S’AIMER COMME ON SE QUITTELa Nupes est mourante, quels scénarios pour la gauche ?

Nupes : Et maintenant, quels scénarios possibles pour la gauche ?

S’AIMER COMME ON SE QUITTELes forces de gauche n’ont pas encore vraiment divorcé que les conditions d’un remariage sont déjà débattues. Mais est-ce crédible ?
C'était il y a 517 jours, c'était il y a un siècle... Communistes, socialistes, insoumis et écologistes bras dessus, bras dessous, pour sceller l'accord de la Nupes.
C'était il y a 517 jours, c'était il y a un siècle... Communistes, socialistes, insoumis et écologistes bras dessus, bras dessous, pour sceller l'accord de la Nupes.  - Thomas Samson / AFP
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • A peine prononcé un « moratoire » sur la Nupes par le PS, on se demande bien quelles sont les options de la gauche.
  • Réforme de la Nupes ? Alliance avec un nouveau périmètre ? LFI en solo ?
  • 20 Minutes passe en revue les différentes hypothèses.

Vous savez comment faire rire un député de gauche ces jours-ci ? Ce n’est pas si difficile : vous lui demandez où en sont les perspectives de liste unique de la Nupes aux européennes de 2024. Le fou rire est à peu près garanti. Sinon, ils tirent tous une gueule de six pieds de long. Après le « moratoire » de sa participation à la Nupes prononcé par le PS, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale n’existe plus formellement nulle part.

Les partis concernés n’ont plus de cadre régulier de discussion depuis le mois de mai. Et les écologistes ont prévenu que l’intergroupes à l’Assemblée, c’était à quatre ou rien. Au cœur d’une situation « compliquée », « de tension », « calamiteuse », c’est selon, 20 Minutes a traîné dans les couloirs du Palais Bourbon pour essayer de voir ce qu’il peut se passer maintenant. Voici les scénarios possibles

Une Nupes réformée

Sur le papier, ça parait de bon sens, mais c’est un peu la « tarte à la crème » de la Nupes, comme le dit un élu socialiste. « L’acte II » de la Nupes, demandé après les retraites par les écolos, c’était déjà ça. En clair, on prend les mêmes mais avec une autre méthode : « revoir le fonctionnement pratique de l’intergroupes, sa coordination, pour que les positions décidées collectivement ne soient pas remises en question par le simple tweet d’un élément extérieur », comme le dit, dans un entretien à L’Express, le président du groupe socialiste, Boris Vallaud.

« On nous demande de ne plus êtes des insoumis », tempête Paul Vannier, député LFI du Val-d’Oise. L’esprit d’initiative rapide, agile, c’est quasiment l’ADN des insoumis. Sans doute une partie de ce qui les a rendus si puissants à gauche. « On peut laisser de la liberté de parole, mais il faut quand même une régulation collective », répond le socialiste Arthur Delaporte. Et puis on peut aussi se demander si les socialistes, les écologistes et les communistes sont eux-mêmes capables de se soumettre à cette régulation collective. Si les trois autres groupes sont contre l’autoroute A69, les socialistes tiendront-ils leur langue ? Si les trois autres groupes sont pour une ristourne sur le carburant, les écologistes resteront-ils silencieux ? On peut en douter.

« Un moratoire sur les petites phrases et les invectives, ça serait déjà pas mal », tente Benjamin Lucas, porte-parole du groupe écologiste. Groupe qui propose une grande thérapie collective sous forme d’assemblée générale des 151 députés et députées de gauche. « Il faut forger ensemble une analyse commune de la situation », pense-t-il. Par ailleurs, chez LFI, on rappelle qu’on a fait des propositions pour une réforme – ou plutôt « un approfondissement » – de l’union : agora de la Nupes, cadres communs entre partis aux niveaux local et national, listes communes aux sénatoriales et européennes. « Tout ce qu’on a posé a été méprisé », regrette Paul Vannier.

L’union de la gauche « old school »

Les prises de parole des directions du PCF, du PS et d’EELV, mais aussi de certains élus individuellement, sont très équivoques. Tout le monde est pour l’union de la gauche, très bien, mais dans quel périmètre ? Si c’est pour faire l’union entre ces trois-là, il y a certes des désaccords, mais aussi une longue culture de coalition. Mais quel sens cela aurait-il ? Ce qui a bougé les lignes en 2022, c’est l’union de toute la gauche. Or, le texte voté par le conseil national du PS mardi soir vise, par exemple, très personnellement Jean-Luc Mélenchon. « Oui, l’union de la gauche sans Mélenchon ça a du sens, pense Arthur Delaporte. Car nul n’est éternel et à un moment, il faut savoir quitter la scène dignement. Les insoumis ne sont pas en soi les apôtres du conflit. C’est la ligne donnée par Mélenchon qui est agressive. »

