PROCESLes locataires d’un marchand de sommeil marseillais racontent leur calvaire

Marseille : « Des cafards de toutes les couleurs », les locataires d’un marchand de sommeil racontent leur calvaire

PROCESAu deuxième jour d’un procès emblématique du mal-logement à Marseille, des anciens locataires d’un ex-policier accusé d’avoir loué 122 logements insalubres ont raconté leurs conditions de vie déplorables dans un de ces appartements
Gérard Gallas comparaît pour avoir loué 122 logements indignes à Marseille.
Gérard Gallas comparaît pour avoir loué 122 logements indignes à Marseille. - Nicolas Tucat / AFP / AFP
Mathilde Ceilles

Mathilde Ceilles

Le cauchemar de Mr et Mme B a commencé un jour d’avril 2017. Le couple à la recherche d’un logement loue un appartement à Gérard Gallas, dans un immeuble situé dans les quartiers nord de Marseille. A la barre, Mme B raconte dans un débit rapide son insoutenable quotidien, qui a duré quatre ans. La deuxième journée du procès de ce marchand de sommeil, accusé d’avoir loué 117 logements indignes à Marseille, dure alors depuis neuf longues heures. Le couple, partie civile, est les derniers locataires à prendre la parole. Et les mots de Mme B. claquent dans la salle du tribunal correctionnel, dans un silence suspendu.

« Le problème principal, c’était les infiltrations d’eau, raconte Mme B. Ça a commencé par une petite fuite. Mais au fur et à mesure, ça s’amplifiait. D’une petite fuite, ça devient une grande fuite. Et puis ça s’est installé dans toute la maison. » Les larmes montent aux yeux de Mme B dont la voix est étranglée par l’émotion. « Donc, du coup, j’ai dû tout jeter. On est sept dans la famille. Et je me retrouve avec deux lits. Et ces deux lits ne sont pas utilisables. Chaque fois, je les change de place. Chaque fois, je vois une nouvelle fissure. Chaque fois, il y a de l’eau. Et les lits et les matelas étaient trempés. »

« Des pigeons qui rentraient par la fenêtre »

Et c’est loin d’être le seul problème dans cet appartement. « Le chauffage ne fonctionnait pas, se souvient-elle. Je l’ai ouvert une seule fois. Le jour où je l’ai ouvert, Mr. le président, j’ai laissé mon petit dans la pièce. Il avait un an à l’époque. Je l’ai laissé. Cinq minutes après, je suis montée éteindre le chauffage dans la pièce. Et il y avait de la fumée de partout. Le petit était sous le lit. » « Il y a aussi des fissures, continue-t-elle. Et les cafards, Mr. le président. C’est pas un cafard. C’est pas deux cafards. C’est une mine de cafards. Et vous avez toutes les couleurs ! Et vous en avez même qui volent la nuit ! »

Mme B. soupire. « La lumière, on ne l’éteint pas. En fait, nous, quand on est à la maison, on ne se repose pas car on est constamment en train de nettoyer. Car je ne peux pas accepter tout ça. Je n’y arrive pas. » Et d’ajouter, dans un débit plus rapide : « Et puis, c’est sans compter les lézards ! Les lézards, il y en avait plein ! Et par-dessus, on avait des pigeons qui rentraient par la fenêtre ! »

« Il est au courant et il fait rien du tout »

La situation est signalée au propriétaire, Gérard Gallas. « Le jour où on est rentré dans l’appartement, les travaux étaient pas faits, poursuit Mme B. Monsieur Gallas est au courant de la situation de mon immeuble. Je suis la seule locataire présente aujourd’hui mais on a parlé maintes fois avec les locataires. A chaque fois, c’est la même chose. Il est au courant de toute la situation et il fait rien du tout. Il est rentré à la maison plusieurs fois. On a parlé des travaux plusieurs fois. Il a même bu le café. Il nous a dit qu’il allait faire des interventions. Mais c’est pas vrai. C’est du camouflage. Il nous a proposé un T2. Quand bien même j’accepte le T2. Je fais comment avec mes gosses. »

