rugbyPeut-on repartir avec Fabien Galthié sans une profonde remise en cause ?

XV de France : Peut-on repartir avec Fabien Galthié sans une profonde remise en cause ?

rugbyArchitecte du renouveau des Bleus depuis 2019, le sélectionneur se retrouve en première ligne à l’heure des comptes
Fabien Galthié au coup de sifflet final du quart de finale perdu par le XV de France contre l'Afrique du Sud, le 15 octobre 2023.
Fabien Galthié au coup de sifflet final du quart de finale perdu par le XV de France contre l'Afrique du Sud, le 15 octobre 2023.  - AFP / AFP
Nicolas Camus

Nicolas Camus

L'essentiel

  • En perdant dès les quarts de finale de sa Coupe du monde, même si c’est contre l’Afrique du Sud, le XV de France a vécu un gros coup d’arrêt dans sa progression depuis 2019 et l’arrivée de Fabien Galthié aux commandes.
  • Le sélectionneur reste toutefois l’homme de la situation, comme l’a confirmé le président de la FFR Florian Grill en ce début de semaine, pour mener cette équipe vers de nouveaux défis.
  • Ce qui n’empêche pas de se questionner sur ce qu’il aurait pu faire de mieux sur ce match, ainsi que sur les moyens qui seront mis à sa disposition pour ce nouveau cycle.

Deux jours ont passé et la déprime peine à se dissiper. On s’imaginait en train d’écrire sur la formidable opportunité de rallier une finale de Coupe du monde en bottant les fesses des Anglais, on se retrouve à devoir disséquer les raisons d’un échec retentissant. Le mot est sévère quand on parle d’une défaite d’un point contre l’Afrique du Sud, mais comme nous le rappelait l’ancien sélectionneur Pierre Berbizier avant la rencontre, ce XV de France était « obligé d’aller au bout, vu les moyens, la préparation et la qualité de cet effectif ». « Il n’y aura pas d’excuses », avait-il averti, et donc même pas celle de l’arbitrage.

Architecte du renouveau des Bleus depuis 2019, Fabien Galthié se retrouve inévitablement en première ligne à l’heure des comptes. Car il faut bien en rendre, avant de pouvoir passer à la suite. Il y a toujours le risque, quand un sélectionneur est prolongé avant une grande compétition, d’écourter les débats et mettre la poussière sous le tapis pour faire croire qu’on repart sur un terrain tout beau tout propre.

Sous contrat jusqu’en 2028, Galthié va poursuivre sa mission mais ce serait une erreur que de s’y projeter sans prendre la peine d’étudier les causes de cette élimination. Et de mettre sur la table le dossier des moyens mis à disposition. « Le boulot qui a été fait pendant ces quatre ans est du bon boulot. Tout ce qui a été mis en place a été pertinent, mais on se loupe sur un match, le plus important », résume l’ex-international et actuel manager de Grenoble Aubin Hueber.

Un changement de stratégie surprenant

On peut tout d’abord interroger l’approche de ce quart de finale. Au-delà de la nervosité affichée, un problème déjà soulevé lors lors de leur entrée en lice face à la Nouvelle-Zélande, le sélectionneur a été pris sur ses points forts : l’anticipation et la stratégie. « De l’extérieur, on ne comprend pas trop, observe Hueber. Le jeu de l’équipe de France, depuis quatre ans, c’est de l’occupation, de la dépossession, une grosse défense, pour ensuite faire mal sur quelques coups avec notre talent offensif. Tout ça pour se retrouver en quart de finale de Coupe du monde contre l’Afrique du Sud à garder le ballon et aller les défier physiquement. C’est bien, ça a donné une très belle première période, mais on n’avait pas l’habitude de le faire face à une telle adversité et on s’est épuisés. »

Cela explique le coup de mou à partir de l’heure de jeu et le manque de jus pour aller chercher la gagne dans les dernières minutes. Ou alors il aurait fallu anticiper et peut-être faire sortir du groupe Julien Marchand, blessé, pour le remplacer par un joueur taillé sur mesure pour cette option tactique, au hasard Paul Willemse. Au final, cette impression qu’on a tellement parlé de la puissance des Boks avant la rencontre que les Bleus ont tenu à prouver qu’ils étaient largement à leur niveau de ce point de vue. « On a voulu les prendre à leur jeu, mais eux ont l’habitude, ils savent gérer », ajoute Hueber.

« Ils ont été meilleurs que nous, ils avaient tout prévu »

Les Sud-Africains, eux, se sont présentés avec un plan de bataille savamment élaboré. D’abord avec la simple intention de pilonner le côté de Bielle-Biarrey avec des ballons hauts, faille identifiée dans la cuirasse bleue. Le jeune ailier n’est pas à l’aise sur ces séquences, du coup Fickou et Woki se sont retrouvés à venir aider, mais ne sont pas habitués à se trouver dans cette zone. Le désordre à la retombée cause les deux premiers essais. « Tu sens vite que c’est là où ils veulent te prendre. Fabien aurait pu décider de faire entrer très vite Macalou à l’aile », fait remarquer le manager grenoblois.

