votre vie, votre avisLe pacte enseignant crée des bisbilles dans les établissements

Le pacte enseignant sème la zizanie dans les établissements… « Quatre collègues me sont tombées dessus »

votre vie, votre avisNos lecteurs enseignants racontent quelques effets pervers du pacte dans les salles des profs
Rentrée scolaire dans une école privée de Nice.
Rentrée scolaire dans une école privée de Nice. - SYSPEO/SIPA / Sipa
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Le pacte, lancé à la rentrée, prévoit une hausse de rémunération conditionnée à de nouvelles missions aux enseignants qui sont volontaires pour le signer.
  • Un dispositif décrié par les syndicats, qui dénoncent le fait que ces missions s’ajoutent à leur temps de service, alors qu’ils réclamaient des hausses de salaires sans contreparties.
  • Dans les établissements, les pro et les anti pacte se regardent parfois de travers. Des tensions apparaissent aussi lorsque des enseignants veulent s’engager mais ne le peuvent pas, faute de missions disponibles.

C’est un dispositif qui est loin de faire l’unanimité chez les profs. Lancé à la rentrée, le pacte permet à des enseignants volontaires de s’engager dans des nouvelles missions en échange de rémunération. En octobre, le ministre de l’Education, Gabriel Attal, a annoncé que 25 % des enseignants l’avaient signé. Mais il est toujours décrié par syndicats, qui dénoncent le fait que ces missions s’ajoutent au temps de service des enseignants, alors qu’ils réclamaient des hausses de salaires sans contreparties. Si la plupart des chefs d’établissements se sont contentés d’informer leurs équipes du fonctionnement de ce pacte, d’autres semblent les avoir incités, selon Sophie Venetitay, secrétaire générale du SNES-FSU.

« On sait que dans certains endroits, il y a un chantage au pacte : si l’enseignant ne le signe pas, il ne pourra pas organiser de sorties scolaires », dénonce-t-elle. Ce que confirme Christine : « Notre établissement n’ayant pas signé assez de pactes, aucun projet ou sortie n’est possible à ce jour », répond-elle à notre appel à témoins. Une situation vécue aussi par Fatiha, professeure de SVT : « L’an passé, j’animais un club sciences un jour de la semaine à la pause méridienne. Ce fut un succès, les élèves me réclamaient d’autres heures en fin d’année. Cette année, je ne peux malheureusement plus l’animer car je dois signer un pacte pour continuer. Et je n’en ai pas l’intention. C’est une forme de chantage. Les élèves y perdent, quel dommage ! », déplore-t-elle.

Certains candidats au pacte restent sur la touche

A contrario, d’autres enseignants aimeraient s’engager mais ne le peuvent pas. A l’instar de Dominique, professeure en CM2 dans l’enseignement catholique. « Certaines missions sont prises sous pacte et d’autres, faites chaque année, ne sont pas pactables, comme l’organisation, la gestion des classes découvertes… Ces heures ne sont donc pas payées et cela crée énormément de tensions ». Dans certains établissements, de nombreux enseignants sont volontaires pour effectuer des missions supplémentaires. Ce qui oblige le chef d’établissement à faire un choix, avec des déceptions à la clé. « Certains pactes reviennent à des personnes qui avaient des missions de référent qui existaient déjà, et qui était non rémunérées auparavant. J’aurais voulu prendre ces missions mais je n’ai pas eu le droit au pacte. En revanche, des tâches supplémentaires non rémunérées me sont régulièrement demandées… comme d’habitude ! », déplore Juliette, professeur des écoles dans le public.

Un sentiment d’injustice également éprouvé par Anna, professeur d’espagnol dans le privé : « Tout a été fait en sous-main, certains professeurs recevant trois missions alors que d’autres n’ont pas pu en obtenir une seule, malgré leur énorme investissement. On travaille plus, on fait plein de projets, mais on n’a pas le droit à un pacte car on n’est pas dans les petits papiers. Pour ce qui est des séjours et sorties scolaires, là aussi, c’est un énorme scandale : le directeur a accordé des pactes à certains professeurs accompagnant seulement lors du séjour, alors qu’il en a refusé à des professeurs organisant tout le séjour. Des disparités qui n’ont fait que mettre des tensions au sein de l’équipe.  »

Les signataires, regardés de travers

Et entre les pro pacte et les contre, le dispositif crée des remous. Comme en témoigne Stéphane : « Quand je vois certains collègues cumuler sept ou huit missions, je trouve cela malsain, injuste. Cela dégrade encore un peu plus la formation des élèves, car en signant ce pacte, c’est du temps de préparation en moins pour notre métier de base. »

Certains enseignants qui se sont portés volontaires pour ces nouvelles missions craignent d’être regardés de travers par leurs collègues, et restent très discrets sur le sujet. Korine, professeure des écoles a au contraire joué cartes sur table et s’est attiré les foudres de ses consœurs. « J’ai signé le pacte pour du soutien renforcé dans mon école. Quatre collègues me sont littéralement tombées dessus, estimant que je ne comprenais rien, qu’il ne fallait pas entrer dans le dispositif. Et que de toute façon, elles ne me laisseraient pas faire et ne me confieraient pas d’élève… même en difficulté », raconte-t-elle.

Des différences de rémunération qui agacent

Un sentiment d’iniquité existe aussi chez les profs qui font des heures supplémentaires moins bien payées que les heures effectuées dans le cadre du pacte, comme le souligne Natacha : « Un collègue à temps partiel (80 %) a signé un pacte pour faire du remplacement courte durée. Il gagne plus pour ces heures supplémentaires que les collègues à qui on impose 2 heures supplémentaires en plus de leurs 18 heures de classe. Nous trouvons le système profondément injuste. »

Autant de témoignages qui montrent que les chefs d’établissement vont avoir du boulot pour retisser les liens au sein des équipes dans les prochains mois.