BATAILLESur l’immigration, la bagarre dans la majorité ne fait que commencer

Projet de loi immigration : Après la réécriture du Sénat, le mano a mano dans la majorité ne fait que commencer

BATAILLEL’aile droite de la majorité pousse pour un compromis rapide avec le Sénat, tandis que l’aile gauche a des boutons rien que d’y penser
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et le député Renaissance de la Vienne, président de la Commission des lois, Sacha Houlié, en juillet 2023, en Nouvelle-Calédonie.
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et le député Renaissance de la Vienne, président de la Commission des lois, Sacha Houlié, en juillet 2023, en Nouvelle-Calédonie.  - Ludovic Marin / AFP
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Le Sénat a voté ce mardi une version largement droitisée du projet de loi immigration du gouvernement.
  • Dans la majorité, celle nouvelle version est très diversement appréciée.
  • Il y a celles et ceux qui veulent vite passer à autre chose et accepter le compromis, et d’autres qui ne veulent pas renoncer au texte d’origine. Aucune de ces options n’a pour le moment de majorité.

Au lendemain du vote par le Sénat d’un projet de loi immigration profondément modifié – et profondément droitisé –, les députés et députées de la majorité membres de la commission des lois (qui examinera le texte à partir de la fin novembre, avant son arrivée à l’Assemblée) ont rendez-vous avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Si cette réunion n’est pas censée être décisive, ce sera au moins l’occasion de prendre la température sur le compromis sénatorial. Une température qui, d’après le thermomètre de 20 Minutes, est très variable dans la majorité.

Une partie du groupe est soulagée et reprend les éléments de langage de l’entourage de Gérald Darmanin : « Il y a une semaine, tout le monde disait que c’était impossible, qu’il n’y aurait pas de texte voté, ou alors sans les régularisations, souligne un député Renaissance (RE) proche de la place Beauvau. Là, on a un texte voté, certes avec des compromis, mais avec une mesure de régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension. » De quoi satisfaire les élus Renaissance ?

L’aile gauche « pas convaincue »

« Le groupe, il a d’abord envie de s’en sortir, croit un autre député RE. Il y a ceux qui disent que l’immigration est un enjeu fort en vue des européennes et qu’on doit ressortir victorieux du texte pour aller devant les électeurs. Et il y a ceux qui pensent que c’est un bâton merdeux et veulent en finir vite. Ceux-là ne veulent pas perdre la face sur les métiers en tension, mais n’en font pas un point majeur. »

Mais la division la plus visible est celle qui déchire l’aile gauche et l’aile droite. L’aile gauche, justement, en fait un point clé de ce fameux article 3 sur la régularisation des sans papiers dans les métiers en tension. Il est devenu dans le texte du Sénat un article 4 bis, moins disant que le droit actuel, déjà très restrictif. Dans cette version, ces régularisations ne sont pas automatiques et toujours à la discrétion du préfet, comme dans la circulaire Valls actuelle. Pour les promoteurs du compromis sénatorial, le fait que ce soit désormais inscrit dans la loi change la donne. « Je ne suis pas convaincue, répond tout en euphémisme Stella Dupont, députée de l’aile gauche macroniste. Je connais bien la circulaire Valls et ses difficultés d’application. Je suis très attachée à la création, en droit, d’un titre spécifique pour les travailleurs des métiers en tension. »

« Un vrai enrichissement » du Sénat

Dans le texte qui va arriver sur le bureau de l’Assemblée, il n’y a pas que ce point qui hérisse les poils des défenseurs du projet gouvernemental d’origine, vu comme « équilibré » : resserrement des critères du regroupement familial, durcissement du droit du sol, conditionnement des allocations familiales et de l’aide au logement pour les étrangers à cinq ans de résidence, politique de « quotas » migratoires annuels, et surtout suppression de l’aide médicale d’Etat (AME) pour les sans-papiers. Le député proche de Gérald Darmanin cité plus haut a beau juger qu'« il y a eu un vrai enrichissement ! », c’est peu de dire que tout le monde ne partage pas cette magnanimité dans la majorité : « Je vais être cash, ce texte ne ressemble plus à rien, affirme le député MoDem Erwan Balanant. C’est presque de la provocation, tellement on est loin du texte initial. »

