rugbyLe public français sera-t-il au rendez-vous dans les moments chauds ?

France-Afrique du Sud : Le public français sera-t-il au rendez-vous dans les moments chauds ?

rugbyDepuis le début de la Coupe du monde, le XV de France peut compter sur un soutien massif en tribunes… qui ne demande qu’à s’organiser pour vibrer encore plus
Des supporters du XV de France dans les tribunes du Groupama Stadium lors de France-Italie à Lyon, le 6 octobre 2023.
Des supporters du XV de France dans les tribunes du Groupama Stadium lors de France-Italie à Lyon, le 6 octobre 2023.  - Mourad ALLILI/SIPA / SIPA
Nicolas Camus

Nicolas Camus

L'essentiel

  • Le XV de France défie l’Afrique du Sud, ce dimanche soir, en quart de finale de la Coupe du monde.
  • Pour ce choc, les Bleus pourront encore compter sur un public bouillant pleinement acquis à leur cause, comme lors des quatre matchs de poule à Paris, Lille, Marseille et Lyon.
  • Si le public joue pleinement son rôle et est rempli de bonnes intentions, l’ensemble manque toutefois d’organisation et de variété dans les chants. Un constat qui a mené à la création d’un groupe officiel de supporters, encore embryonnaire.

Se balader autour du stade avant un match des Bleus, c’est une vraie immersion dans la palette bigarrée de symboles de notre beau pays. On y rencontre des Obélix, des bandes de Dupont en costard avec le 9 dans le dos, des crêtes de coq un peu partout, des gens qui n’ont pas froid en lycra bleu-blanc-rouge, des maquillages plus élaborés les uns que les autres… Bref, les mille et une façons de se mettre aux couleurs de la France.

Des déguisements qui dépeignent un état d’esprit festif, prêt à s’emballer et à faire du bruit pour pousser le XV de France. C’est un fait, depuis le début de cette Coupe du monde, Fabien Galthié et ses joueurs ont pu goûter de sacrées belles ambiances, que ce soit à Paris, Lille, Marseille ou Lyon. « Une atmosphère dingue, complètement folle », avait salué l’ancien sélectionneur All Black Steve Hansen après le match d’ouverture. C’est encore monté sur les matchs suivants, et pour le quart de finale de dimanche contre l’Afrique du Sud, on imagine des sommets de décibels jamais atteints.

Les Springboks prennent d’ailleurs ça très au sérieux, puisqu’ils se sont entraînés cette semaine avec des enceintes crachant du gros son. « On a essayé de reproduire l’ambiance, pour que ça ne nous surprenne pas », reconnaît le talonneur Bongi Mbonambi. « Ils ont dû voir nos derniers matchs, et puis ils ont connu le Vélodrome l’année dernière aussi, l’ambiance ce jour-là incroyable », se souvient Thomas Ramos. C’est vrai, tous les Sud-Africains passés en conférence de presse cette semaine y ont fait référence. « J’étais en tribunes, on n’arrivait pas à se parler », atteste le troisième ligne Jasper Wiese.

Pourtant, pour avoir assisté aux quatre matchs apéritifs des Bleus, un truc saute aux oreilles au milieu de ce vrombissement. Il est résumé par Stéphane, qui était dans les tribunes lors de France-Nouvelle-Zélande : « Les gens sont fans de l’équipe nationale, ça se sent, mais c’est très désorganisé. Au niveau des chants, à part "Allez les Bleus" et la Marseillaise, bon… Pour l’instant ça fait du bruit, mais il manque quelque chose. » On confirme, ce soutien massif prend souvent la forme d’un fatras un peu confus et redondant. Tout ça manque clairement de structure.

Culture du chant

Kévin (l’homme en bleu du trio bleu-blanc-rouge dans la vidéo ci-dessus) l’a ressenti également lors de la rencontre entre la France et l’Italie à Lyon, la semaine dernière. Habitué des matchs de rugby, notamment en Grande-Bretagne lors du Tournoi des VI Nations, il regrette « la pauvreté de notre répertoire par rapport aux nations britanniques ». « En Ecosse, au pays de Galles, les mecs ont une dizaine de chants différents, reprend-il. Là on a Gala (« Free From Desire ») ou la Goffa Lolita (de Vincent Colonna, alias La Petite culotte) qui prennent un peu, mais difficilement. »

Dans la BO de ce Mondial, on citera aussi « La Peña Baiona », même si personne à part les Basques ne peut aller au-delà du refrain, et « Dans les yeux d’Emilie », hymne officieux dans les stades et les ferias du sud-ouest depuis des années et qui est en train de se découvrir un destin national. Mais rien de bien établi ni clairement estampillé XV de France pour le moment.

