PORTRAITEt le musicien aux abois est devenu chien noir…

Et le musicien aux abois est devenu chien noir…

PORTRAITJean Grillet, alias chien noir, a sorti son premier album, « Apollo », fin octobre. De son enfance au milieu des vignes girondines aux textes de son opus en passant par sa nomination aux Victoires de la musique 2022, il s’est raconté à « 20 Minutes »
Le premier album de chien noir, « Apollo » est sorti en octobre 2023.
Le premier album de chien noir, « Apollo » est sorti en octobre 2023. - Frankie Allio / believe
Fabien Randanne

Fabien Randanne

L'essentiel

  • chien noir, Jean Grillet à l’Etat civil, a sorti son premier album, Apollo, en octobre 2023.
  • « En écrivant ces chansons, j’ai réécrit mon passé. Je l’ai fantasmé, je l’ai exagéré, j’en ai rajouté des caisses, je me suis rendu mieux que ce que j’étais et moins bien que ce que j’ai pu être », explique l’artiste de 37 ans à 20 Minutes.
  • L’artiste, qui a été initié à la musique par sa mère dès l’âge de 6 ans, s’est lancé en tant que chien noir avec un premier EP, en 2019, après avoir connu une période sombre.

Né quelque part est une chanson « fondamentale » pour chien noir. « Je l’ai beaucoup écoutée enfant, nous raconte l’artiste de 37 ans. Il y a dedans tout ce à quoi j’aspire : un message puissant, universel, plus que jamais d’actualité, et, musicalement, un gros travail de production. Maxime Leforestier est un geek du son, il adore les synthés. »

Chien noir est né quelque part, dans le Sud-Ouest. Il a grandi à Bourg-sur-Gironde, un « patelin » de 2.200 habitants où, une fois dans l’année, une fête foraine vient balayer l’ennui. Il en parle dans Julia, une chanson de son premier album, Apollo, sorti fin octobre. Ce morceau est, confie-t-il, celui qui en dit le plus long sur lui – « cette posture d’homme qui regarde, qui observe, raconte beaucoup de choses sur moi ».

Avant de s’appeler chien noir, il est, à l’Etat civil, Jean Grillet. Comme tous les gens qui sont nés quelque part, il n’a pas choisi ses parents, il n’a pas choisi sa famille. « Je suis fils de vignerons. On habitait dans un château au milieu de vignes mais il était tout déglingué. Une partie de ma famille était aristo, mais moi je suis la fin de race », rit-il sans cynisme.

« Le monde viticole est extrêmement violent »

De ce milieu qui fut son environnement pendant de longues années, il garde un souvenir contrasté. « Le monde viticole est passionnant mais il est extrêmement violent envers les travailleurs. J’ai travaillé dans les vignes, j’ai grandi avec des gens qui travaillaient dans les vignes et cette violence m’a traumatisé, choqué, convaincu que ce n’était pas bien. A chaque fois que je parle de liberté, je pense à ces moments-là. »

« On n’avait pas de sous, mais on avait un héritage culturel, on avait une bibliothèque », poursuit l’artiste. Son amour de la musique lui vient de sa mère, « fille de paysans vendéens modestes ». Elle jouait au piano, il s’asseyait à côté d’elle et l’imitait. Il avait 6 ans. Elle l’a inscrit dans une école de musique. « C’est comme ça que j’ai commencé. J’ai écrit mes premières chansons à 12 ans, quand je me suis mis à la guitare », déroule-t-il.

A la maison, la musique n’était pas en fond sonore en permanence. Les chansons s’écoutaient surtout en voiture, ou pendant les vacances. La mère de chien noir aimait surtout Leonard Cohen et les gospels. Son cousin, à l’adolescence, jurait essentiellement par Nirvana et Deftones. Sa culture musicale s’est construite comme ça. Il y avait aussi Weezer, dont il est « un grand fan » et à qui il doit son « amour pour les mélodies ». Parmi ces références anglo-saxonnes surnage donc Né quelque part de Maxime Leforestier, « une chanson très grande » qui le « connecte à la chanson française ». Car chien noir écrit et chante en français.

Un pseudo inspiré par Stevenson, Vian et Churchill

Avant de se consacrer à la musique, l’artiste a assuré un diplôme, un BTS en œnologie. Puis il est entré au conservatoire, en électroacoustique et a intégré une compagnie de théâtre. Sur scène, il jouait par exemple des reprises de Sonic Youth et Fugazi. Rétrospectivement, il affirme que cette expérience lui a appris « à avoir une exigence sur le sens qu’il met dans les choses ».

