INTERVIEW« L’État islamique a réussi à diffuser une propagande qui lui a survécu »

Arras, Bruxelles… « L’État islamique a réussi à diffuser une propagande qui lui a survécu »

INTERVIEWPourquoi des attentats sont perpétrés au nom de l’Etat islamique malgré sa défaite militaire ? Eléments de réponse avec Myriam Benraad, politologue et auteur de « L’Etat islamique est-il défait ? »
Le drapeau du groupe Etat islamique
Le drapeau du groupe Etat islamique - - WELAYAT SALAHUDDIN / DR
Caroline Politi

Propos recueillis par Caroline Politi

L'essentiel

  • L’État islamique continue de séduire des individus radicalisés malgré sa défaite militaire. Les attentats d’Arras et de Bruxelles ont été revendiqués par cette organisation.
  • Le conflit entre Israël et le Hamas peut raviver des volontés de passer à l’acte en Europe.
  • Selon Myriam Benraad, auteur de L’État islamique est-il défait ?, malgré la défaite militaire, le message de propagande survit et continue à se diffuser sur les réseaux sociaux.

L’un a attaqué son ancien lycée, à Arras, l’autre s’en est pris à des supporters de foot suédois venus soutenir leur équipe à Bruxelles. Si pour l’heure, rien n’indique que les deux attaques terroristes – perpétrées à quatre jours d’écart – soient liées, les assaillants ont affirmé agir au nom d’une seule et même organisation : l’État islamique. En Belgique, la police a retrouvé des vidéos du suspect – un Tunisien de 45 ans, abattu lors de son interpellation – y faisant référence. Le jeune Russe mis en examen pour « assassinat » dans l’attaque d’Arras a, quant à lui, enregistré une vidéo et un message audio dans lesquels il fait allégeance à l’État islamique. « Il exprime son mépris pour les autres formations djihadistes, notamment Al-Qaida », a précisé mardi le procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard.

Comment cette organisation continue-t-elle de séduire des individus radicalisés alors même que depuis la chute de son dernier bastion, Baghouz, repris par les forces syriennes en mars 2019, elle n’administre plus aucun territoire, n’a plus aucune population. Pourquoi des djihadistes continuent-ils de tuer en son nom ? Comment expliquer que l’organisation terroriste garde une telle popularité ? Entretien avec Myriam Benraad, professeur en relations internationales à l’université de Schiller et auteur de L’État islamique est-il défait ?, sorti en juin aux Editions CNRS.

Comment peut-on définir aujourd’hui l’État islamique ? Cette organisation terroriste n’a plus ni territoire, ni même chef connu. Et pourtant, des attentats en son nom continue d’être commis…

La défaite militaire essuyée par l’État islamique ne fait aucun doute. Aujourd’hui, nous avons affaire à une insurrection armée avec quelques milliers de combattants qui se trouvent toujours en Irak et en Syrie. L’organisation est probablement dirigée par une arrière-garde de vétérans, mais il n’y a plus de figures charismatiques comme il y en a eu il y a quelques années. Ce qui reste, en revanche, c’est une forme beaucoup plus évanescente du mouvement : l’État islamique a réussi à diffuser une propagande qui lui a survécu, qui reste encore très forte dans l’imaginaire collectif. Notamment grâce aux réseaux sociaux. Les contenus sont sophistiqués, les messages de propagande très bien rodés, régulièrement recyclés et regagnent en puissance au regard de l’actualité internationale.

Myriam Benraad est l'auteur de « L’État islamique est-il défait ? »
Myriam Benraad est l'auteur de « L’État islamique est-il défait ? » - Luc Josia-Albertini

Selon vous, le conflit entre Israël et le Hamas ravive-t-il des volontés de passer à l’acte en Europe ?

Force est de constater que les terroristes d’Arras et de Bruxelles ont évoqué le conflit. Le siège de Gaza, le nombre de civils morts, tout cela va matérialiser le discours martelé par l’État islamique. Dans leur propagande – et c’était déjà le cas d’Al-Qaida –, tout le narratif tourne autour de l’humiliation, de l’injustice. C’est central parce que c’est ce qui motive la vengeance. Ce conflit va rendre plus concret le discours et peut créer un environnement propice au passage à l’acte.

Malgré son déclin, l’État islamique continue donc de séduire ?

Pour l’instant, l’État islamique, malgré ses défaites militaires, reste la principale incarnation du djihad global. Il existe des groupes plus localisés, notamment en Afrique de l'Ouest, mais aucun mouvement n'émerge au niveau international. D’ailleurs, il est à noter que les deux terroristes ont parlé des Palestiniens dans leurs messages mais ont évacué le rôle du Hamas. Se revendiquer de l’État islamique, c’est s’affilier à l’une des grandes organisations terroristes, c’est une manière de légitimer son action. Les causes avancées ne sont pas nouvelles, l’EI ne fait que récupérer des griefs antérieurs. Mais évidemment, on parle d’une toute petite minorité très radicalisée. L’État islamique n’a plus les moyens d’organiser des commandos comme ce fut le cas le 13-Novembre ou lors des attentats de Bruxelles, on est sur des actes beaucoup plus isolés.

Pourquoi l’immense majorité des attentats perpétrés en Europe ces dernières années le sont au nom de l’État islamique et non, par exemple, d’Al-Qaida ?

Il y a un aspect générationnel. Les leaders d’Al-Qaida sont beaucoup plus âgés, ils n’ont pas la même maîtrise des outils numériques. Ils passent un peu pour de vieux routards du djihad alors que sur le fond, il y a peu de différences idéologiques. Le narratif autour de l’humiliation et de la vengeance est très similaire. La différence, c’est que l’État islamique, dans sa propagande, est plus jeune, plus offensive.

Le pouvoir de l’État islamique réside-t-il donc dans sa maîtrise du numérique ?

Avant, la propagande djihadiste ne se trouvait pas en un clic, elle n’était pas accessible à tous. Il fallait fréquenter certaines mosquées, aller dans quelques librairies bien identifiées. L’Etat islamique a révolutionné ça en diffusant sur des réseaux très accessibles des vidéos très sophistiquées pour diffuser ses idées, il est parvenu à récupérer les griefs de certains musulmans, s’appuyant sur un monde arabo-musulman en pleine tourmente. Il est parvenu à intoxiquer des esprits plus fragiles. Et ces vidéos circulent quasiment librement. Elles sont toujours accessibles. Il n’y a aucune régulation et à mes yeux, c’est le principal enjeu pour lutter contre tout cela.


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