Ambiance aux abords du Groupama Stadium de Lyon avant France-Italie, le 6 octobre 2023.
Ambiance aux abords du Groupama Stadium de Lyon avant France-Italie, le 6 octobre 2023.  - 20 Minutes

Ce constat, cela fait déjà un moment que Franck Lemann l’a fait. Figure incontournable du Stade Français, il est aussi le président de la peu connue Fédération française des supporters de rugby (FFSR). Pour offrir aux Bleus le soutien qu’ils méritent, il a fondé il y a quelques mois avec ses collègues un groupe officiel de supporters du XV de France, nommé « Cœur rugby France », un peu à l’image des « Irrésistibles Français » pour les Bleus du foot. « L’idée est de pouvoir regrouper les gens qui ne se reconnaissent pas dans des groupes de supporters d’un club. J’en rencontre plein quand je vais dans les stades, pour le Tournoi ou les test-matchs », explique-t-il. Une initiative montée avec l’œil bienveillant de la FFR, qui s’est elle aussi rendu compte du vide à ce niveau.

« Dans les pays anglo-saxons, il n’y a pas de groupes officiels mais ils n’en ont pas besoin, ils ont une vraie culture du chant de supporters, observe Franck. Ce n’est pas le cas en France. Il faut la créer. Les Irlandais, ils chantent dans les bars, partout, tout le temps. » Stéphane confirme. Il a fait deux matchs de la bande à Sexton au Stade de France, dont celui contre les Boks. « La meilleure ambiance » qu’il ait connue en plusieurs dizaines de matchs dans l’enceinte de Saint-Denis, « et de loin ».

Quel répertoire, alors ?

Pourtant, il faut se lever de bonne heure pour faire partir un chant dans ces travées. « Le son est vraiment pourri, lâche notre supporter. A 20 mètres tu n’entends pas les types, c’est une catastrophe. » Le seul moyen de s’en sortir ? Un répertoire bien identifié et une masse de choristes imposante et motivée pour que les chants se répandent comme une traînée de poudre. « Il faut des gens qui savent les lancer, aussi, mais on en a des capos, on est équipés, soutient Franck Lemann. Reste à se faire connaître et rassembler les abonnés. Plus on sera nombreux, plus on sera efficaces. »

L’idée d’un groupe de supporters fédérateur pour lancer le mouvement fait saliver Kévin. « Ça marche assez bien pour le foot maintenant, et nous en rugby on est censés avoir une image beaucoup plus festive, plus féria, mais ça ne prend pas trop alors qu’il y aurait tout pour bien faire, dit-il. Peut-être qu’il suffirait d’un titre ou deux, avec une sono qui lance le début de la musique un peu plus souvent qu’aujourd’hui, pour générer une dynamique. Le public ne demande qu’à chanter, mais on reste Français alors il faut nous encourager. »

ON ARRÊTE LES OLAS A LA 2e MINUTE

Ok Kévin, si tu proposes, autant aller au bout. Qu’est-ce qu’on pourrait choisir pour ambiancer les matchs des Bleus tous ensemble ? Réponse : « Dans notre petit groupe, notre icône c’est Sardou, alors forcément une de Michel, genre "Le France". Ça ne plaira pas à tout le monde, mais c’est populaire et ça peut rassembler les générations. Bon après il en faut une autre plus jeune. Il y a certaines chansons sympas qui viennent des ferias, comme "L’Ardéchoise", mais trop peu de gens connaissent. »

Il complétera sa réponse peu de temps après par message : « L’Encanta », « Le Berger d’Aure », « L’Amour toujours » (avec des paroles adaptées, à l’anglaise). On vous laissera juger. Stéphane, lui, n’a rien qui lui vient en tête dans l’immédiat mais émet une liste de critères : une chanson populaire, de culture rugby, ou alors (attention c’est technique) un air connu mais avec des paroles qui le sont peu. « Comme ça on peut en inventer sans que les gens ne chantent celles d’origine, parce que sinon c’est vite n’importe quoi », dit-il en rigolant.

NOTRE DOSSIER XV DE FRANCE

Voilà matière à réflexion pour « Cœur rugby France ». Evidemment, l’asso est née un peu tard pour être inaugurée lors de cette Coupe du monde, les billets étant partis depuis belle lurette. Mais elle espère que le prochain Tournoi, avec des matchs prévus en régions, constituera son réel acte de naissance. La FFR aura un rôle important à jouer pour lui garantir un certain nombre de billets et un éventuel soutien logistique.

En attendant, avant que les choses vraiment sérieuses ne commencent ce dimanche soir, on ne pouvait pas se quitter sans un petit guide des choses à ne pas (plus) faire :

  • Une ola dès la 2e minute > Stéphane : « C’est vraiment pas obligé. Trop de olas tuent la ola. Mais ceux qui font ça, je ne suis pas sûr que ce soient supporters de rugby. »
  • 40 Marseillaises en une mi-temps > Kévin : « C’est sympa le côté patriotique, mais à un moment c’est bon… Il ne faut pas non plus que l’ambiance ne repose que sur ça. Si on arrive à élargir le répertoire des chants, ça aidera beaucoup. »
  • Se marcher les uns sur les autres > Franck : « Il va falloir qu’on arrive à convaincre les bandas (les fanfares du sud-ouest qui accompagnent les défilés de rue lors des ferias) d’arrêter de jouer n’importe quoi sans se préoccuper de ce qu’il se passe autour. C’est sympa, elles mettent de l’ambiance dans les temps morts, mais quand elles démarrent alors que les supporters sont en train de lancer autre chose, ça fout le bordel. Ça nous est arrivé lors du dernier match de préparation contre l’Australie (au Stade de France). Il faut s’accorder ! »