« L’union de la gauche sans Mélenchon et les siens, ça n’existe pas, juge quant à lui le député socialiste Philippe Brun. Il reste le leader, il n’y a pas de renversement. » Même son de cloche du côté de Sandrine Rousseau, pour qui « il n’y a aucune possibilité de gagner sans l’alliance de tout le monde. Exclure LFI serait injuste, inefficace et même contre-productif ». On s’en doute, côté LFI, Paul Vannier se gausse presque de cet éventuel retour à l’union de la gauche « old school ». « Il y a un déni de réalité chez nos partenaires. Quand je les vois s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon aussi frénétiquement, je les sens toujours aussi agacés par nos 22 % au premier tour de la présidentielle. Au fond, ils n’ont jamais accepté le choix des électeurs. »

La fracture chez les insoumis

C’est une version légèrement alternative à la précédente : PS, PCF et EELV rejoints par les opposants à la direction de LFI. Les Ruffin, Corbière, Garrido, Autain… Qui font entendre un son de cloche clairement différent depuis des mois. Premier problème, combien sont-ils ? Bien téméraire celui ou celle qui prétend savoir quels sont les rapports de force dans le groupe, et encore plus dans le mouvement. « C’est bien pratique puisqu’il n’y a pas de vote », déplore une des opposantes. Les socialistes et écologistes parlent tellement de ces LFI « fréquentables » ou « non-alignés » qu’on se demande s’ils ne les rêvent pas un peu aussi.

Chez les « frondeurs » (ils détestent le terme) ou opposants, on pense être au moins aussi forts que les pro-direction. Avec, au milieu, des non-alignés. Certains parlent de la création d’un nouveau groupe parlementaire. Cela voudrait donc dire qu’ils sont au moins quinze, pas rien. On en arrive donc au deuxième problème : partir, c’est acter le fait d’être minoritaire, et « ils ne veulent pas avoir l’air d’être l’aile droite ou l’aile sociale démocrate de LFI », explique un collaborateur bien informé.

Les insoumis en solo

Les insoumis feraient de bons gratteurs de ballon au rugby : ils sont toujours très solides sur leurs appuis. D’après eux, la position qu’ils tiennent sur le conflit israélo-palestinien est « entendue et appuyée sur le terrain par nos électeurs, par le bloc populaire. Sur les marchés, les gens me disent "tenez bon !" », explique Paul Vannier. C’est évidemment difficilement vérifiable, au même titre que d’autres indiscrétions de députés insoumis disant l’inverse.

Ce que cela veut surtout dire, c’est que chez LFI, on pense avoir la bonne analyse de la situation, et on entend revenir la rhétorique de la « vieille gauche, gauche de l’entre-soi, coupée du réel ». « Nous, on a toujours dit que la Nupes était le chemin le plus court vers la victoire », rappelle Paul Vannier. Sous-entendu : il y en a d’autres pour LFI, sans les alliés, à la mode 2022 : « les électeurs seront unionistes », ajoute le même. Chez les futurs-ex/ex-futurs alliés, on n’en mène pas large : « Mélenchon a tout intérêt à laisser tomber la Nupes et se déclarer candidat dès 2025. C’est le scénario catastrophe », prévoyait il y a déjà des mois un socialiste.

Notre pronostic : rien ne bougera avant les européennes, mais ça bougera

Les gauches françaises sont parties, au moins pour un moment, pour revenir à la période pré-Nupes : « On repart en 2021, déplore Philippe Brun, et ça va flotter jusqu’aux européennes. » Vu que chaque parti y aura sa liste indépendante, tout réel mouvement paraît improbable jusqu’à l’été 2024. Tout juste Sandrine Rousseau espère-t-elle une « pause propre, qui ne crée pas de la rancœur » et rend possible de nouvelles discussions à l’issue. « Et puis à l’été 2024, on aura douze tribunes dans L’Obs et Libé pour demander une primaire, l’union… Ça va être formidable », résume Philippe Brun.

Mais ça bougera. Historiquement, le barrage à l’extrême droite a toujours été un puissant vecteur d’union de la gauche. Une énergie du désespoir, mais une énergie quand même. « Qu’est-ce que je peux dire d’autre ?, se demande un député de la Nupes. Que c’est fini et qu’on rentre à la maison ? L’union, j’y crois parce que je la veux. Sinon, à la fin, on sera la génération qui aura fait gagner Le Pen. Bien sûr, là, tout de suite, j’ai envie d’insulter la moitié de mes camarades, que je ne trouve pas à la hauteur. Mais je crois qu’il y a encore une fenêtre pour éviter le pire. »


Sujets liés