conflitQui pour enquêter sur l’explosion dans un hôpital de Gaza ?

Guerre Hamas-Israël : Médias, ONG… Qui peut enquêter sur l’explosion dans un hôpital de Gaza ?

conflitDes centaines de personnes ont été tuées mardi soir dans une frappe dans l’enceinte de l’hôpital Ahli Arab de la ville de Gaza. Israéliens et Palestiniens se rejettent la responsabilité
L'Autorité palestinienne veut une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur la frappe meurtrière sur un hôpital de Gaza dont Israéliens et Palestiniens s'accusent mutuellement
L'Autorité palestinienne veut une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur la frappe meurtrière sur un hôpital de Gaza dont Israéliens et Palestiniens s'accusent mutuellement - Muthana Alnajjar/UPI/Shutterstoc / SIPA
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Des centaines de personnes ont été tuées mardi soir dans une frappe dans l’enceinte de l’hôpital Ahli Arab de la ville de Gaza.
  • Palestiniens et Israéliens se rejettent mutuellement la responsabilité du drame. Le Hamas a immédiatement dénoncé une frappe israélienne. Tel-Aviv a rapidement démenti être à l’origine du tir, évoquant un lancement de roquette raté du Djihad islamique.
  • En attendant de pouvoir se rendre sur place, journalistes et membres des ONG ont commencé à enquêter en analysant les photos et vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. L’Autorité palestinienne a de son côté annoncé vouloir une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur cette frappe meurtrière.

Emotion et prudence. De nombreux dirigeants européens ont condamné la frappe qui a visé, mardi soir, un hôpital à Gaza, tuant des centaines de personnes. Mais tous se sont gardés de l’attribuer, alors que Palestiniens et Israéliens se rejettent mutuellement la responsabilité du drame. « Toute la lumière devra être faite » sur « l’attaque contre l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza qui a fait tant de victimes palestiniennes », a indiqué sur X (anciennement Twitter) Emmanuel Macron. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a lui appelé à une « enquête approfondie ». « Tous les faits doivent être établis et les responsables devront rendre des comptes », a pour sa part déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Mais comment déterminer de façon certaine et rapide ce qu’il s’est passé ? Bouclée par l’armée israélienne depuis le 7 octobre, l’enclave palestinienne est quasiment inaccessible aux médias internationaux, qui doivent s’appuyer pour travailler sur les photos et vidéos postées sur Internet par des témoins. « Mais la connectivité dans la bande de Gaza est assez limitée. Quelques rares images des lieux, provenant de civils, ont été diffusées. Il y a une insuffisance de matériel open source accessible. Il faut donc prendre des précautions, suivre une méthodologie dans l’analyse, et faire attention au degré de certitude avec lequel on affirme des choses. », explique à 20 Minutes Baptiste Robert, expert en cybercriminalité et dans l’Osint (Open Source Intelligence), à la tête de Predicta Lab. « On est dans une guerre de l’information, rappelle-t-il. Toutes les infos, mêmes officielles, doivent être prises avec précaution et vérifiées. »

Analyse des photos prises

« Cela ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire », souligne-t-il. « Il y a des éléments qui montrent aujourd’hui qu’il est peu probable que ce soit une frappe aérienne » qui a causé la destruction de l’hôpital. En analysant certaines photos postées sur les réseaux sociaux, il remarque « qu’il n’y a pas de cratère » sur le parking de l’établissement. En revanche, « il y a beaucoup de voitures détruites, mais surtout à cause du feu qui s’est déclaré. Il n’y en a que trois dont la structure a vraiment été détruite ». Pour compléter ce travail d’analyse photographique, Baptiste Robert estime nécessaire « d’envoyer des gens sur place pour prélever des échantillons, récolter des fragments de missiles ou de roquettes s’il y en a, et d’analyser la provenance du projectile tiré ». « Mais il peut-être déjà trop tard, tout le monde peut accéder à la scène », observe-t-il.

Des équipes d’Amnesty International enquêtent également sur « les frappes aériennes menées sur Israël contre Gaza » et sur le « massacre » perpétré par le Hamas le 7 octobre, nous indique Tcherina Jerolon, responsable en France du programme conflits, migrations et justice de l’ONG. « Nous menons des enquêtes de terrain, sur les lieux où les violations sont commises. Ce qui nous permet de recueillir les récits de témoins directs ou de victimes. Ce travail nous permet aussi de rassembler des preuves matérielles, par exemple en prenant des photos. Cela nous a permis dans certains cas d’analyser des débris d’armes », explique-t-elle à 20 Minutes.

Des outils en investigation numérique

Amnesty International dispose aussi d’un laboratoire de preuves, basé à Londres, pour « mener des enquêtes à distance, en particulier quand les conditions de sécurité ou d’accès ne sont pas réunies ». Il est composé d’équipes pluridisciplinaires, « avec des spécialistes en données visuelles, en analyse des armements », détaille Tcherina Jerolon. « Ils utilisent pour travailler des outils en investigation numérique. Ils récoltent des matériaux, comme des images satellites, des photos, des vidéos. Ces éléments, une fois analysés, permettent de déterminer si on est dans le cadre ou non d’une violation du droit international humanitaire. » Leur découverte sert ensuite « à appeler les juridictions compétentes, ici la Cour pénale internationale [qui a ouvert une enquête « sur la situation dans l’État de Palestine » le 3 mars 2021], à mener des enquêtes sur des faits précis avec leurs propres équipes ».

Dans le même temps, les services de renseignement français pourraient, eux aussi, être tentés de comprendre ce qu’il s’est passé. « Je ne pense pas que le président de la République ait missionné le service spécifiquement sur cette question car, stratégiquement, pour la France, c’est un peu secondaire », explique à 20 Minutes Olivier Mas, alias Beryl 614 sur YouTube, un ancien cadre de la DGSE, auteur de plusieurs livres et vidéos sur le renseignement.

« On a déjà essayé d’attribuer des frappes »

En revanche, ses anciens collègues qui se trouvent dans la zone vont très probablement interroger leurs sources humaines. « Car quand on est sur le terrain, on a envie de savoir. Et si on a l’info, on va gratter et la transmettre. » C’est un travail que le service de renseignement extérieur a déjà réalisé en Syrie notamment. La DGSE dispose en effet de techniques pour analyser les trajectoires des projectiles tirés. Ceux qui sont retrouvés sont passés à la loupe. « On a essayé d’attribuer des frappes, de comprendre d’où elles venaient, si elles avaient été lancées par des forces d’oppositions ou du régime », raconte l’ancien espion. La DRM (direction du renseignement militaire) dispose aussi des images de ses satellites, lui permettant d’effectuer cette tâche.