PROCESAu procès d’Eric Dupond-Moretti, la colère froide de François Molins

Procès Dupond-Moretti : « Ce n’est pas moi le prévenu »… La colère froide de François Molins

PROCESEntendu comme témoin, François Molins, à la retraite depuis quelques mois, n’a pas mâché ses mots contre le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. L’inimitié entre les deux hommes est particulièrement vive
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, comparaît depuis lundi devant la Cour de justice de la République, pour prise illégale d'intérêts.
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, comparaît depuis lundi devant la Cour de justice de la République, pour prise illégale d'intérêts.  - Benoit PEYRUCQ / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Éric Dupond-Moretti est jugé depuis lundi par la Cour de justice de la République, une première pour un ministre en exercice. Il encourt cinq ans de prison et 500.000 euros d’amende.
  • Le garde des Sceaux est soupçonné de s’être servi de ses fonctions pour régler ses comptes avec des magistrats – un ancien juge d’instruction et trois magistrats du Parquet national financier (PNF) – avec lesquels il avait eu des différends lorsqu’il était avocat.
  • Ce jeudi, François Molins, qui a occupé juste avant de prendre sa retraite l’un des deux plus hauts postes de la hiérarchie judiciaire, était entendu en tant que témoin. Et c’est peu dire que les relations entre les deux hommes sont particulièrement tendues.

A la Cour de justice de la République,

François Molins s’avance d’un pas déterminé vers le pupitre de la Cour de justice de la République. Il n’a pas un regard pour le prévenu, Eric Dupond-Moretti. L’ancien procureur général près la cour de Cassation – il est à la retraite depuis quelques mois – est entendu comme témoin dans le procès visant le ministre de la Justice. Le garde des Sceaux est soupçonné de s’être servi de ses fonctions pour régler ses comptes avec quatre magistrats avec lesquels il avait eu des différends lorsqu’il était encore avocat. D’emblée, comme pour mettre les choses au clair, François Molins tient à préciser qu’il n’est pas « venu régler [ses] comptes ». « Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas à l’aise avec les conflits », insiste-t-il.

C’est de notoriété publique : les deux hommes ne s’apprécient pas. Doux euphémisme. Ces deux figures incontournables du monde judiciaire se détestent. Dans l’entourage du ministre, on l’a maintes fois sous-entendu : François Molins souhaitait obtenir le poste de garde des Sceaux. Vexé de ne pas l’obtenir, il aurait alors cherché à mettre des bâtons dans les roues de l’ancien pénaliste. François Molins le reconnaît ce jeudi, il a été « flatté » que son nom soit évoqué parmi la liste des ministres possibles. Pour autant, il l’assure, il n’aurait jamais accepté une telle charge, tenant « trop à [sa] liberté ». Le 6 juillet 2020, néanmoins, lorsqu’il apprend qu’Eric Dupond-Moretti est nommé garde des Sceaux, il a « du mal à y croire ». « Je ne nie pas ses qualités de pénaliste mais c’est une personnalité clivante et pas vraiment un signe d’apaisement avec la magistrature », estime-t-il. Derrière lui, le ministre trépigne, multiplie les mimiques, ne cherche même pas à cacher son agacement.

« Je n’ai jamais croisé le fer avec M. Dupond-Moretti »

Avant l’arrivée du ténor place Vendôme, les deux hommes ne se connaissaient pas. « Je n’ai jamais croisé le fer avec M. Dupond-Moretti, ni dans une cour d’assises, ni dans un tribunal correctionnel », assure François Molins. Il se souvient d’un unique échange, lorsqu’il était procureur de la République de Paris : il a téléphoné au pénaliste pour l’informer qu’une plainte avait été déposée contre son cabinet. Rapidement, pourtant, la situation se tend. Le magistrat estime notamment n’avoir pas été reçu assez rapidement par le ministre – la défense lui fera remarquer qu’ils ont déjeuné ensemble le lendemain de sa nomination. Mais c’est surtout l’affaire du Parquet national financier (PNF) qui va finir de glacer une relation déjà bien froide.

Retour en arrière : fin juin 2020, alors qu’il est encore avocat, Eric Dupond-Moretti découvre que ses relevés téléphoniques ont été étudiés par des magistrats du PNF qui cherche à savoir qui a informé Nicolas Sarkozy et son avocat, Me Thierry Herzog, qu’ils étaient sur écoute. En clair, ils cherchent une éventuelle taupe. L’enquête sera classée sans suite mais en l’apprenant le tonitruant pénaliste est furieux et porte plainte. Sa prédécesseur, Nicole Belloubet, a également lancé une enquête de fonctionnement. En arrivant au ministère, Eric Dupond-Moretti s’engage à retirer sa plainte. Ce qu’il fait. Mais c’est sur son bureau qu’atterrissent les conclusions de l’enquête de fonctionnement : elle pointe des dysfonctionnements mais ne relève aucune faute.

« Je ne suis pas le conseiller du ministre »

Pourtant, trois jours plus tard, il annonce l’ouverture d’une enquête disciplinaire visant expressément trois magistrats. Lors de son audition mardi, comme pendant la procédure, il a affirmé que ce choix avait été soufflé à sa directrice de cabinet par François Molins lui-même. Cette dernière l’a d’ailleurs répété à l’audience ce jeudi matin : elle a consulté le magistrat – avec qui elle entretenait des relations amicales – pour savoir quelles étaient les options possibles. « Mais je ne suis pas le conseiller du ministre », fulmine François Molins, particulièrement remonté. Lui l’assure, il a simplement indiqué qu’une saisine du Conseil supérieur de la magistrature « était impossible compte tenu du dossier ». En clair : il affirme avoir donné les différentes options qui s’offraient à lui sans suggérer laquelle était la meilleure. « Je n’ai pas donné de conseils au ministre mais juste rappelé une règle de droit », s’emporte-t-il.

A de multiples reprises, François Molins, le rappelle : lui, n’est qu’un simple témoin dans ce dossier. « Ce n’est pas moi le prévenu, c’est Eric Dupond-Moretti », répète-t-il à l’envi. Le magistrat refuse qu’on puisse penser qu’il a cherché à « se venger ». Deux semaines après l’ouverture de l’enquête, il a cosigné avec la Première présidente de la Cour de Cassation, une tribune cinglante dénonçant des « conflits d’intérêts ». Une démarche rarissime pour les deux plus hauts magistrats de France. C’est également lui qui donnera un avis favorable aux plaintes et requêtes reçues pour « prise illégale d’intérêts » qui ont conduit le ministre jusqu’à cette salle d’audience. « Je n’ai pas à porter de jugement sur la stratégie de défense d’un prévenu mais je constate qu’on a fait de moi un coupable, comme si moi, j’avais abusé de mes fonctions », cingle-t-il.

« Revanchard »

Un argumentaire qui ne convainc pas – mais alors pas du tout – le premier intéressé. A de multiples reprises, il se lève, se rassied, marmonne, souffle. Après un peu plus d’une heure trente, il finit par prendre la parole et reproche à François Molins de lui avoir « savonné la planche ». « Je ne sais pas qui est le revanchard des deux : le budget, il le critique, la surpopulation carcérale, je n’ai pas bien fait. Rien de ce que je n’ai fait n’est bien », tonne-t-il. « On a le droit de ne pas être d’accord sur tout », lui rétorque le magistrat, indiquant néanmoins qu’il a toujours salué la hausse du budget. « J’ai des idées, j’ai le droit de les exprimer », poursuit-il sèchement. Entre ces deux grands orateurs – au style bien différent – aucun terrain d’entente ne semble envisageable.