interview« Israël ne peut pas négocier avec le Hamas pour les otages »

Guerre Hamas - Israël : « Pour les otages, le temps n'est pas forcément un ennemi », explique un ex-négociateur du Raid

interview« 20 Minutes » a recueilli l’avis de Christophe Caupenne, ex-commandant et négociateur en chef du Raid, sur le sort des otages détenus par le Hamas
Les 126 (comptage de l'époque, le 15 octobre) otages affichés à Tel-Aviv, en Israël.
Les 126 (comptage de l'époque, le 15 octobre) otages affichés à Tel-Aviv, en Israël. - Debbie Hill/UPI//SIPA / SIPA
Jean-Loup Delmas

Propos recueillis par Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Suite à l’attaque du 7 octobre en Israël, 199 otages sont détenus par le Hamas, selon un nouveau décompte de l’armée israélienne ce lundi.
  • Pour le moment, aucun otage n’aurait été libéré, alors qu’Israël amplifie la pression sur la bande de Gaza.
  • Pour savoir comment négocier ce genre de situation critique, 20 Minutes a fait appel à l’ancien négociateur en chef du Raid Christophe Caupenne.

Ce lundi, l’armée israélienne annonçait que 199 otages se trouvaient aux mains du Hamas dans la bande de Gaza. Des otages que l’organisation terroriste a enlevés lors de son attaque massive du samedi 7 octobre contre Israël. Dix jours ont donc passé sans que l’Etat hébreu ne parvienne à obtenir une libération, sachant que le Hamas a diffusé lundi soir une vidéo mettant en scène une jeune femme « prisonnière de Gaza » sans que le document ne puisse être identifié.

Comment gérer la situation ? Préparer une opération de sauvetage ? 20 Minutes a contacté Christophe Caupenne, ancien commandant et négociateur en chef du Raid entre 2000 et 2011, pour en savoir plus.

Quelle est la première chose à faire après une prise d’otages ?

La priorité est de définir le profil de l’otage, lequel a trois grands types de fonction. Premièrement, l’otage bouclier. Ce dernier sert à se protéger des représailles. Typiquement, éviter les bombardements à Gaza ou, dans d’autres situations, couvrir la fuite des terroristes. On emploie ce terme dès lors que l’otage sert à empêcher un assaut, quelle que soit l’ampleur de celui-ci.

Deuxièmement, l’otage levier. Il sert un chantage pour obtenir quelque chose en particulier : une voiture pour s’échapper, une rançon, rétablir l’eau et l’électricité à Gaza. Les terroristes font une demande précise en échange de l’otage.

Enfin, il y a l’otage inconditionnel. C’est un otage dont on sait d’avance qu’il va mourir, que le but même de sa capture est de le tuer. On peut citer le cas en France de l’Hyper Cacher, ou les otages de Daesh en 2014 pour frapper l’opinion publique avec des morts ultra-violentes et filmées.

Les otages semblent donc être, dans le cas du Hamas, des otages boucliers. Cela va changer la stratégie de l’armée israélienne ?

Israël est face à un double défi. Premièrement, le nombre d’otages : 199 personnes ont été capturées par le Hamas, selon l’armée, ce qui rend une action de libération très compliquée. Le Hamas a probablement séparé les otages en différents groupes. Or, la seule façon de libérer les otages par la force, c’est une force spéciale commando qui bénéficie d’un effet de surprise total, sinon les terroristes ont le temps de tuer les otages dès qu’ils se sentent attaqués. Un effet de surprise quasiment impossible avec autant d’otages à différents endroits probablement.

Deuxième difficulté, la topographie de Gaza. Un réseau de tunnels sous-terrains forme une vraie ville sous la ville, indétectable pour les radars, les avions ou les satellites israéliens, et empêche tout renseignement sur la localisation des otages.

Si la méthode forte est impossible, comment négocier alors des libérations avec le Hamas ?

On ne peut pas négocier avec le Hamas et Israël ne le fera jamais, car ce serait l’inviter à la table des négociations comme s’il s’agissait d’un Etat alors que c’est une organisation terroriste. Ce serait en quelque sorte le légitimer. Israël peut passer par des états tiers, notamment l’Iran, qui eux négocieront avec le Hamas. Mais c’est de la géopolitique d’Etat et ça n’a que peu de chance d’aboutir.

Dès lors, quels sont les moyens d’action restants pour Israël ?

On critique le fait de couper l’eau, l’électricité, le gaz et le téléphone, mais c’est un procédé normal et logique que réalise Israël. A chaque prise d’otages, on fait cela en France. Il s’agit de rendre aveugle le plus possible les terroristes ou de les contraindre énormément. Les gens s’offusquent de la coupure d’eau et d’électricité à Gaza car c’est une utilisation massive sur une population massivement civile, mais c’est l’un des seuls moyens qu’Israël possède pour désorienter un peu les terroristes.

Le temps est-il compté ?

Le temps n’est pas forcément un ennemi, il n’y a à vrai dire pas de règle temporelle pour la prise d’otages. Quand vous détenez des personnes, vous devez vous en occuper : les nourrir, les déplacer, les soigner si elles sont blessées. Cela peut amener les terroristes à commettre des erreurs, ou à se faire repérer - même si cela aurait été vrai dans une ville et non dans un réseau sous-terrain comme à Gaza. Cela peut également laisser le temps à Israël d’infiltrer Gaza pour se rapprocher au plus près des terroristes.

Mais le temps n’a bien sûr pas que des avantages. Avec le temps, il y a un effet de déshumanisation des otages : au bout d’un moment, ils sont salis, maltraités, affaiblis et les terroristes ne les reconnaissent plus comme des humains, ce qui accroît le risque d’une vengeance aveugle envers eux.

On évoquait des otages boucliers, mais Israël bombarde tout de même Gaza. Comment l’interpréter ?

La logique des actions israéliennes en cours, notamment le bombardement de Gaza, ne doit pas être vue comme une tentative de libération des otages. Le but est de détruire le Hamas et de se débarrasser de cette organisation terroriste. Si des otages sont libérés, tant mieux. Plus il y aura de vies sauvées, mieux ce sera. Mais ce n’est pas le but principal d’Israël actuellement. D’une part devant la difficulté de la tâche, et d’autre devant l’importance pour le pays de se débarrasser du Hamas en priorité.