Rendez-vousLa marche contre l’antisémitisme, une photo (gâchée) de la classe politique

Marche contre l’antisémitisme : Une « victoire pour le RN » et « pas une belle photo » de la classe politique

Rendez-vousLes polémiques autour des absents et des présents ont presque éclipsé l’objet de la marche dimanche
Jean-Luc Mélenchon ne sera pas à la marche contre l'antisémitisme. Yaël Braun-Pivet et Jordan Bardella oui, mais pas sans « cordon sanitaire » entre eux.
Jean-Luc Mélenchon ne sera pas à la marche contre l'antisémitisme. Yaël Braun-Pivet et Jordan Bardella oui, mais pas sans « cordon sanitaire » entre eux. - Charly TRIBALLEAU / AFP, Lafargue/POOL/SIPA et Alain ROBERT/SIPA / Canva
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • La lutte contre l’antisémitisme, lors de la marche prévue dimanche, est ternie par les querelles politiques, entre une présence de l’extrême droite qui gène et des divergences à gauche sur la posture à tenir. Au lieu d’un moment d’union, la photo de classe révèle les fractures.
  • Cette séquence serait déjà « une victoire » pour le RN, pour qui l’attaque du Hamas et l’invitation à marcher sont « une occasion extraordinaire pour sa stratégie de normalisation », analyse le politologue Jean-Yves Camus.
  • A l’inverse, les divisions au sein de la gauche mettent en évidence l’incompatibilité entre le PS et LFI notamment.

«T’y vas ou t’y vas pas, toi ? Tu sais qu’untel y sera ? » Ces derniers jours, la scène politique française s’écharpe à propos d’un rendez-vous : la marche contre l’antisémitisme, dimanche, à Paris. Et face à un sujet aussi sensible et fondamental, la photo de classe n’est guère reluisante.

Invité dans un premier temps, le RN a sauté sur l’occasion pour se placer du bon côté de l’arc républicain. A gauche, le malaise est palpable et le choix difficile, entre défense de la cause et rejet de l’extrême droite. Si bien qu’on ne parle presque plus de l’antisémitisme lui-même. La marche serait-elle la parfaite illustration des unions et fractures du paysage politique actuel ? 20 Minutes en parle avec Jean-Yves Camus, politologue et chercheur associé à l’Iris.

La photo de l’union déjà gâchée par les querelles politiques ?

Faisons rapidement les comptes. L’extrême droite, incarnée par Marine Le Pen et Eric Zemmour, sera présente mais pas forcément bien accueillie par une partie du cortège. LR et LREM seront en tête, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et le président du Sénat, Gérard Larcher, étant à l’origine de la manifestation. L’union de la gauche, elle, part en ordre dispersé : le PS, EELV et le PCF seront présents, à condition de se distancier de l’extrême droite, LFI ne viendra pas. « On n’a pas une belle photo de l’état du spectre politique face à l’antisémitisme », regrette Jean-Yves Camus.

« Sur la situation à Gaza, les uns et les autres peuvent se positionner différemment, mais ça n’est pas ça, l’objet de la marche », rappelle-t-il, pointant « 1.000 actes antisémites en un mois » dans le pays. « C’est une cause qui doit réunir tout le monde, sans être parasitée par des conflits de politique intérieure, car au bout du compte, ce sont les victimes de l’antisémitisme qui sont les perdantes », martèle-t-il. Le politologue se montre mal à l’aise sur le traitement du RN. « Si des élus RN, qui sont des représentants de la Nation, arrivent à cette marche et ne peuvent pas y accéder, il se passe quoi ? », s’interroge-t-il.

Le RN peut-il sortir vainqueur de cette séquence ?

Le parti de Marine Le Pen est-il déjà « bénéficiaire » de cette séquence ? « Bien sûr que c’est une victoire pour le RN, c’était là le piège ! Et il se refermera davantage si dimanche, les choses ne se passent pas dans le calme et la concorde », insiste Jean-Yves Camus. Pour le politologue, « dans la logique des institutions, l’arc républicain, c’est l’ensemble des partis qui siègent à la représentation nationale », ce qui comprend le RN. Trop tard donc pour exclure le parti d’extrême droite. « On peut dissoudre un mouvement qui fait 2 %, pas un parti qui est au second tour de la présidentielle », schématise le chercheur à l’Iris.

Marine Le Pen et Jordan Bardella ayant « parmi leurs ennemis principaux l’islamisme », l’attaque du Hamas représente une « occasion extraordinaire » pour la stratégie de normalisation du parti, via un soutien à Israël. Mais le politologue note deux ambiguïtés dans le rapport du RN aux personnes juives. D’une part la volonté d’être « un bouclier ». « Les juifs de France ne demandent pas un bouclier mais des droits ». De l’autre le passé du RN, Jordan Bardella ayant récemment estimé que « Jean-Marie Le Pen n’était pas antisémite ». « Il n’y a jamais eu de vraie déclaration formelle du RN sur son passé », qui reste « un boulet » pour 2027.

Que disent les divisions de la gauche sur l’état de la Nupes ?

Partons de l’autre côté de l’échiquier. Les valeurs d’humanisme, de vivre-ensemble, de lutte contre les discriminations, tout cela devrait être un sujet facile pour une gauche normale. Mais au vu des divergences sur la marche, « la direction du PS aurait dû y regarder à deux fois avant de s’embarquer dans la Nupes », car « des signaux d’incompatibilité avec LFI existaient », estime Jean-Yves Camus. Olivier Faure a appelé « tous les Français » à défiler, quand Jean-Luc Mélenchon dénonce un rendez-vous des « amis du soutien inconditionnel au massacre ».

« Essentialiser la communauté juive en en faisant la courroie de transmission de la politique d’Israël, ce n’est pas digne », s’émeut Jean-Yves Camus. Même du côté de la gauche répondant à l’appel, le désaccord demeure. Pour les Ecologistes, « toujours présents » contre l’antisémitisme, « Reconquête et le RN ne sont pas les bienvenus », tandis que Fabien Roussel, premier à dire que « la Nupes est morte », veut simplement « trouver un autre endroit » dans le cortège pour ne pas être « aux côtés » du RN. Après l’union en 2022, c’est le retour des « gauches irréconciliables ». Et la lutte contre l’antisémitisme, dans tout ça ?