lui ressemble pas du tout. D’habitude les bonnes idées viennent de lui, mais clairement pas sur ces sujets », nous assure quelqu’un qui a longtemps travaillé avec lui.

Et c’est vrai que, jusque-là, le député de la Somme avait plutôt tendance à botter en touche dès qu’on parlait international. Dès qu’on parlait d’autres choses que de sujets économiques et sociaux en fait. Mais quoi de plus normal ? François Ruffin fait aujourd’hui figure de vrai présidentiable à gauche, à peu près le seul à côté de Jean-Luc Mélenchon. Lui-même ne le dit pas aussi clairement mais avant l’été, il a appelé aux dons pour se constituer une équipe qui doit lui permettre de « changer de division » et jouer en Ligue des champions. Dans ce cadre, gagner en épaisseur, se densifier, s’ouvrir aux sujets essentiels d’une campagne présidentielle mais qui n’étaient jusqu’à pas les siens est une nécessité impérieuse.

Le « besogneux »

François Ruffin « bosse », François Ruffin est « besogneux ». C’est quelque chose qui revient beaucoup quand on parle de lui. De fait, entre sa première élection comme député, en 2017, et aujourd’hui, l’ancien journaliste s’est métamorphosé. Il y a six ans, il était l’un des fers de lance de la bruyante stratégie de La France insoumise, où le parti, malgré ses 17 députés sur 577, a réussi à se faire bien plus entendre que beaucoup d’autres. Aujourd’hui, au sein d’un groupe de 75 élus, désormais leader de la gauche sans pour autant changer de stratégie, le Picard apparaît comme un élément de modération, rassurant. Du maillot de foot à la tribune de l’Assemblée à président, il y a un gap énorme. Mais, pour le moment « dans les sondages, c’est net, il sédimente quelque chose », croit une proche.

François Ruffin n’a pas la notoriété d’un Jean-Luc Mélenchon, loin de là. Mais dans un monde politico-médiatique où il est terriblement difficile d’émerger pour le plus grand nombre, force est de constater qu’il existe. En visite au Sommet de l’élevage, à Clermont-Ferrand, la semaine dernière, trois députées insoumises en visite ont bien du constater que le nom de François Ruffin est revenu chez les exposants. « Je crois qu’il est en train de cranter quelque chose de solide dans l’opinion, glisse un cadre socialiste pourtant pas convaincu par la démarche. Moi je vois une Ruffin-mania qui commence chez les élus, chez les militants de gauche mais aussi des gens pas du tout politisés. »

La jouer plus collectif

« Quand on parle avec les gens dans la rue, son nom revient très souvent. Ce n’est quand même pas donné à tout le monde de remplir des salles un peu partout », note, pas mécontent, un des rares députés insoumis qu’on peut qualifier de « ruffiniste ». Mais pourquoi ? « Il est en prise avec le pays qui ne passe pas à la télé, juge une élue rurale de la Nupes. Il ne veut pas que la colère ou le sentiment d’abandon de cette France ne se transforme en nourriture pour Le Pen. Il est en capacité de rassembler le pays. »

Rien que ça. Avant, François Ruffin devra « régler son rapport au collectif », même parmi ses soutiens certains le trouvent trop perso. La confirmation de la « Ruffin-mania » que certains décrivent devra aussi passer par le dépassement de la figure de Mélenchon. On se demande, en effet, si le succès d’estime de François Ruffin n’est pas en grande partie l’effet d’aubaine d’offrir une alternative à celles et ceux qui veulent comme candidat commun de la gauche en 2027 tout sauf Mélenchon. Certains écologistes, par exemple, n’ont que le nom de François Ruffin à la bouche alors qu’il reste encore l’une des personnalités de gauche qui parle le moins d’écologie.

« A LFI, ils veulent le tuer »

D’autres, d’ailleurs ne tombent pas sous le charme. Au PS, où il a donc pas mal d’aficionados aussi, certains cadres pensent qu’il est parti beaucoup trop tôt. « Vous vous rendez compte, il reste quatre ans. Quatre ans à devoir intéresser les journalistes. Ils vont le rincer bien vite. Ruffin, je ne le trouve pas assez solide. Assez insipide, il a du mal je trouve », croit l’un. « On dit qu’il se prépare mais moi je ne vois rien, remarque un autre qui pourrait pourtant se laisser séduire. On a l’impression qu’il est seul et un peu velléitaire : est-ce qu’il préfère être un influenceur ou un premier rôle ? » De toute façon, croit le même, la suite pour François Ruffin doit passer par « un acte d’autorité, il doit comprendre qu’il n’a plus rien à faire à LFI. Ils veulent le tuer, ils lui fileront jamais les clés du camion ».

C’est là qu’est l’os. Officiellement, dans le sillage d’un Jean-Luc Mélenchon très fier que son mouvement ait deux vrais présidentiables, on se félicite de la percée de François Ruffin. Alors, la direction de LFI est-elle prête à faire la campagne Ruffin 2027 ? « C’est trop tôt pour répondre, c’est un scénario fictif pour le moment, estime un cadre du parti. Quelle sera la configuration politique ? Et puis sur quelle orientation de campagne ? François est vu comme quelqu’un en capacité d’élargir, mais a-t-il déjà le périmètre de Jean-Luc Mélenchon ? » Les choix stratégiques déplaisent fortement aux plus mélenchonistes : lui veut pousser son avantage dans les banlieues populaires, Ruffin croit que les réserves de la gauche sont dans les classes populaires rurales, qui votent RN. Dans les faits, chaque faux pas du candidat putatif est sévèrement puni par la direction insoumise.

Comme lorsque en juin dernier François Ruffin s’est pris les pieds dans le tapis lors d’une interview matinale sur la gestation pour autrui (GPA), le changement d’état civil des personnes trans. Au nom d’un « apaisement de la société », il avait considéré que ces sujets pouvaient attendre, en contradiction avec le programme de La France insoumise. La députée de Paris proche de Jean-Luc Mélenchon, Sophia Chikirou, avait critiqué au minimum « une maladresse » de son collègue, au pire « une faute ». Dès le lendemain, François Ruffin avait admis son erreur en expliquant que « sur ce sujet, comme sur pas mal d’autres, en toute humilité, je dois progresser ». C’est tout l’enjeu de la « densification » que doit opérer le député. « Croyez-moi, ça lui est arrivé une fois, il va tout faire pour que ça ne lui arrive pas deux », assure une proche.

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