Galthié aurait pu aussi privilégier l’option Villière en coup d’envoi, meilleur défenseur que son partenaire. D’autant qu’il était « préparé » à cette « optimisation du jeu au pied haut », comme il l’a assuré après le match. Mais l’ailier toulonnais a été mis à la cave après l’Uruguay et jamais relancé. Là encore un manque d’anticipation dommageable et assez inexplicable alors qu’on savait depuis trois semaines et la victoire de l’Irlande contre les Boks que ce seraient eux en face en quarts. « Nous avons travaillé dur toute la semaine sur le maul, la ligne d’avantage, leurs coups de pied arrêtés. Au final, ils ont juste gagné le match aérien et c’était crucial », reconnaissait mardi le coach de la défense Shawn Edwards dans sa chronique hebdomadaire pour le Daily Mail.

Louis Bielle Biarrey battu dans les airs par Kurt-Lee Arendse dimanche soir.
Louis Bielle Biarrey battu dans les airs par Kurt-Lee Arendse dimanche soir.  - JEANNE ACCORSINI/SIPA

Plus loin dans la rencontre, le banc surprise en 5-3 des Boks a fait son œuvre, avec l’entrée de la charnière qu’on imaginait titulaire Pollard-De Klerk dès la 45e pour inverser peu à peu le rapport de force et celle du pilier Ox Nche à peine plus tard pour accentuer la domination en mêlée. Tout ça pour dire que le staff tricolore, qu’on a si souvent loué pour la minutie de son travail de préparation, a cette fois perdu la bataille des fameux finisseurs. « Il faut être clair, sur l’approche tactique ils ont été meilleurs que nous, insiste Hueber. Ils avaient tout prévu. » Une pierre dans le jardin de Galthié.

Un train de vie qui pèse dans le budget

Et pour la suite, alors ? Le sélectionneur a bénéficié de conditions inédites et exceptionnelles pour offrir à la France son premier titre mondial. L’ex-président de la FFR Bernard Laporte n’a pas regardé à la dépense, avec un staff d’une trentaine de personnes composé uniquement de pointures, des rassemblements pléthoriques hors de Marcoussis et la signature d’une convention avec la Ligue nationale pour que les clubs participent à l’effort de guerre (42 joueurs convoqués à chaque fois). Tout ça pour un coût annuel oscillant entre 15 et 19 millions d’euros, avait révélé le trésorier de la Fédé Alexandre Martinez à Midi Olympique l’an dernier.

Un train de vie, sur le papier, impossible à tenir au vu des comptes fédéraux. A l’aube de cette Coupe du monde, le nouveau président Florian Grill annonçait qu’il avait trouvé en arrivant aux commandes « un problème de déficit budgétaire gravissime », avec une perte d’exploitation approchant les 20 millions d’euros, sur un budget total de 130 millions. Mais à le lire mardi matin dans L’Equipe, ce n’est pas une raison pour baisser la voilure. L’idée est de « trouver des ressources additionnelles » plutôt que d’opérer « des coupes sombres » sur les moyens alloués, de continuer à « investir dans cette équipe » pour qu’elle génère encore plus d’argent pour la FFR.

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Cette question est centrale, car elle détermine la capacité du XV de France à rester tout en haut de la hiérarchie mondiale. On boxe dans la catégorie que l’on mérite. Fabien Galthié devrait donc pouvoir continuer à viser les poids lourds, avec déjà quelques changements annoncés dans l’encadrement : Patrick Arlettaz (attaque), Laurent Sempéré (touche) et Nicolas Jeanjean (préparation physique) vont arriver pour remplacer Laurent Labit, Karim Ghezal et Thibault Giroud.

Des clubs aussi toujours partageurs ?

Il faudra voir également la position des clubs, parfois contraints de mettre de côté leurs ambitions sportives pour le bien de l’équipe nationale. Même si là encore, la convention entre la Fédération et la Ligue court jusqu’en 2027 et n’a pas vocation à être aménagée, selon le patron de la LNR René Bouscatel. « Les passerelles entre la FFR, la Ligue, les clubs et les coachs des équipes de France jeunes ont permis cette progression du rugby français. Il faut absolument les faire perdurer », plaide Aubin Hueber, qui a encadré les U18, les U19 puis les U20 entre 2015 et 2021. Même si en tant que manager de club, il comprendrait que certains présidents « demandent des comptes ».

Au-delà de ces considérations, la difficulté pour Fabien Galthié sera de trouver comment donner un nouveau souffle à sa fameuse « méthodologie », qui était entièrement axée sur cette Coupe du monde à la maison. « On ne peut pas repartir sur les mêmes bases, avec la même motivation. Si j’étais lui, je m’en irais car je ne me sentirais pas capable de construire quelque chose de complètement différent avec un collectif qui ne bougera pas trop », lâche ainsi dans Le Parisien Pierre Villepreux, sélectionneur de 1997 à 1999 avec Jean-Claude Skrela.

NOTRE DOSSIER XV DE FRANCE

Un peu radical, mais on comprend l’idée. En tout cas, Fabien Galthié porte une énorme responsabilité. A la fin de son contrat, en 2028, cela lui fera un peu plus de huit ans à la tête des Bleus, avec des moyens colossaux et des générations ultra-talentueuses (si on ajoute celle des U20 sacrés champions du monde en juillet). Il faudra que ça se voie dans l’armoire à trophées à un moment donné.


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