EnquêteSur les casinos « CS : GO », des jeunes addicts très tôt et pour longtemps

« Après la phase de jeux, on a honte »… Sur les casinos « CS : GO », des jeunes addicts très tôt et pour longtemps

Enquête« 20 Minutes » a recueilli de nombreux témoignages de joueurs comme Bastien qui explique comment il a perdu une somme d’argent inimaginable à cause de sa passion pour « Counter-Strike »
Les casinos en ligne dérivés de « CS : GO » touchent les plus jeunes.
Les casinos en ligne dérivés de « CS : GO » touchent les plus jeunes. - Supersizer  / E+ / Getty Images
Lina Fourneau et Adrien Lachet

Lina Fourneau et Adrien Lachet

L'essentiel

  • 20 Minutes a enquêté sur l’univers des casinos en ligne dérivés du mythique jeu vidéo, Counter-Strike.
  • Des jeunes joueurs tombent parfois très tôt dans l’addiction aux jeux d’argent. Bastien*, 19 ans, en fait partie.
  • « C’était exactement comme une drogue, je ne pouvais pas m’en passer », nous raconte-t-il. Il fait désormais une cure de désintox pour s’éloigner des jeux d’argent.

Mettre cinquante centimes, en gagner cent fois plus. Miser, remiser et à la fin tout perdre. Parmi la trentaine de témoignages reçus d’anciens joueurs ou habitués des casinos en ligne liés au jeu vidéo CS : GO, le même engrenage revient souvent parmi les descriptions des joueurs, parfois très jeunes, que nous avons contactés. C’est le cas de Bastien*, un jeune homme de 19 ans, qui vit en Suisse.

Lorsqu’il nous appelle, sa voix est hésitante. Il faudra prendre des pauses de temps en temps, le sujet n’est pas simple à évoquer. Encore moins à distance. Depuis quelques mois, Bastien a décidé d’entreprendre une cure de désintox alors qu’il fêtait à peine sa majorité. C’est justement à ses 18 ans qu’il a commencé les jeux d’argent. « Ça faisait un moment que je jouais à CS : GO, depuis mes 14 ans environ. A l’origine, je n’aimais pas les casinos en ligne, mais j’aimais beaucoup le jeu. Alors je me suis mis à regarder les Youtubeurs jouer aussi. » L’idée émerge en visionnant une vidéo sponsorisée par le site de paris en ligne HellCase. « C’est comme ça que je suis tombé dedans. »

« Dépenser encore plus d’argent »

Une fois sur le site, la magie opère. Des armes décoratives, appelées « skins » par-ci. Des couteaux par-là. « Ça m’a un peu trop passionné », avoue Bastien, très rapidement vissé à son écran. « J’ai eu envie de rester. Lorsqu’on défile sur le site, on voit toutes les cases, toutes les fonctionnalités. C’est très coloré, ce sont des affichages dynamiques, ça donne envie de jouer. J’imagine que c’est ce qui déclenche l’addiction. » Comme de nombreux joueurs, Bastien se limite au départ à une pratique qu’il estime « responsable ». Il consulte les nouvelles caisses à ouvrir de temps en temps, pour s’amuser.

Puis la pente de l’addiction se raidit. Elle est parfois même insurmontable. « Le fait qu’il y ait énormément de ces caisses à ouvrir, ça donne envie de gagner et de dépenser encore plus d’argent. » Très vite, Bastien investit des sommes bien plus élevées. « Aberrantes », même selon ses propres mots. Il y passe une heure par jour, voire 1h30. « Avant, je jouais ce que je gagnais. Mais après, j’ai commencé à dépenser mon salaire d’apprenti suisse. » Un jour, Bastien fait les comptes. Au total, en seulement un an et demi, il aurait dépensé plus de 20.000 euros.

La difficulté d’arrêter

Outre l’aspect financier, l’addiction commence également à lui miner le moral. « C’était exactement comme une drogue, je ne pouvais pas m’en passer. Après la phase de jeux, quand on éteint l’ordinateur, on a honte de nous. Ça, c’est vraiment quelque chose qui détruit mentalement. » Bastien sent qu’il sombre un peu plus, mais n’ose pas en parler à ses proches. Le sujet est délicat à évoquer. « Mes parents n’étaient pas au courant, mes proches non plus. J’avais vraiment tout enfoui. »

Au pied du mur, le jeune homme finit par tout leur raconter. « Ils étaient un peu choqués. Mais au lieu de m’en vouloir, ils m’ont dit que j’avais un problème et ont voulu m’aider. » Ils lui proposent de se rendre à un groupe anti-addiction au jeu d’argent. Après quelques séances, Bastien s’estime presque guéri et a dû retourner une ou deux fois sur son ancien site favori depuis le début de sa cure de désintoxication. « Sans remettre de l’argent et sans grand intérêt. » Mais la difficulté que rencontre le jeune addict est surtout liée à la façon dont sont construits les sites. « Quand on crée un compte, c’est presque impossible de le supprimer », témoigne-t-il. Lui, a au moins réussi à retirer ses gains. Ce qui n’est pas une mince affaire.

Des outils pour limiter l’addiction

En effet, les sites de paris en ligne n’ont aucun intérêt à faire rempart contre les problèmes d’addiction, même chez les plus jeunes. Alors des outils tentent d’exister pour limiter la casse. C’est notamment le cas du site Stop jeu qui vient de voir le jour, après dix-huit mois de développement. « Notre grande particularité, c’est qu’on résiste à la désinstallation et aux contournements par VPN sur l’ensemble des sites francophones », explique Romain, un des cofondateurs. Leur application fonctionne ici grâce à une intelligence artificielle. « Elle analyse les sites et dit "oui c’est un site de jeux d’argent" ou "non ça ne l’est pas" ». Pour la personne devenue addict – « des personnes fichées banque de France », cite Romain – il est nécessaire que l’application soit protégée par un code PIN. « Le seul moyen de désinstaller l’application, c’est de faire une réinitialisation entière du téléphone. Et on bloque également le filtrage VPN. »

Repenti de l’industrie du jeu d’argent, Romain a travaillé un temps pour un site de pari en ligne à Malte, et connaît l’envers du décor mieux que personne. « J’étais responsable des relations client pour les casinos en ligne. Souvent on avait des modèles de conversation quand les gens voulaient se désinscrire et se faire interdire. L’objectif était de les réalimenter avec des bonus. Le marketing est très fort, il offre de l’argent gratuit. »

*le prénom a été anonymisé à la demande du témoin

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