La famille fait face également à un problème d’eau chaude. Mme B. contacte son propriétaire. « Il nous dit oui pour les travaux. On attend. Un jour. Deux jours. Trois jours. On s’est retrouvé entre 20 et 25 jours sans eau chaude. J’avais un nourrisson avec moi. Pour faire la douche, et bien, on fait chauffer de l’eau. On monte les escaliers parce que la salle de bains, elle est en haut. On renverse de l’eau dans un seau. Et ainsi de suite. A tel point que quand les enfants disent qu’ils vont faire leur douche, j’en deviens folle. »

« J’ai peur de monsieur Gallas »

Exaspérée par la situation, Mr B. contacte un jour Gérard Gallas, en désespoir de cause. Et fait face aux méthodes du propriétaire. « J’ai eu des menaces à cause des travaux, explique-t-il d’un ton craintif. Il y a eu toute une nuit… Quand il pleuvait, l’électricité s’est éclatée. Moi, j’ai les nerfs. J’ai cinq enfants. Je l’appelle. Jamais il répond. Il m’a menacé parce que je demandais de faire des travaux sinon je commence à ne plus payer le loyer. Et il a commencé à avoir les nerfs. »

Mr B., finalement, se ravise. Mais la crainte demeure, des années après. « Personnellement, j’ai peur de monsieur Gallas. C’est quelqu’un qui n’est pas honnête. Tout ce qu’il a dit, c’est faux. Il m’a menacé, moi. Il a harcelé ma femme quand j’étais en Tunisie. Il a commencé à frapper à la porte fort. Il m’a menacé et j’ai peur. Franchement, j’ai peur de lui. Moi, j’étais à la légion étrangère et j’ai jamais dit à quelqu’un ce qu’il se passait pour le menacer. Moi, il m’a dit : ''Vous ne me connaissez pas, j’ai travaillé à la police.'' »

« Il lui a cassé la porte »

Ancien gardien de la paix, Gérard Gallas a notamment longtemps officié au centre de rétention administrative du Canet à Marseille, avant de se lancer à plein temps dans l’investissement immobilier, en louant des appartements des quartiers nord à un public précaire, principalement des sans-papiers. « Quand il a les nerfs, il ne parle pas comme ça devant vous, insiste Mr B. C’est quelqu’un d’autre. Il a menacé la voisine devant nous. Il lui a cassé la porte. »

Cette crainte, c’est celle-là même qui expliquerait le peu de parties civiles dans ce dossier où les victimes en situation irrégulières craignent de se rendre dans un tribunal. « Il y a la peur, insiste Margot Bonis, chargée de mission droits et accès aux droits au sein du Réseau hospitalité, partie civile dans le dossier. Les personnes en situation irrégulière, c’est compliqué de faire comprendre qu’elles ont des droits. Elles ont aussi peur de la personnalité de monsieur Gallas. » « Je suis choquée par ces propos, s’indigne Gérard Gallas. Je suis très respectueux. Je n’ai jamais menacé et je n’ai jamais mal parlé à une femme. »

Une dernière peur a poussé Mr et Mme B à accepter la situation. « On a pas d’autres solutions, s’alarme Mr B. Sinon, on va où ? » « A Marseille, énormément de personnes appellent le 115 chaque jour et il n’y a pas de place, déplore Margot Bonis. Enormément de personnes vont se retourner vers des solutions qu’elles vont trouver par défaut et qu’elles subissent car elles n’ont pas d’autres choix. Il est très régulier de rencontrer des personnes qui vivent dans des conditions compliquées comme décrites dans ce procès. » Marseille, grande ville la plus pauvre de France, compte 40.000 taudis, et autant de personnes en attente de logement social. Dans ce dossier, Gérard Gallas encourt jusqu’à dix ans de prison.