EDUCATIONDeutsch ? Nein ! Pourquoi les élèves français se détournent de l’allemand

Education : Deutsch ? Nein ! Pourquoi les élèves français se détournent de l’allemand au collège et au lycée

EDUCATIONManque de profs, a priori, stratégies parentales différentes… La langue de Goethe n’est plus très en vogue dans le secondaire
En 2022, 14,8 % des élèves étudiaient l'allemand en LV2.
En 2022, 14,8 % des élèves étudiaient l'allemand en LV2.  - Canva / Canva
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Selon le ministère de l’Education, en 1994, plus de 600.000 élèves apprenaient l’allemand comme première langue. Ils n’étaient plus que 231.000 en 2015 et 139.814 en 2022 (soit 2,5 %).
  • Les familles ont moins tendance à choisir la langue de Goethe, car ce n’est plus une garantie d’intégrer les meilleures classes.
  • L’allemand souffre d’une grave pénurie d’enseignants, due à une crise des vocations. Ce qui pénalise fortement la discipline.

«Ich spreche Deutsch ». Une phrase qu’on entend de moins en moins dans les collèges et lycées français. Selon le ministère de l’Education, en 1994, plus de 600.000 élèves apprenaient l’allemand en première langue. Ils n’étaient plus que 231.000 en 2015 et 139.814 en 2022 (soit 2,5 %). La part d’élèves étudiant la langue de Goethe en deuxième langue est un plus élevée, puisqu’elle atteignait 14,8 % en 2022, (soit 656.000 élèves).

Une désaffection progressive liée, selon Thérèse Clerc, présidente de l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France (ADEF), à la montée en puissance de l’espagnol. « La France est le seul pays européen où il y a une telle proportion d’élèves apprenant l’espagnol. Sans doute parce que cette langue est jugée plus facile et qu’elle est utilisée dans de nombreux pays. »

Les parents ignorent également que la maîtrise de l’allemand constitue un vrai plus sur un CV. « C’est un atout aussi bien pour travailler en Allemagne – qui est la première puissance économique d’Europe – que pour travailler avec des Allemands », insiste Anne Tallineau, secrétaire générale de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ). D’ailleurs, les offres d’emploi publiées sur l’Apec en mars 2023, montrent que l’allemand est la deuxième langue la plus demandée par les recruteurs après l’anglais.

Peu d’initiation en primaire

L’envie d’apprendre l’allemand devrait être suscitée dès le plus jeune âge. Or, ce n’est pas le cas. Bien que les élèves de primaire disposent d’un enseignement en langue, en 2022, seulement 3,6 % d’entre eux étudiaient la langue de Goethe. « L’éducation nationale souhaite que l’anglais soit la première langue d’initiation. D’autant que l’étude internationale Pisa de 2025 évaluera les compétences en anglais des élèves de 15 ans de l’OCDE », explique Violaine Bigot, professeure en sciences du langage et autrice d’une étude sur le sujet*. « Or, toutes les études sur le sujet concluent que plus on met tôt un enfant au contact d’une langue, plus il aura envie de la choisir », commente Anne Tallineau. Consciente de ce fait, la France a annoncé en janvier son intention de doubler le nombre d’assistants de langue allemande dans les écoles.

La réforme du collège de 2015 a également joué. Elle a supprimé une partie des classes bilangues qui permettaient aux élèves d’étudier deux langues simultanément dès la 6e. Ce qui a eu des répercussions sur le nombre d’élèves germanistes. « Ça a cassé une dynamique », estime Thérèse Clerc. Certes, ces classes bilangues ont été remises en place à la rentrée scolaire 2017, mais les parents ne le savent pas toujours.

L’allemand n’est plus un passeport pour les meilleures classes

Il fut un temps où le fait de choisir l’allemand en première langue garantissait d’être dans une bonne classe et qui plus est, avec des effectifs moins chargés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. « Les principaux de collège et les proviseurs de lycées ont tendance à répartir les germanistes sur plusieurs classes pour favoriser la mixité scolaire », constate Violaine Bigot.

Parcoursup semble aussi avoir nui à la langue de Schopenhauer. Car l’apprentissage de l’allemand étant réputé difficile, les parents craignent que leurs enfants écopent d’une mauvaise note en contrôle continu, ce qui ternirait leur dossier scolaire. Des a priori non fondés selon Thérèse Clerc : « Les grilles d’évaluation des élèves sont les mêmes pour toutes les langues, donc les enseignants d’allemand ne sont pas plus sévères que les autres.

58 % des postes ouverts encore vacants

Last but not least – ou plutôt endlich – l’allemand souffre d’une grave pénurie d’enseignants, due à une crise des vocations. En 2023, 58 % des postes au Capes d’allemand n’ont pas été pourvus : seulement 86 personnes ont été admises pour 205 postes offerts. « Les germanistes trouvent des perspectives professionnelles plus intéressantes financièrement dans le privé » , explique Thérèse Clerc. Ce manque de profs ne date pas d’hier et se ressent sur les conditions d’exercice des professeurs d’allemand, qui sont souvent obligés de partager leur temps sur deux, voire trois établissements. Car pour l’heure, l’Education nationale souhaite que cette langue soit proposée dans un maximum d’établissements.

Et lorsque les profs d’allemand sont malades ou en congé maternité, il n’est pas toujours évident de trouver des remplaçants. « Les cours non assurés dans les collèges découragent les élèves et leurs parents de choisir la discipline. Pour qu’il y ait une demande forte, il faut une offre éducative pérenne et de qualité », souligne Violaine Bigot.

L’espoir d’un renouveau

Même si le constat n’est pas très reluisant, les germanistes n’ont pas dit leur dernier mot. L’ADEAF émet plusieurs suggestions pour soutenir la discipline : le prérecrutement en licence 2 ou 3 des futurs enseignants pour susciter des vocations, la création d’un enseignement de spécialité à deux langues au lycée…

De son côté, l’OFAJ se démène pour promouvoir la langue de Goethe. « Nous soutenons financièrement les voyages scolaires et les séjours sportifs des jeunes en Allemagne. Nous proposons aussi des échanges d’enseignants en primaire afin qu’ils améliorent leurs compétences dans la langue du pays voisin », énumère Anne Tallineau. Reste à espérer aussi que certaines stars allemandes donnent l’envie à des collégiens d’apprendre leur langue : « On se souvient que le groupe de rock Tokio Hotel avait en son temps incité plein d’adolescents à apprendre l’allemand », rappelle Violaine Bigot.

*Contextes et défis de l’apprentissage de la langue du partenaire dans une Europe multilingue, 2023.