EAUC’est quoi un inversac, qui inonde les maisons sans qu’il pleuve ?

C’est quoi un inversac, qui inonde les maisons sans qu’il tombe aucune goutte de pluie ?

EAUUn nouvel inversac est en cours, depuis la nuit du 17 au 18 octobre, sur le bassin de Thau : l’eau saumâtre de l’étang a pénétré dans la nappe phréatique
Huit inversacs ont eu lieu depuis 1967 sur le bassin de Thau, dont cinq depuis 2006.
Huit inversacs ont eu lieu depuis 1967 sur le bassin de Thau, dont cinq depuis 2006. - DAMOURETTE/SIPA / SIPA
Nicolas Bonzom

Nicolas Bonzom

L'essentiel

  • Un inversac, c’est lorsque l’eau saumâtre d’un étang pénètre dans la nappe phréatique, alors que, d’ordinaire, c’est l’inverse qui a lieu.
  • Dans l’Hérault, un nouvel inversac est en cours, sur le bassin de Thau. Ce phénomène naturel est de plus en plus fréquent sur cette lagune fragile.
  • Ce phénomène peut entraîner des inondations dans les maisons aux alentours. Mais le risque, c’est que ce phénomène déséquilibre l’écosystème.

A l’automne 2020, à Balaruc-les-Bains (Hérault), des maisons avaient été brusquement inondées, sans qu’aucune goutte de pluie ne tombe sur le littoral. Le 28 novembre, cette année-là, un habitant de cette station balnéaire s’était réveillé avec plus de 20 cm d’eau dans son salon. « Une rivière ! », avait-il confié à France Bleu Hérault. « L’eau sortait par le sol de ma cour, et par certains murs du salon. Je n’avais jamais vu ça. »

Rien ne permettait de prévoir le torrent qui allait débouler dans cette maison. Car si le temps était maussade, à la fin du mois de novembre 2020, à Balaruc-les-Bains, les faibles pluies n’étaient pas en cause. C’était la faute à… un inversac. Ce phénomène naturel est peu connu, et pourtant de plus en plus fréquent, sur le bassin de Thau. Et si, depuis de longs mois, la menace s’était éloignée, elle a ressurgi, dans la nuit du 17 au 18 octobre. Depuis, la lagune est de nouveau en alerte, car un nouvel inversac est en cours.

C’est quoi un inversac ?

Naturellement, l’eau d’un étang, comme le bassin de Thau, est constituée, à la fois, d’eau salée et d’eau douce. C’est une eau saumâtre. Et sous la lagune, il y a une nappe phréatique, qui, elle, n’est constituée que d’eau douce. Lorsque cet écosystème fonctionne normalement, « la pression de la nappe phréatique est plus forte que celle de l’étang, ce qui permet à l’eau douce de remonter dans le bassin, et de l’enrichir en eau douce », explique à 20 Minutes Michel Garcia, le président de la Commission locale de l’eau (CLE) et vice-président du Syndicat mixte du bassin de Thau.

Un inversac, c’est quand le phénomène inverse se produit : lorsque le niveau de la nappe phréatique est beaucoup trop faible, l’eau saumâtre prend le dessus, et pénètre sous la terre. « Il faut imaginer une balance, reprend Michel Garcia. D’un côté, il y a la nappe phréatique, et de l’autre, il y a l’étang. Quand l’étang est plus lourd, l’étang entre dans la nappe phréatique. » C’est ça, un inversac. Et c'est ce qui se produit dans la source de la Vise, à une trentaine de mètres sous l'étang de Thau, le point le plus profond de la lagune.

Le changement climatique peut-il augmenter la fréquence des inversacs ?

Malheureusement, oui. D’ailleurs, si l’on prend l’exemple du bassin de Thau, le phénomène est de plus en plus fréquent sur cette lagune particulièrement fragile. Il y a en a eu huit depuis 1967, l’année où le premier inversac a été enregistré. Si, jadis, « c’était un phénomène qui n’était pas très courant », poursuit le président de la CLE, les derniers sont de plus en plus rapprochés les uns des autres : un inversac s’est produit au bassin de Thau en 2006, en 2010, en 2014, en 2020, et, donc, en 2023. En 2020, ce fut d’ailleurs l’inversac le plus long jamais observé sur cette lagune : il a duré 471 jours, et a débouché sur un arrêté de catastrophe naturelle, qui a permis aux sinistrés d’être indemnisés.

Le manque régulier de pluie dans le département, qui entraîne l’assèchement de la nappe phréatique, est en cause dans la multiplication des inversacs, bien sûr. « Sur les cinq dernières années, on a perdu environ un an et demi de précipitations », détaille Michel Garcia. L’inversac, en cours sur la lagune de Thau depuis la nuit du 17 au 18 octobre, a été, aussi, précipité par « un coup de vent » violent, qui a brusquement fait monter le niveau de l’étang, déséquilibrant encore un peu plus cet écosystème. La hausse des températures, aussi, est en cause. Car « plus il fait chaud, plus l’eau s’évapore, plus l’étang va se saliniser, explique cet expert. L’eau salée étant plus lourde que l’eau douce, la pression de l’étang sur la nappe phréatique est plus importante. »

Quels sont les risques des inversacs ?

L’inondation des maisons du coin, d’abord. « Un inversac entraîne une pression sur la nappe phréatique, et fait remonter de l’eau dans les habitations », en particulier à Balaruc-les-Bains. Mais ce n’est pas le seul risque de ce phénomène. A force, la nappe phréatique pourrait voir sa teneur en sel exploser. Un changement de la qualité de l’eau qui pourrait poser de gros problèmes, à long terme notamment pour la biodiversité. Et pour l’irrigation. « Car si l’on salinise les sols, c’est le départ de la désertification, déplore Michel Garcia. Lors de l’inversac de 2020, 6,7 millions de m3 d’eau de l’étang sont entrés dans la nappe phréatique. Cela représente 200.000 tonnes de sel. Ce n’est pas une pincée de sel. » Pour l’eau au robinet, cela ne représente, pour l’instant, aucun problème. Ni pour l’activité des thermes, même si les ingénieurs surveillent ça avec attention.

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Est-il possible d’empêcher un inversac ?

Des travaux sont actuellement menés, pour tenter de trouver une solution pour éviter, ou du moins diminuer l’impact des inversacs, sur le bassin de Thau. Le Syndicat mixte du bassin de Thau, le Bureau de recherches géologiques et minières et les services de l’Etat planchent sur la création d’un « clapet », qui pourrait empêcher les eaux saumâtres de l’étang de pénétrer dans la nappe phréatique. « Il serait ouvert pour permettre de laisser passer l’eau douce dans l’étang, mais se fermerait en cas d’inversac, pour que l’eau saumâtre ne rentre pas dans la nappe phréatique, détaille Michel Garcia. Cela paraît assez simple, comme ça. En réalité, c’est beaucoup plus complexe, car la source, ce n’est pas un tuyau. » Mais ce sera, pour les ingénieurs qui œuvrent sur ce dispositif, un travail de très longue haleine. « On ne peut pas faire n’importe quoi, note le vice-président du Syndicat mixte du bassin de Thau. On ne peut pas jouer aux apprentis sorciers. »

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