interview« Gaza est un champ de ruines, mais Gaza vivra », témoigne un habitant

Guerre Hamas-Israël : « Gaza est un champ de ruines, mais Gaza vivra », témoigne un habitant

interview« 20 Minutes » a pu s’entretenir avec Ziad Medoukh, habitant de la bande de Gaza, après l’explosion dans l’hôpital survenu mardi soir
Un homme blessé après une frappe israélienne à Gaza.
Un homme blessé après une frappe israélienne à Gaza.  - AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Le drame humanitaire en cours dans la bande de Gaza s’est encore aggravé avec l’explosion dans hôpital mardi soir, qui aurait fait plusieurs dizaines voire centaines de morts.
  • Ziad Medoukh, Palestinien, poète et professeur de français à l’Université Al-Aqsa, à Gaza, raconte pour 20 Minutes la situation sur place.
  • Si Ziad est décidé à rester « par esprit de résistance », les conditions pour vivre sont de plus en plus éprouvantes pour la population.

La situation humanitaire, déjà catastrophique à Gaza, a encore empiré depuis l’explosion mardi soir dans un hôpital du centre-ville. Un bilan faisait état mercredi soir de plusieurs dizaines voire centaines de morts selon les sources, sans que la responsabilité du drame ne soit clairement établie. Une tragédie humaine de plus pour le territoire palestinien, soumis à d’intenses bombardements israéliens depuis plus d’une semaine. Offensive qui fait suite à l’attaque du Hamas sur le territoire de l’Etat hébreu le 7 octobre.

Plus de 2 millions de personnes vivent dans la bande de Gaza, laquelle comptent plus de 3.000 morts depuis le début de la riposte israélienne. Parmi ces habitants, Ziad Medoukh, Gazaoui de 57 ans, professeur de français à l’Université Al-Aqsa. Il nous raconte la situation sur place.

Ziad Medoukh, poète, professeur de Français et habitant de la bande de Gaza
Ziad Medoukh, poète, professeur de Français et habitant de la bande de Gaza - Ziad Medoukh

Comment est la situation à Gaza après le bombardement d’un hôpital survenu mardi soir ?

La population est sous le choc. Nous subissons une horreur absolue avec les frappes sur les civils, les habitations et les hôpitaux *. Depuis une semaine, Israël exerce un blocus inhumain : nous n’avons plus d’eau, plus d’électricité, ce qui rend les conditions de vie de plus en plus difficiles [Israël a annoncé mercredi autoriser l’entrée d’aide humanitaire dans la bande de Gaza depuis l’Egypte]. J’ai vécu quatre offensives israéliennes sur Gaza, en 2009, 2012, 2014 et 2021. Mais celle en cours est de loin la plus violente, la plus meurtrière, la plus affreuse.

Cet hôpital, c’est une nouvelle percée dans l’horreur et l’insoutenabilité de la situation. Les citoyens défavorisés, dont ceux qui ont perdu leur maison, se réfugiaient dans cet hôpital. Il y avait des milliers de personnes * qui n’ont pas eu les moyens de fuir et qui étaient hébergés là, dans des conditions humanitaires déjà très difficiles. Les gens dormaient par terre, il n’y avait pas de matelas, ni de lit. Maintenant, c’est encore bien pire.

Les malades et blessés ont-ils pu être transférés vers d’autres hôpitaux ?

Trois autres hôpitaux ont été bombardés * depuis le début du conflit. Les gens sont désormais soignés à même le sol dans la rue, quand ils sont soignés.

« Quand Israël bombarde Gaza, ils n’assassinent pas seulement les femmes et les enfants, ils assassinent aussi la paix »

La situation est aggravée par le blocus mis en place par Israël…

On avait six heures d’électricité par jour, puis quatre heures, et désormais zéro. La centrale électrique a été bombardée *, il n’y a pas de fioul pour faire fonctionner les systèmes électroniques alternatifs. Et les citernes d’eau dans les maisons marchent par courant électrique. Nous n’avons donc pas d’eau, pas de nourriture. Les Gazaouis subissent l’horreur des bombardements, mais également l’horreur d’une catastrophe humanitaire pour 2,4 millions de personnes. Le but est clair : mettre la pression sur la population civile pour nous faire fuir la zone et se l’approprier.

Vous-même, vous avez déjà pensé à fuir ?

750.000 personnes ont fui * parce que leurs maisons ou leurs quartiers ont été détruits. Mais nous sommes des centaines de milliers à rester * en risquant notre vie. On est laissé à notre sort par la communauté internationale.

Je reste par esprit de résistance, grâce à l’éducation et les valeurs qui m’ont été transmises et par attachement à ma terre. Si demain, je pars de ma maison, après-demain, je partirai de la ville de Gaza. Et après-après demain, je partirai de Palestine. C’est ça le plan ? Je serais humilié de l’intérieur de faire ça, je ne veux pas participer à l’abandon de Gaza ou de mon pays. C’est difficile d’être séparé de sa famille, de vivre dans la peur de la mort ou de voir ses proches partir, mais c’est un choix. Nous sommes un modèle pour les jeunes, on doit montrer l’exemple et tenir.

« Gaza est devenu un champ de ruines, condamné à la mort. Mais Gaza vit et vivra » »

Vous pensez pouvoir tenir jusqu’à quand dans ces conditions ?

Jusqu’à quand je vais tenir ? Demandez à la communauté internationale jusqu’à quand ils vont nous laisser sans rien faire. Pour le moment, en tout cas, je tiens. Il y a une forte adaptation et un sentiment de solidarité incroyable. On mange un repas par jour plutôt que trois, on se lave à l’eau minérale que l’on achète, on stocke quelques réserves et conserves restantes dans les commerces. Gaza est devenu un champ de ruines, condamné à la mort. Mais Gaza vit et vivra.

Israël dit cibler le Hamas. Qu’en pensez-vous ?

Israël n’est pas en train d’écraser le Hamas, mais d’écraser la population. A chaque fois, Israël a justifié ses conflits avec Gaza en évoquant la destruction du Hamas, et à chaque fois, on a trouvé le Hamas plus puissant derrière. C’est bien que la méthode israélienne ne fonctionne pas, ou que ce n’est pas le Hamas qu’elle vise réellement. Le but est de mettre la population à terre.

Comment gardez-vous la foi dans ces moments-là ?

Il y a un sentiment d’impuissance, de colère, de crainte, mais également d’espoir. Ce qui se passe actuellement est tellement grave que ça va forcément finir par réveiller les consciences dans le monde. Je vois déjà certaines choses bouger. De plus en plus de médias s’intéressent à notre sort, le monde associatif se réveille. Je suis optimiste, c’est pour ça que je reste. Personne n’a intérêt à la guerre et au désordre. Or, quand Israël bombarde Gaza, ils n’assassinent pas seulement les femmes et les enfants, ils assassinent aussi la paix.

* Ces informations n’ont pu être confirmées indépendamment de cette interview