A l’IHU de Marseille, l’indéboulonnable Didier Raoult

Marseille : L’ombre de l’indéboulonnable Didier Raoult plane toujours à l’IHU

HOPITALMis à la retraite il y a un peu plus d’un an, le controversé professeur n’a pas fini de faire parler de lui
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Didier Raoult refait parler de lui après la publication d’une étude qu’il avait dans un premier temps retirée.
  • Cette publication a entraîné la réaction de l’ANSM, qui a indiqué avoir saisi la justice.
  • A l’IHU de Marseille, on peine à tourner la page Didier Raoult, qui y possède toujours un bureau.

Un spectre hante l’IHU. Voilà quelques mois que le controversé professeur marseillais n’avait pas fait parler de lui. Mis à la porte de l’AP-HM (Hôpitaux de Marseille) après avoir atteint l’âge de la retraite, voilà Didier Raoult toujours dans les murs de l’établissement, revenu par la fenêtre via son statut de professeur émérite, qui lui donne le droit d’y conserver un bureau.

Il est réapparu cette semaine sur la scène médiatique après que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a annoncé avoir à nouveau saisi la justice après la republication d’une étude – prépubliée en juin avant d’être retirée – visant à démontrer l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19.

« Echec et mat » ?

Cette étude, parue dans la revue New Microbes and New Infections, porte sur l’analyse d’une base de données de 30.423 patients soignés contre le Covid-19 et a été signée par Didier Raoult, ainsi que trois autres professeurs de l’IHU et un professeur américain. Au-delà du débat scientifique, cette publication sonne comme un pied de nez – voire une provocation – fait à son administration de tutelle, alors que l’ANSM venait une semaine plus tôt d’alléger les restrictions imposées à l’IHU en matière d'essais cliniques consécutivement aux « affaires Raoult ».

« Il y a un besoin de tourner la page » Didier Raoult, avait déclaré François Crémieux à son arrivée à la tête des hôpitaux de Marseille, en août 2021, tout en annonçant la retraite à venir du fondateur de l’IHU. Deux ans plus tard, difficile de dire qu’il est en ainsi. Un nouveau directeur a bien pris la suite de Didier Raoult. Mais Pierre-Édouard Fournier est un de ses anciens élèves. « Echec et mat », avait d’ailleurs tweeté Didier Raoult le jour de l’annonce de cette nomination, en juillet 2022.

« La présence de Monsieur Raoult dans les murs de l’IHU, où il a encore un bureau, rend compliquée la passation de pouvoir », estime Cédric Bottero, de la CGT université Aix-Marseille (AMU). Le syndicaliste avait participé aux auditions en CHSCT qui avaient conduit à la saisie de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales). Pour lui, la republication de cette dernière étude « prouve que des professeurs comme Philippe Brouqui, Matthieu Million ou Philippe Parola continuent de travailler avec Raoult. L’ANSM, le ministère de la Santé, l’AMU et l’AP-HM doivent sanctionner. Il doit pouvoir se tenir des conseils disciplinaires et enfin pouvoir tourner la page », souhaite Cédric Bottero. Dans un communiqué, l’AP-HM a indiqué « condamner fermement la publication de cet article, portant sur une étude qui, selon l’ANSM, ne respecte pas la réglementation et la protection des patients ».

Le marteau et l’enclume

Tout un foin dont se régalerait presque le biochimiste Eric Chabrière, proche de Didier Raoult, toujours chercheur et aujourd’hui en charge de la « valorisation de l’IHU ». « C’est l’effet Barbra Streisand », s’amuse celui qui a pu être surnommé le « shérif », véritable porte-voix de Didier Raoult sur X (anciennement Twitter), finalement relaxé d’une accusation de harcèlement. « Ils voulaient virer Didier Raoult, mais cette stratégie ne marche pas avec lui, et l’amuse même. Il s’épanouit dans le combat », décrit le biochimiste. Qui ajoute : « Didier Raoult est arrogant comme pas possible, désagréable comme la pluie, mais il est brillant ».

Notre dossier sur Didier Raoult

A l’IHU, on l’a dit, l’ombre de Didier Raoult plane toujours. « C’est lui qui a créé le bâtiment, difficile de l’oublier », poursuit Eric Chabrière. Qui assure que là-bas, « personne ne lui a tourné le dos ». De fait, Pierre-Edouard Fournier, le successeur de Didier Raoult à la tête de l’institut, se « trouve un peu entre le marteau et l’enclume », illustre Eric Chabrière.

Mais « l’évolution de l’IHU est plutôt favorable », veut croire Pierre Tattevin, professeur en maladies infectieuses et ex-directeur du Spilf (Société de pathologie infectieuse de langue française). Cette structure avait déposé plainte contre Didier Raoult, l’amenant à comparaître devant l’Ordre des médecins, où il avait écopé d’un blâme. « Monsieur Fournier est beaucoup plus mesuré que Didier Raoult. Ça va dans la bonne direction, mais cela va prendre du temps », poursuit l’infectiologue. Du temps, l’indéboulonnable Didier Raoult peut toujours contempler chez lui la statue à son effigie qu’un admirateur lui a offerte.