FOOTBALLAprès l’échec des droits TV, vers un appauvrissement du foot français ?

Football : « Il n’y a plus personne pour combattre férocement les droits TV », vers un appauvrissement du foot français ?

FOOTBALLAprès l’appel d’offres infructueux pour les droits TV, la Ligue de football professionnel s’apprête de négocier de gré à gré avec les diffuseurs, le milliard espéré semble de plus en plus s’éloigner
Le partenaire historique de la LFP, Canal+, n'a pas participé à l'appel d'offre de la LFP pour les droits TV sur la période 2024/2029 pour laquelle aucune offre n'a dépassé le prix de réserve de 800 millions d'euros.
Le partenaire historique de la LFP, Canal+, n'a pas participé à l'appel d'offre de la LFP pour les droits TV sur la période 2024/2029 pour laquelle aucune offre n'a dépassé le prix de réserve de 800 millions d'euros.  - PHILIPPE HUGUEN / AFP
Adrien Max

Adrien Max

L'essentiel

  • L’appel d’offres lancé par la LFP pour les droits TV sur la période 2024/2029, avec un prix de réserve de 800 millions d’euros, n’a pas trouvé preneur.
  • La ligue s’apprête donc à négocier de gré à gré avec les diffuseurs et le milliard espéré semble désormais impossible à atteindre.
  • Ces droits TV sont pourtant capitaux pour la LFP après l’entrée au capital de CVC, qui récupérera un pourcentage sur les revenus de la ligue correspondant à sa part, tant qu’il restera actionnaire.

La nouvelle est tombée sans grande surprise : l’appel d’offres pour les droits TV domestique de la LFP pour la période 2024-2029 est infructueux. Aucun diffuseur n’a fait d’offre supérieure au prix de réserve de 530 millions d’euros pour le pack premium comprenant la diffusion des deux affiches du week-end, et de la quatrième, ni pour les 270 millions du lot de volume, soit l’intégralité des autres matchs. La LFP va désormais devoir négocier de gré à gré avec les diffuseurs. L’économiste du sport Luc Arrondel et Christophe Bouchet, ancien président de l’OM et auteur de Main basse sur l’argent du foot français expliquent à 20 Minutes les enjeux autour de ces prochaines négociations.

Était-ce finalement une volonté de la LFP de négocier de gré à gré ?

Pour Christophe Bouchet l’issue de l’appel d’offres ne faisait aucun doute : « Il ne pouvait qu’être infructueux, c’est la première fois que le prix de réserve était affiché. Et personne ne voulait valider les 800 millions », avance-t-il. L’estimation plus réaliste se situerait entre 500 à 700 millions d’euros. Mais pour Luc Arrondel, « c’est facile de dire après que c’était couru d’avance » tout en reconnaissant que « s’il n’y a pas d’acheteur, c’est que la mise était trop haute ». « Dès lors on peut imaginer que Vincent Labrune [le président de la LFP] voulait montrer aux présidents de club que les droits ne valent pas 800 millions d’euros et dire " vous voyez, ce n’est pas de ma faute " », avance l’ancien président de l’OM, pour qui Vincent Labrune « ne fait rien au hasard ».

Est-ce une conséquence de la non-participation de Canal+, le partenaire historique de la LFP ?

Canal+ avait prévenu la LFP dans une lettre : ils ne participeraient pas à l’appel d’offres de la LFP pour ces droits 2024/2029. « Cette brouille épaisse entre la LFP et Canal+ est un des points non négligeables de cet échec puisqu’il n’y a plus personne pour combattre férocement vos droits, ce qui diminue de fait les sur-primes », estime Christophe Bouchet. Depuis plusieurs saisons, Canal+ dépend de moins en moins de la Ligue 1 avec l’acquisition d’autres droits, ce qui limite aussi sa capacité financière. Mais pour Luc Arrondel, « Même si Canal+ revient par la fenêtre, ça m’étonnerait qu’ils aboutissent à avoir 800 millions d’euros, le prix de réserve. »

Le panorama global des droits TV dans le sport peut-il expliquer les difficultés de la L1 à trouver preneurs ?

Avec la multiplication de plateformes comme Netflix, Amazon, Disney depuis quelques années, « les droits en général, qui étaient très hauts, connaissent une érosion », selon Christophe Bouchet. Ajoutez à ça « un championnat de France de second rang par rapport aux autres championnats européens » et vous obtenez « un nombre d’abonnés plutôt en diminution et une Ligue 1 qui n’intéresse plus ». Dès lors, « plus personne ne met de prime stratégique pour remporter les lots comme Mediapro l’avait encore fait ». Mais pour Luc Arrondel, qui connaît les deux cabinets qui ont participé à la rédaction de l’appel d’offres, ce prix de 800 millions ne sortait pas de nulle part : « Ça avait marché lors du dernier appel d’offres avec le milliard atteint entre Mediapro [850 millions d’euros] et Canal+. Le problème c’est qu’ils n’avaient pas pris assez de précautions sur les garanties. » Et que le modèle économique évolue.

Ces droits TV semblent d’autant plus essentiels pour le football français après l’accord signé avec CVC Capital Partners, qui va prélever chaque année une part importante de la somme récoltée…

L’arrivée de CVC Capital Partners au capital de la LFP, à la suite des difficultés rencontrées pendant la période Covid, leur permettra de récupérer un pourcentage sur les revenus de la LFP, dont les droits TV. « « Une diminution serait la double peine. Parce que vous aurez des droits plus bas. Et en parallèle, CVC va commencer à toucher un pourcentage sur les revenus d’environ 13 %. CVC va même prélever 20 % la première année, les 13 % des montants auxquels ils ont souscrit, avec une dîme sur l’argent investi à son arrivée (1,5 milliard d’euros). Si vous avec 500 millions d’euros de revenus liés au droit, il faudra rembourser 100 millions à CVC la première année », prévient Christophe Bouchet. Luc Arrondel rappelle que le pourcentage touché par CVC « n’est pas à vie », mais il perdurera « tant que CVC sera au capital de la LFP ». Mais effectivement « si les droits domestiques stagnent [ils sont actuellement de 650 millions environ], la part des revenus des clubs sera amputée du pourcentage pris par CVC à partir de la saison 2024-2025 », rappelle-t-il.

Quelles pourraient être les conséquences pour le foot français ?

Si les Droits TV de la LFP n’augmentent pas, « la conséquence est que la valeur économique va diminuer, et donc la valeur sportive puisque les deux sont intimement liées », avance Christophe Bouchet. L’ancien président de l’OM ne voit pas des faillites de clubs, « même si ça peut arriver par ci ou par là », mais plutôt « une obligation de revendre plus tôt et en plus grand nombre les meilleurs joueurs ». Pour compenser cet appauvrissement du foot à travers les droits TV domestique, Luc Arrondel rappelle « qu’il faut aussi regarder du côté des droits TV internationaux, qui sont très faibles pour la France alors qu’ils augmentent partout ailleurs ». Les USA payent plus cher pour voir la Premier League que la MLS. D’où l’idée de la LFP de délocaliser des matchs aux Etats Unis, « mais elle a beaucoup de retard dans ce domaine », prévient l’économiste.


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