INTERVIEW« Les choses bougent, mais la réparation est loin encore d’être un réflexe »

Économie circulaire : « Ça bouge, mais la réparation est encore loin d’être un réflexe en France »

INTERVIEWLes associations HOP et Make.org organisent ce week-end les premières Journées nationales de la réparation. Avec l’espoir d’ancrer un peu plus cette option dans l’esprit des Français. Laëtitia Vasseur, déléguée générale d’HOP, répond à « 20 Minutes »
Plus de 1.000 événements sont au programme sur tout le territoire. Ils vont permettre de sensibiliser les élus et les citoyens au sujet, faire connaître les initiatives et solutions au plus proche de chez vous.
Plus de 1.000 événements sont au programme sur tout le territoire. Ils vont permettre de sensibiliser les élus et les citoyens au sujet, faire connaître les initiatives et solutions au plus proche de chez vous. - Nicolas Delaunay / AFP
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Des ateliers citoyens de réparations qui se multiplient, un indice de réparabilité apposé sur de nombreux produits, et un bonus réparation pour alléger la facture de celles et ceux qui font l’effort de réparer plutôt qu’acheter neuf… Les lignes bougent en France pour favoriser la réparation.
  • Pour Laëtitia Vasseur, déléguée générale et cofondatrice de HOP, il reste tout de même encore fort à faire pour faire de la réparation un réflexe chez les Français à chaque fois qu’un objet tombe en panne.
  • C’est pour y contribuer que l’association, avec Make.org, organise de vendredi à dimanche les Premières Journées nationales de la réparation. Plus de 1.000 événements sont au programme. Laëtitia Vasseur répond à « 20 Minutes ».

Les Français sont 81 % à en avoir une bonne image… mais seulement 36 % passent à l’action. C’est tout le paradoxe de la réparation, mis en avant par l’Agence de la transition écologique (Ademe) dans une étude de 2019, et dont on peine à se dépêtrer en France. Pourtant, « l’allongement de la durée de vie de nos produits par la réparation est un outil efficace pour répondre à l’urgence écologique, revenir à plus de sobriété et de justice sociale », pointe Halte à l’obsolescence programmée (HOP), qui travaille à ancrer ce réflexe dans le mode de vie des Français.

Pour aller dans ce sens, l’association coorganise, avec Make.org Foundation, la première édition des Journées nationales de la réparation, de vendredi à dimanche. Ateliers manuels, animations, conférences, débats, tutoriels… Plus de 1.000 événements sont programmés sur ces trois jours (la carte est ici). Laëtitia Vasseur, déléguée générale et cofondatrice de HOP, décrypte les enjeux de cette première édition pour 20 Minutes.

Pourquoi vouloir lancer, cette année, ces premières Journées nationales de la réparation ?

L’idée était de combler un vide en France. L’International Repair Day [Journée internationale de la réparation] existe depuis plusieurs années déjà. Dans plusieurs pays, des associations marquaient le coup en organisant des événements autour de la réparation et en communiquant beaucoup autour. Mais en France, en dehors d’initiatives locales et éparses de repair cafés, nous étions assez à la traîne. Et c’est d’autant plus dommage que les lignes bougent ces dernières années.

C’est tout le but de ces premières Journées nationales de la réparation, que nous organisons avec Make.org. Ces 1.000 événements vont permettre de sensibiliser les élus et les citoyens, faire connaître les initiatives et solutions au plus proche de chez soi…

Vous dites que les lignes ont commencé à bouger ces dernières années…

Depuis quelque temps, on voit une multiplication des initiatives citoyennes et associatives. Que ce soit les repair cafés, les tiers-lieux, les associations de quartier, les Fablab, les ressourceries et recycleries… La création de ces lieux, qui sont un pilier essentiel de l’économie circulaire, sont même soutenues par les collectivités locales. C’est le cas de la région Nouvelle-Aquitaine, qui a voté un plan d’investissement en la matière.

En parallèle, la loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) de 2020 a aussi accouché de mesures intéressantes. Notamment l’indice de réparabilité, une note de 0 à 10 obligatoirement apposée sur plus de 33 millions de produits vendus en France, issus de huit familles*. Aussi le bonus réparation, une réduction immédiate sur la facture de celles et ceux qui font la démarche de faire réparer leurs équipements électriques et électroniques (EEE) plutôt que de les remplacer par un neuf.