Pour Stella Dupont, les ajouts du Sénat sont des « marqueurs de l’extrême droite, des chiffons rouges agités ». Elle prépare déjà comment « revenir à l’idée originale du texte » à l’Assemblée. Même son de cloche du côté d’Erwan Balanant : « Le texte arrive chez nous en première lecture, nous avons toute légitimité à imposer notre vision du texte et de ce sujet de société. » Une attitude qui a le don d’agacer ce qu’on peut qualifier d’aile droite de la majorité : « D’un côté comme de l’autre, il faut arrêter les coups de menton ! Bien sûr il faudra recentrer, mais on n’a pas intérêt à bloquer un texte aussi populaire. S’il y avait des chiffons rouges d’extrême droite, est-ce que le groupe macroniste au Sénat aurait voté pour ? », se demande ce proche de Gérald Darmanin. Un autre demande même, à mots couverts, si l’aile gauche ne pourrait pas la mettre en veilleuse.

Pas de majorité, ni pour une version, ni pour l’autre

A priori, ce n’est pas la direction prise. Sacha Houlié, président de la commission des lois, le meneur des soutiens aux régularisations par le travail, n’a jamais manqué une occasion de redire qu’il irait jusqu’au bout de la bataille. La semaine dernière, il s’exprimait encore dans Le Figaro pour le redire, au lendemain du compromis sénatorial. Mais l’aile gauche fait assaut de prudence avant l’examen du texte à l’Assemblée, Stella Dupont assurant qu’il y a « beaucoup de travail » à venir.

Car il n’y a pas que le camp présidentiel qui vote. Chacun reconnaît qu’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée sur le texte « équilibré » d’origine. La gauche, certes favorable à l’article 3, n’a jamais eu l’intention de voter le texte dans sa globalité. Certains espèrent une abstention – quasi impossible – des socialistes et écolos pour les aider. Cela dit, on n’est pas plus certain qu’il y a une majorité pour la version durcie par le Sénat : les LR ne sont pas chauds. Et puis l’aile gauche de la majorité ira-t-elle jusqu’à ne pas voter un texte qui ne lui convient pas ? Difficile déjà de l’estimer : ils et elles sont 30, peut-être 40. C’est beaucoup, mais « ce ne sont pas des gens qui suivent au doigt et à l’œil Sacha Houlié », assure un connaisseur du groupe. Le MoDem, en revanche, on sait : ils sont 51. Largement assez pour faire capoter un texte trop dur à leurs yeux. Et à gauche, on espère sans y croire que l’aile gauche de la majorité franchira le Rubicon.

Bref, personne ne se fait réellement confiance. Alors revient forcément la question d’un 49.3 (le texte est adopté sans vote, pour peu qu’une motion de censure ne soit pas adoptée par l’Assemblée dans la foulée). Gérald Darmanin est contre et, pour une fois, Cécile Rilhac le suit : « Aucun parlementaire n’est d’accord avec le 49.3. » Le MoDem Erwan Balanant lève, lui, un tabou : « Je ne pensais jamais dire ça un jour, mais je me demande s’il ne vaut pas mieux un bon texte par 49.3 qu’un texte voté mais en perdant nos fondamentaux avec les LR. »

Il est vrai que le 49.3 paraît moins risqué depuis que le PS a dit qu’il ne voterait pas une motion venue de LR sur l’immigration, mais Balanant nie « jouer avec les motions de censure ». « Il n’y a pas de 49.3 populaire, quand bien même le texte est populaire. Et le 49.3 peut se retourner contre vous », rappelle un autre, plus favorable au compromis. La bataille de l’Assemblée s’annonce incertaine.

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