EnquêteLes étoiles de David, antisémitisme, soutien à Israël ou manipulation ?

Tags d’étoiles de David : Antisémitisme, manipulation, soutien à Israël ?…. L’enquête se poursuit

EnquêteDepuis la découverte de 250 tags d’étoiles de David à Paris et des villes de banlieue, plusieurs théories s’affrontent. A chaud, c’est l’acte antisémite qui a été dénoncé de manière unanime. Mais la réalité est peut-être différente
Des étoiles de David peintes au pochoir dans une rue du 14e arrondissement à Paris.
Des étoiles de David peintes au pochoir dans une rue du 14e arrondissement à Paris. - Thibaut Chevillard / 20 Minutes
Mikaël Libert

Mikaël Libert

L'essentiel

  • Depuis les attaques du Hamas en Israël début octobre, les actes antisémites se sont multipliés en France, notamment à travers des tags et des agressions physiques.
  • De nombreux pochoirs d’étoiles de David bleues ont été découverts à Paris et en banlieue fin octobre, mais le caractère antisémite de ces actes n’a pas encore été prouvé.
  • Plusieurs pistes sont suivies par le magistrat en charge de l’information judiciaire : l’antisémitisme, le soutien à Israël, ou une éventuelle manipulation de la Russie.

Depuis que le Hamas a attaqué Israël début octobre, les actes antisémites se sont multipliés en France. Sur les réseaux, sous forme de tags, et parfois même lors d’agressions physiques. Dans cette déplorable série, Paris et plusieurs villes de banlieue parisienne se sont réveillées, fin octobre, en découvrant des centaines de pochoirs d’étoiles de David peints sur des murs en bleu. Gérald Darmanin avait dénoncé dans la foulée ces « étoiles de David que l’on a vu malheureusement fleurir sur quelques domiciles de personnes notamment de la communauté juive ». Mais à ce stade de l’information judiciaire ouverte, rien ne démontre le caractère antisémite de l’acte.

L’enquête du parquet de Paris a rapidement permis d’interpeller deux suspects, un couple de ressortissants moldaves, âgés de 30 et 34 ans, expulsés du territoire depuis. Surpris par un riverain en train de taguer « une étoile bleue au pochoir » dans le 10e arrondissement le 17 octobre, les suspects avaient rapidement été interpellés. Spontanément, le couple avait reconnu avoir agi à la « demande d’un tiers », expliquait le parquet, ajoutant qu’une conversation « en russe » retrouvée dans le téléphone de l’un d’eux attestait leur déclaration. Un autre couple avait été repéré grâce à la vidéosurveillance lors d’un périple en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine, au cours duquel il a peint de nombreuses étoiles de David, là aussi en bleu et au pochoir. Ce couple s’est enfui du territoire, mais les investigations de téléphonie ont permis au parquet d’établir qu’il avait été en contact avec le même commanditaire que le couple interpellé.

Des accusations « stupides » selon Moscou

Le terme « russe » ayant été prononcé, l’hypothèse d’une tentative de déstabilisation menée par Moscou a rapidement émergé, notamment dans la presse. « On sait que la personne tierce est établie à l’étranger, mais rien ne permet d’affirmer à ce stade que c’est en Russie », assure à 20 Minutes le parquet de Paris. « Le Russe est la deuxième langue utilisée en Moldavie, il n’est donc pas illogique que l’échange téléphonique se soit fait dans cette langue », ajoute-t-il. Ce jeudi, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a réfuté toute implication de Moscou, dénonçant des accusations « stupides » d’un « non-sens absolu » et « indignes ».

S’il n’est pas établi qu’il s’agit de tags antisémites ou d’une manipulation des Russes, une troisième hypothèse circule sur les réseaux. Elle est portée par Ismaël Boudjekada, un élu municipal de la commune de Grand-Charmont, dans le Doubs. Il affirme avoir infiltré un groupe sur WhatsApp, depuis fermé, intitulé « Tsahal vaincra », composé de 450 membres, tous de fervents soutiens d’Israël. Selon l’élu, captures d’écran à l’appui, un membre de ce groupe suggérait d' « inonder les commerces, les immeubles, avec des magen David [étoiles de David] partout » en réaction aux tags antisémites. Ce même membre écrivait qu’il fallait « payer des tagueurs s’il le faut ». Ce message sur « Tsahal vaincra » daterait du 30 octobre, soit après la première salve de tags que le parquet de Paris attribue au couple en fuite. « Les membres du groupe ont réagi à ces tags en appelant à en commander d’autres par la suite », assure à 20 Minutes Ismaël Boudjekada, ajoutant que la « volonté des membres de ce groupe était aussi de surfer sur cette vague prétendument antisémite ». Il affirme avoir transmis toutes les informations qu’il aurait récoltées à la justice.

Des tags d’une forme inédite

L’hypothèse de tags réalisés en soutien à Israël tient-elle la route ? « Je suis étonné de recevoir ce genre de question. Parce que pour moi, le caractère antisémite de cet acte ne fait aucun doute », s’offusque Guy Bensoussan, Président de l’association ACI affectataire de la synagogue de Lille. Néanmoins, la nature même de ces tags, réalisés au pochoir en bleu, interpelle. A commencer par le parquet de Paris, lequel note que le motif tagué est une « étoile de David bleue, similaire à celle figurant sur le drapeau d’Israël ». Cette même source nuance aussi les propos du ministre de l’Intérieur, affirmant que « ces pochoirs ont été marqués sur des façades, de manière manifestement indifférente à ce que les bâtiments abritaient ».

Contactée par 20 Minutes, la Licra admet un emballement à chaud : « Ces tags ont été découverts dans un contexte très fort d’actes antisémites, et notre premier réflexe a été de réagir ». Avec le recul, elle reconnaît que cette forme de tags est « quelque chose d’inédit », les inscriptions antisémites étant plus généralement des croix gammées ou des étoiles accompagnées d’insultes ou de menaces. Même constat du côté du Service de protection de la communauté juive (SPCJ), où l’on reconnaît auprès de 20 Minutes que, « sous cette forme de pochoirs et de cette couleur, c’est une première ». Quoi qu’il en soit, pour la Licra, « si ces tags ont été réalisés en soutien à Israël, ça n’a pas fonctionné ». En revanche, l’organisme estime que « si la thèse de l’ingérence russe se vérifie, la manœuvre a été plutôt efficace ».