En 2016, cependant, il sombre. « J’avais l’impression de ne pas vivre ma vie. Je suis tombé bien bas, je me faisais du mal et je faisais du mal aux autres », confesse-t-il pudiquement. Il se sent perdu et l’écriture lui a permis de se trouver. « Ecrire, parler de mes peurs, de mes doutes, m’a sauvé », avance-t-il sans grandiloquence.

C’est là que chien noir est né. A cette période, il voit ces deux mots partout. Dans L’Île au Trésor de Stevenson – où un pirate est surnommé ainsi –, dans le poème de Boris Vian, Je voudrais pas crever (« avant d’avoir connu les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver ») ou bien encore dans un documentaire sur Churchill. « Il était cyclothymique et appelait sa condition son "chien noir". Je trouvais ça beau qu’il retourne cet antagonisme en compagnon », souligne-t-il. Jean Grillet a décidé lui aussi de bâtir sa carrière d’artiste sous l’égide d’un chien noir, symbole de ses fantômes personnels.

Une nomination aux Victoires après seulement cinq chansons

Sa rencontre avec Mark Daumail du groupe Cocoon a été déterminante : « Il m’a aidé à produire mon premier EP. J’ai commencé à toucher du doigt ce que je voulais faire. » L’extended play en question, sorti en 2021, s’intitule Histoires vraies. La chanson titre s’est retrouvée dans une pub de La Redoute, réalisée par Géraldine Nakache.

« Pour moi, ce n’était pas une consécration mais c’était la vie qui me prenait la main et me disait que j’allais pouvoir vivre ma vie un peu tranquillement pendant un an, sans me poser de question. J’ai pu payer les gens qui travaillaient avec moi, j’étais content de faire un beau chèque à ma mangeuse qui a travaillé d’arrache-pied, se réjouit l’artiste. C’était du pain bénit. Faire cette chanson sincère, douce, bienveillante avec moi-même, m’a permis de continuer et de me retrouver aux Victoires de la musique. »

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C’était en 2022, chien noir s’est retrouvé en lice côté révélations masculines aux côtés des frères du duo Terrenoire – qui ont décroché le trophée – et de Myd. « En vrai, c’était un peu prématuré pour moi, d’être nommé, je n’avais sorti que cinq chansons, ce qui est peu. Mais ça s’est fait comme ça, note-t-il. C’est un bon souvenir, cette première télé m’a endurci. Depuis, j’ai moins peur de moi et des gens. »

« Avec ces chansons, j’ai réécrit mon passé »

La cérémonie n’a pas bouleversé sa carrière, mais a servi de déclencheur. C’est à ce moment qu’il a songé à la pérennité de son projet. « Qu’est-ce que je foutais là ? Il fallait que je le définisse, que je réfléchisse. Cela a beaucoup contribué à faire d’Apollo l’album qu’il est. Le souffle, que l’on retrouve dessus, est la première chanson que j’ai écrite, avec P.R2B, après les Victoires. J’y chante "Un jour, on m’a appris à sauter dans les vagues", ce texte m’a permis de répondre aux questions "Qu’est-ce que je veux être ? Qu’est-ce que je veux faire ?" »

Parmi les autres textes forts du disque, il y a celui d’A quoi pensait-elle ? « Cela a été un exutoire, je l’ai écrite au moment où ma mère a appris qu’elle était malade. Je voulais lui dire que ce que j’étais c’était grâce à elle », précise chien noir. L’artiste résume : « En écrivant ces chansons, j’ai réécrit mon passé. Je l’ai fantasmé, je l’ai exagéré, j’en ai rajouté des caisses, je me suis rendu mieux que ce que j’étais et moins bien que ce que j’ai pu être. » La preuve que l’on peut naître quelque part et renaître autrement, ailleurs, sans que cela soit un hasard.

chien noir sera en concert à La Cigale (Paris 18e), le 6 février 2024

Ecrire pour d’autres

Jean Grillet, alias chien noir, écrit et compose également pour d’autres artistes. Un exercice qu’il trouve « pas facile, mais hyperstimulant ». Il a notamment signé Vague à l’âme sœur pour Vanessa Paradis et Au temps pour nous pour Christophe Willem. Son rêve serait de travailler à des chansons pour Golshifteh Farahani.