EXPULSIONLa justice suspend l’expulsion de Sana, mariée de force en Syrie

Lille : La justice suspend l’expulsion de Sana, mariée de force en Syrie

EXPULSIONCe vendredi, le tribunal administratif de Lille a suspendu l’arrêté d’expulsion visant une jeune femme de 24 ans, emmenée contre son gré en Syrie lorsqu’elle était adolescente puis mariée à un djihadiste
Le camp d'Al-Roj où Sana, emmenée en Syrie alors qu'elle était adolescente, a passé quatre ans avec ses filles.
Le camp d'Al-Roj où Sana, emmenée en Syrie alors qu'elle était adolescente, a passé quatre ans avec ses filles. - MAGNUS NEWS AGENCY/SIPA / SIPA
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le tribunal administratif de Lille a suspendu l’arrêté d’expulsion vers l’Algérie visant Sana, une jeune mère de famille emmenée en Syrie en 2014 lorsqu’elle était adolescente.
  • Les magistrats ont estimé que l’existence d’une menace grave pour l’ordre public n’était pas avérée, soulignant notamment que Sana n’avait pas été mise en examen.
  • La commission d’expulsion des étrangers avait déjà rendu un avis de cet ordre. Mais celui-ci n’étant que consultatif, le préfet n’en avait pas tenu compte.

Un peu de répit pour Sana*. Ce vendredi, le tribunal administratif de Lille a suspendu l’arrêté d’expulsion vers l’Algérie visant cette jeune mère de famille, emmenée contre son gré en Syrie lorsqu’elle était adolescente puis mariée à un djihadiste. Contrairement à ce que soutenait le préfet du Nord, Georges-François Leclerc, les magistrats ont estimé « que l’existence d’une menace grave pour l’ordre public » n’était « pas avérée ». Ils soulignent notamment que la jeune femme de 24 ans, qui a été rapatriée avec ses deux filles en janvier 2023, n’a pas été mise en examen, ni même placée sous le statut de témoin assistée. « Au contraire, [elle a] contribué à mettre en cause plusieurs personnes, dont des membres de sa famille ayant volontairement participé aux actions de l’État islamique », insistent les juges.

« La suspension de l’arrêté d’expulsion et de l’assignation à résidence est un immense soulagement pour Sana et ses filles », a réagi son avocate, Me Marie Dosé. Et d’insister : « Sana est une victime et doit pouvoir se reconstruire en France, ce pays qui a toujours été le sien, où elle est née, où elle a grandi et dont elle a été privée contre son gré par une mère maltraitante ».

« Je les condamne pour tout ce qu’ils ont fait »

Certes, comme l’écrivait le préfet dans son arrêté, Sana est bien « une étrangère en situation irrégulière ». La jeune femme est de nationalité algérienne. Elle n’a pourtant jamais mis les pieds dans ce pays, a toujours vécu à Roubaix. A 13 ans, comme tous les enfants nés en France et résidant sur le territoire, elle reçoit une lettre lui indiquant qu’elle remplit toutes les conditions pour obtenir la nationalité française. Il suffit de faire régulariser son cas auprès de la préfecture. Mais sa mère l’en empêche.

Peu de temps après, l’adolescente est déscolarisée, entièrement voilée. A 15 ans, en 2014, sa mère, radicalisée, l’emmène avec toute sa famille en Syrie. Quelques semaines plus tard, elle sera mariée à un djihadiste belge. « Je suis devant vous par des choix faits par ma mère », a insisté Sana lors de l’audience qui s’est tenu jeudi matin, rapporte nos confrères de La Voix du Nord. Que pense-t-elle de Daech ?, l’interroge la cour. « Je les condamne pour tout ce qu’ils ont fait de visible et de caché ». Elle assure ne plus avoir aucun lien avec son « mari ».

Cette décision constitue un nouveau revers pour le préfet du Nord. Le 27 septembre déjà, la commission d’expulsion des étrangers avait émis un avis défavorable au renvoi vers l’Algérie de la jeune femme. Les trois magistrats avaient alors estimé que rien ne permettait d’établir que la présence de Sana « sur le territoire national constitue une menace grave à l’ordre public ». Et d’insister : « Les allégations de M. le préfet du Nord à cet égard ne sont corroborées par aucune pièce. »

Mais le préfet avait décidé de ne pas tenir compte de cette décision – qui n’est que consultative – et avait, le 10 octobre, émis un arrêté d’expulsion. Il était d’ailleurs de nouveau présent en personne à l’audience jeudi. Cela n’a pas empêché les juges d’estimer « qu’il existait sur la légalité de la décision un doute suffisamment sérieux pour en suspendre l’exécution ».

* Le prénom a été modifié