LANGAGELes politiques moins bons qu’avant pour manier la langue française ?

Cité de la langue française : Les politiques sont-ils moins bons qu’avant pour manier la langue de Molière ?

LANGAGELes responsables publics sont souvent accusés de manier la langue française moins bien que leurs prédécesseurs
Emmanuel Macron en pleine réflexion sur son niveau de français.
Emmanuel Macron en pleine réflexion sur son niveau de français. - Photomontage T.L.G. sur photo de Jacques Witt/SIPA / SIPA
Thibaut Le Gal

Thibaut Le Gal

L'essentiel

  • Emmanuel Macron inaugure lundi la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts (Aisne).
  • Le français est aujourd’hui défendu comme un « patrimoine national » par les responsables politiques, mais en prennent-ils eux-mêmes vraiment soin ?
  • Les élus sont souvent accusés de manier la langue avec moins d’aisance que leurs illustres prédécesseurs. Est-ce vrai ? 20 Minutes a mené l’enquête…

Le français entre au château. Emmanuel Macron inaugure lundi au domaine de Villers-Cotterêts (Aisne) la Cité internationale de la langue française, vaste projet culturel que le président de la République avait évoqué lors de sa première campagne présidentielle. Le lieu est hautement symbolique puisque c’est ici qu’en 1539, François Ier a fait du français la langue officielle du royaume (à la place du latin). Quelques siècles plus tard, la langue de Molière (et de Rimbaud !) a fait son petit bonhomme de chemin mais reste au cœur des préoccupations politiques.

Les responsables se plaisent en effet à défendre ce « patrimoine national » au gré des polémiques, mais en prennent-ils vraiment soin ? Eux-mêmes sont accusés de manier la langue avec moins d’aisance que leurs illustres prédécesseurs. Est-ce vrai ? 20 Minutes a mené son enquête…

Oui, car la classe politique a changé…

« Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu. Celle qui ressemble aux morts, qui sont morts pour être aimés ». En 1969, Georges Pompidou cite – de mémoire – Paul Eluard pour éluder une question sur un fait divers. Une conférence de presse d’un autre temps. « Il y a un appauvrissement du discours et de la parole politique, on n’a plus le lyrisme d’autrefois ni les références classiques. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, et notamment l’évolution des formations de nos dirigeants politiques », assure Jean Garrigues, historien spécialiste de l’histoire politique. « Pompidou, de Gaulle, Malraux ou Mitterrand et d’autres avaient fait leurs ''humanités classiques'', ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Le monde économique a désormais plus d’importance. La République des avocats, qui ont pullulé jusqu’aux années 1980-1990, a été remplacée par celle des VRP », ajoute-t-il.

« La place prise par les écoles de commerce est désormais sans commune mesure », abonde le député insoumis Aurélien Saintoul, agrégé de Lettres classiques. « Ce débat pose la question de la place qu’on accorde aux Lettres dans notre société. On a considéré qu’on était dans un monde où la technique prenait de plus en plus de place. Et que pour s’y préparer, on avait davantage besoin de notices que de romans. Les politiques ne sont que les témoins de ces évolutions », ajoute l’élu, qui milite pour un renforcement des enseignements littéraires.

Oui, et c’est la faute de la communication politique

Sur le banc des accusés, on trouve en premier lieu la communication politique. « De nombreux responsables abaissent leur niveau de langage pour se rendre populaire, apparaître moins déconnecté, en utilisant 300 mots de vocabulaire et des phrases simples : sujet-verbe-complément », remarque Philippe Moreau-Chevrolet, fondateur de l’agence MCBG Conseil. « Le discours politique est façonné et formaté par les communicants pour ne prendre aucun risque. C’est une mauvaise stratégie car les politiques apparaissent alors insincères, ça se voit et c’est souvent raté. Le langage politique est devenu une langue morte », regrette le professeur à Sciences Po.

Non, « c’était pas mieux avant »

Mais s’interroger sur la baisse du niveau de langue des politiques serait loin d’être une nouveauté, assure Chloé Gaboriaux, agrégée de Lettres modernes et maîtresse de conférences à Sciences Po Lyon. « Cette question se pose depuis toujours, ce qui tend à suggérer que la langue connaît une dégradation continue depuis des siècles. On peut plutôt estimer que son évolution suscite de façon récurrente la réaction de personnes convaincues que "c’était mieux avant" », nous répond-elle. La chercheuse ajoute : « De la même façon que Léon Gambetta [président du Conseil sous la IIIe République] donnait des sueurs froides aux conservateurs, qui conspuaient son "charabia" et regrettaient Chateaubriand, les tribuns sont rarement reconnus comme tels par les défenseurs de la "belle langue", généralement tournés vers le passé », ajoute-t-elle.

Non, et il reste de jolis manieurs de la langue

Lorsqu’on se plonge dans les livres d’Histoire, on a beau jeu d’en extirper les exemples les plus fameux. Mais les livres de demain dénicheront probablement les tribuns d’aujourd’hui. « On peut citer Jean-Luc Mélenchon ou Christiane Taubira pour la gauche, qui aimait déclamer des poèmes à l’Assemblée nationale. A droite, le sénateur LR Claude Malhuret ou Eric Zemmour sont aussi d’excellents manieurs de langue. Bruno Le Maire est également féru de littérature et François-Xavier Bellamy (LR), par exemple, est agrégé de philosophie… », énumère Jean Garrigues.

Le député Aurélien Saintoul préfère, lui, saluer la diversification de profils. « Nos paroles reflètent nos parcours personnels, nos personnalités. On a une diversité de langue, d’accents. Certains parlent avec fluidité, d’autres non, mais s’expriment quand même. C’est aussi leur dignité ».

Sans oublier que les médias ne sont plus les mêmes…

Qui imagine le général de Gaulle discourant solennellement… lors d’un duplex sur une chaîne d’info en continu ? Si l’éloquence n’est plus la même, c’est aussi en raison de l’évolution des supports médiatiques. « Le tempo de la télévision et les 280 caractères de Twitter ont appauvri le langage. Peu à peu, le poids des petites phrases et des formules chocs a pris le pas sur les grandes envolées lyriques », dit Jean Garrigues.

« La société s’est habituée à une forme d’expression appauvrie, raccourcie. Car on n’a souvent que quelques secondes pour exprimer son idée », abonde Aurélien Saintoul. L’insoumis ajoute : « Si on parle comme les grands anciens, on va vite passer pour des Martiens ! »