interview« La ménopause, dernier grand tabou dont les féministes doivent s’emparer »

« La ménopause est le dernier grand tabou dont les féministes doivent s’emparer », confie la réalisatrice Anne Cutaïa

interviewAvec « Ménopositive », sur Téva, la réalisatrice donne la parole à des femmes ménopausées ou préménopausées qui s’expriment librement sur ce sujet
Les amies de la réalisatrice témoignent dans le documentaire « Ménopositive » que diffuse Téva
Les amies de la réalisatrice témoignent dans le documentaire « Ménopositive » que diffuse Téva - CPB FILMS / M6
Stéphanie Raïo

Stéphanie Raïo

L'essentiel

  • La chaîne du groupe M6 diffuse ce mercredi soir, à 22h55, « Ménopositive », un documentaire dans lequel Anne Cutaïa part à la rencontre de femmes qui vivent cette révolution hormonale.
  • Cette programmation coïncide avec la Journée mondiale de la ménopause.
  • « J’ai eu l’impression que celles qui pouvaient parler de leur ménopause étaient celles qui avaient déjà fait un travail, qui s’étaient déjà un peu affranchies du regard des autres », a confié la réalisatrice à 20 Minutes.

Anne Cutaïa a 43 ans. Elle a grandi entourée de femmes, sans qu’il y ait vraiment de sujets tabous. Pourtant, quand elle pense à la ménopause qui se rapproche inéluctablement, l’évidence s’impose. « J’ai l’impression d’avoir loupé une info. Je ne sais pas ce qui m’attend », avoue-t-elle. Dans « Ménopositivite », un documentaire que diffuse Téva, la journaliste parle librement, à la première personne, d’un sujet sur lequel les femmes, en général, préfèrent garder le silence. Sans doute un peu moins ces dernières années. Au fil de son travail de démystification, elle interviewe sa mère, ses amies, celles qui ont choisi d’évoquer, dans des livres ou sur Instagram, cette étape de leur vie qui, en plus de l’arrêt des règles, s’accompagne de bouffées de chaleur, prise de poids, sautes d’humeur… Elle part également à la rencontre de Lio, qui se confie sur ce qu’elle-même a expérimenté, ou Océan, un artiste qui témoigne sur la ménopause pour les hommes trans. Bref, une façon comme une autre de mettre des mots sur un sujet rarement abordé publiquement.

Vous dites avoir été briefée sur tout dans votre vie de femme sauf sur la ménopause. Qu’est-ce qui explique selon vous ce silence ?

Le tabou et la peur. Aujourd’hui, les règles commencent à ne plus être un tabou, on en parle, on envisage même un congé menstruel. A mon sens, la ménopause est le dernier grand tabou dont les féministes doivent s’emparer car on n’en discute pas, on en a peur. Même entre femmes, il y en a peu qui arrivent à échanger sur ce sujet. Si on en parle, on signe notre entrée dans la vieillesse.

Du fait de ce silence, a-t-il été compliqué de trouver des personnes qui acceptent de témoigner ?

J’ai majoritairement rencontré des femmes qui m’ont parlé librement. Mes amies, ma famille ont assez vite accepté de jouer le jeu, ce qui aurait pu ne pas être quelque chose d’aisée. Mais il y a eu aussi des femmes qui m’ont dit ne pas se sentir d’exposer ce truc-là. J’ai eu l’impression que celles qui pouvaient en parler étaient celles qui avaient déjà fait un travail, qui s’étaient déjà un peu affranchies du regard des autres, que ce soit au sein de leur famille ou de leur vie professionnelle. Elles avaient énormément d’entrain pour ce projet et au fait d’y participer.

A les entendre dans le documentaire, on a l’impression que ce qui les a déstabilisées au départ est devenu une force…

Complètement. On dit que ce qui ne tue pas, rend plus fort. Cela peut paraître hyperbasique à dire mais c’est vrai. Comme le note Sophie Kune (créatrice du compte Instagram Ménopause stories), quand on arrive à ce moment-là de nos vies, on a déjà traversé beaucoup de douleur inhérente à l’existence et cette chose-là vient nous toucher dans notre corps de femme. Alors effectivement, soit tu acceptes que ce soit une forme de fin, soit c’est une renaissance. Puis, aujourd’hui, comme on devient mère plus tard, les femmes sont confrontées à la ménopause alors qu’elles ont des enfants en bas âge. Pour nos mères, cela arrivait généralement à l’âge où elle devenait grand-mère. Les femmes qui ont un enfant après la quarantaine vont traverser des grands cycles de vie de manière plus rapprochée. C’est difficile pour elles. Comprendre comment cela se joue, cela permet aussi de se réinventer.

Qu’est-ce qui vous a amené à interviewer Lio sur ce sujet ?

J’ai entendu son interview dans « Boomerang » sur France Inter et j’ai trouvé cela puissant d’affirmer que la réinvention, à cet âge-là, peut passer par plein de façons différentes. Puis, pour les femmes nées dans les années 80 comme moi, Lio est un symbole d’émancipation. Aujourd’hui encore, elle continue à être très novatrice en la matière. Cela m’avait vraiment touchée. Quand je l’ai contacté pour lui parler du projet, elle m’a tout de suite dit que c’était génial et qu’elle avait envie d’en être.

De plus en plus de femmes commencent à rompre le silence, non ?

Depuis MeToo - donc ça fait six ans –, la parole s’ouvre sur énormément de sujets qui sont primordiaux pour l’avancée féministe, et finalement pour l’humanité tout entière. On renoue avec une pensée assez originelle, en considérant que l’entrée dans cette période de la vie nous permet d’accéder à autre chose, d’appréhender les choses d’une autre manière, on s’affranchit de brimades, de carcans.

A quoi vous ne vous attendiez dans ce qu’on vous a confié ?

Je ne m’attendais pas à la solitude. La solitude face au questionnement, savoir comment on va surmonter ça. Cela m’a vraiment étonnée. On est toutes concernées, et finalement, le moment où ça arrive, on se sent très isolée. En cela, l’ouverture de la parole sur ces questions permet aussi de se sentir moins seule du fait du partage d’expériences, cela permet de se reconnaître, et de créer une communauté de soutien sans qu’elle soit tangible. Je pense que c’est la même chose que les règles, on est toutes dans le même bateau.

Réaliser ce documentaire vous a-t-il aussi permis d’aborder cette période de votre vie de façon plus légère ?

Complètement ! Et bizarrement je pense que cela a aussi contaminé mon compagnon qui a compris ce qui était en train de se jouer. Mes amies le disent dans le documentaire : le fait de se questionner permet de s’alléger. Quand on pose des mots, on se rend compte qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent être atténuées. Le fait de ne pas parler, se taire, c’est ce qui démultiplie les symptômes. Parler, c’est la première action pour se faire du bien.


Sujets liés