Justement, l’indice réparabilité est en place depuis le 1er janvier 2021… A-t-il déjà eu des effets positifs ?

L’enjeu de cet indice est double. Il s’agit à la fois d’orienter les consommateurs vers les produits qui sont les plus réparables, mais aussi de pousser les fabricants à revoir la conception de leurs produits. Les premières remontées que nous avons sont encourageantes. Non seulement, ça devient petit à petit un critère dans le choix des consommateurs, mais la moyenne des notes augmente. Le signe, a priori, que les fabricants commencent à améliorer la réparabilité de leurs produits. La France a pris de l’avance avec cet indice de réparabilité et inspire l’Union européenne. Un indice similaire va être créé sur les smartphones et les tablettes mi-2025.

Et nous nous apprêtons à prendre un nouveau coup d’avance en transformant, en 2024, notre indice de réparabilité en « indice de durabilité » pour trois familles de produits : les smartphones, les lave-linge et les téléviseurs. Ça va dans le bon sens. L’indice de durabilité vous dira si le produit est facilement réparable et vous indiquera sa robustesse. En clair : tombera-t-il facilement ou non en panne ?

Le bilan est-il aussi satisfaisant pour le bonus réparation ?

Non, le bilan est complètement insatisfaisant pour l’instant au regard du potentiel. Pour rappel, ce bonus a été lancé fin décembre. Il permet de toucher une réduction immédiate sur sa facture lorsque l’on fait réparer un bien hors garantie auprès d’un réparateur labellisé. Trente et une familles de produits sont couvertes, de la machine à laver à la tondeuse, en passant par le smartphone, l’appareil-photo ou l’aspirateur… En juin, selon un premier bilan, 51.000 réparations avaient déclenché ce bonus. C’est la preuve que, là où il est connu, le dispositif marche. Il n’y a rien d’étonnant : pour 68 % des Français, le prix est le premier frein à la réparation. Mais c’est tout le problème aujourd’hui : ce bonus est trop peu connu. Dès lundi, Hop lancera une campagne de communication pour y remédier. Mais c’est aussi à l’État et aux éco-organismes en charge de financer ce bonus réparation de le faire connaître.

Et ce n’est pas son seul point faible **. Les bonus sont souvent trop peu généreux dans le montant des aides accordées pour être incitatif. Le 4 juillet, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, s’était engagé à expérimenter un « super bonus » sur trois familles de produits. Une concertation a été lancée dans la foulée avec les différents acteurs concernés qui s’est achevée le 15 septembre. La proposition de HOP de doubler le montant du bonus sur les lave-linge, les téléviseurs et les aspirateurs, a reçu un bon accueil. Dans le détail, le montant moyen de la réduction passerait de 25 à 50 euros sur les deux premières catégories et de 15 à 30 euros sur les aspirateurs. Nous attendons désormais la décision de Christophe Béchu. On l’espère au plus vite.

Avez-vous l’impression que le réflexe est largement encore, en France, l’achat neuf à chaque fois qu’un objet tombe en panne ?

Ça vaudrait le coup de réactualiser les études de l’Ademe, mais il est peu probable qu’on soit sorti de ce paradoxe de la réparation en France. Entre d’un côté sa bonne image et, de l’autre, le peu de Français qui passent à l’action. Il reste des freins. Sur le prix de la réparation, l’écoconception des produits, le nombre de réparateurs… C’est aussi le but de ces premières Journées nationales de la réparation. Ça permettra de faire pression sur le gouvernement en montrant qu’il y a des attentes.

* Lave-linge à hublot et à chargement par le dessus, smartphone, ordinateur portable, téléviseur, tondeuse à gazon électrique, lave-vaisselle, nettoyeur à haute pression, aspirateur filaire, sans fil et robot.

** Par ailleurs, les ONG ont dénoncé, à la création du bonus, des démarches administratives trop compliquées pour les artisans réparateurs pour se faire labelliser. Pour Laëtitia Vasseur, ces lourdeurs administratives perdurent.